vendredi 6 décembre 2019

Rêve du ciel

Hubert LaRue (1833-1881)

(Source : Pierre-Georges RoyL'Ile
d'Orléans
Québec, 1928, p. 428) 




   J'y rêve bien souvent à mon bon cimetière,
   J'y rêve aussi souvent à cette bonne bière
               Où blanchiront mes os. 
   J'aurai pour me pleurer les larmes d'une mère,
   D'un enfant bien-aimé l'efficace prière,
               Et l'éternel repos.

   Ils sont là trois des miens, sous la terre durcie ;
   Ils sont là, trois des miens ! Sous la bise adoucie,
               Je revois leurs cercueils.
   Je les revois souvent ; toujours dans ma pensée
   Leur souvenir me vient, bienfaisante rosée,
               Souvenir de linceul. 

   Au ciel nous irons tous ! Au ciel notre patrie !
   Ce qu'on voit en ce monde est peu digne d'envie ;
               Au ciel nous irons tous !
   Nous y vivrons en paix, sans crainte et sans alarmes,
   Là, jamais de chagrin, jamais non plus de larmes,
               Et nous prierons pour vous !

                                   Hubert LaRue (1881)




Tiré de : Hubert LaRue, Mélanges historiques, littéraires et d'économie politique, volume 2, Québec, Imprimerie de P. G. Delisle, 1881, p. 273.

Dans le tout premier numéro de la revue littéraire Nouvelles soirées canadiennes, l'écrivain Faucher de Saint-Maurice donne un aperçu des deuils terribles qui inspiraient Hubert LaRue en composant le poème ci-haut, qui est sa dernière œuvre  littéraire connue :

« 
À tous, il ne cesse de répéter qu’il faut méditer l’histoire de notre passé et que c’est ainsi que nous apprendrons le respect, l’attachement dûs à notre religion, à notre langue, à nos lois. Pour en arriver à ces buts multiples tout lui est bon : conférences, livres, brochures, inventions utiles, articles de journaux, causeries. 

Et vous croyez qu’après cette tâche, Hubert LaRue a fini ce qu’il s’est si noblement proposé. Non, tout ceci n’est que le repos accordé après le travail obligatoire, accompli. Ces grandes choses ne se pensent, ne s’écrivent qu’après une journée de labeur, de cours donnés, d’analyses chimiques, de conseils médico-légaux, de soins rendus pendant le jour à l’hôpital, au dispensaire, à la maternité, à l’Hôtel-Dieu, pendant le jour et la nuit à sa clientèle. 

Quand un homme de cette force s’éteint, le deuil d’une famille s’étend à toute une nation[...] Marié à mademoiselle Alphonsine Panet, le docteur LaRue trouva le bonheur terrestre dans la vie domestique. De beaux enfants faisaient la joie de la maison, lorsque la mort vint frapper à cette porte si bien close à tous les bruits du dehors. Une maladie rapide enleva Hubert, le fils aîné ; la phtisie emporta, à l’âge de dix-neuf ans, Alphonsine, grande brune, aux yeux doux, rêveurs, vrai type de la beauté, de l’éducation, de la distinction canadienne-française. 

Dès lors la pensée du savant se tourna vers les mystères de la tombe. Il ne souriait plus. 

— La maison natale, l’église, le cimetière, disait-il souvent, le cimetière surtout, voilà la patrie. 

Au milieu d’une dissertation, d’une conférence, dans un salon, chez un ami, chez lui, au milieu d’un cours, son œil se voilait. Il balbutiait, terminait brusquement par un trait, par un axiome. Les uns ne constataient que de l’originalité. Ceux qui le connaissaient mieux n’y voyaient que des larmes. Son esprit ailleurs planait sur ces tombes chéries, dans ce petit cimetière, où il m’entraîna par une nuit de clair de lune, et où pendant plus d’une heure il s’agenouilla et sanglota comme un enfant. 

Au milieu de ces départs, il ne faut pas s’étonner si le père s’en est allé vers ses enfants. Huit jours de maladie suffirent. 

[...] Maintenant il attend l’heure de la résurrection dans le cimetière de l’île de Saint-Jean d’Orléans, dans l’endroit chéri, arrosé de ses larmes, où pour lui était le cœur de la patrie. Il dort au pied de son père, entre ses enfants, au bruit de ce « mugissement vague, sourd, indéfinissable dans sa grandiose splendeur, qui s’élève du grand fleuve ».
Faucher de Saint-Maurice, Hubert LaRue, dans Nouvelles soirées canadiennes, vol. 1, no 1, janvier 1882.


Pour en savoir plus sur Hubert LaRue, voyez l'article que
lui ont consacré les Glanures historiques québécoises 
en cliquant sur l'image qui suit : 



Le poème Rêve du ciel, ci-haut, est tiré du deuxième volume
des Mélanges historiques, littéraires et d'économie politique,
d'Hubert LaRue, qui est paru peu de temps après sa mort. On
peut encore en trouver de rares exemplaires ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Bien qu'il soit malheureusement oublié de nos
jours, Hubert LaRue avait néanmoins tellement
 marqué le réveil culturel et intellectuel de ses
compatriotes que fut publié en  1912, soit plus de
 30 ans après sa mort, à l'occasion  de  la tenue,
à Québec, de l'important événement patriotique
que fut le Congrès de la  langue française, ce
livre à sa  mémoire et reprenant la plupart de
ses écrits. Il n'en reste qu'un unique exemplaire
 sur le marché en ligne, voyez ICI.

Hubert LaRue est né au Manoir Mauvide-Genest, à Saint-Jean-de-l'île-d'Orléans.
La photo ancienne est tirée de : Le Docteur Hubert LaRue et l'idée canadienne-
française
, Québec, Compagnie de publication Le Soleil, 1912.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir).

Hubert LaRue à vingt ans.

(Source : Hubert LaRue et l'idée
canadienne française
)

Article paru dans le journal L'Enseignement primaire du
1er octobre 1881 à l'occasion de la mort d'Hubert LaRue,
qui collaborait régulièrement à cette publication. Ce poème
raconte notamment l'origine du poème ci-haut, que LaRue
composa spontanément peu avant son décès.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Le cimetière qu'évoque Hubert LaRue dans le poème ci-haut est celui de son village natal de
Saint-Jean-de-l'île-d'Orléans. Il repose à l'emplacement indiqué par la flèche blanche, avec
les autres membres de sa famille dont deux de ses enfants décédés avant lui.

(Source : Hubert LaRue et l'idée canadienne française ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Hubert LaRue a été durement éprouvé par la mort de son fils
Hubert junior, onze ans, et de sa fille Alphonsine, dix-neuf ans.
Il est très  probable que ces deux deuils aient précipité sa
mort prématurée  à l'âge de quarante-huit ans. Dans le poème
  Rêve du ciel, ci-haut,  LaRue exprime d'ailleurs un profond
désir de rejoindre ses enfants décédés.

(
Source : Hubert LaRue et l'idée canadienne française ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Monument funéraire d'Hubert LaRue. La pierre est en mauvais état 
et les inscriptions sont difficilement lisibles. 

Derrière, à gauche, on aperçoit le monument de l'historien
 Louis-Philippe Turcotte,  un contemporain admirable 
d'Hubert LaRue et mort prématurément lui aussi.

(Photo: Daniel Laprès, 2015 ; cliquer sur l'image pour l'agrandir).

Pierre tombale, brisée, d'Hubert LaRue Junior, 
11 ans,  sur laquelle est inscrit : « À notre cher 
Hubert », à quelques pieds devant la tombe 
de son père, au cimetière de Saint-Jean-de-
l'Ile-d'Orléans.

(Photo : Daniel Laprès, 2015)


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