samedi 21 septembre 2019

Campagnes laurentiennes : Automne

Labour d'automne, de Suzor-Coté, 1909.

(Source : Suzor-Coté, lumière et matière, p. 192)




   Les étrennes se font vers le beau temps d'automne,
   Quand les beaux champs mûris sous la brise frissonnent ;
   La nature au grand cœur qui paraît nous aimer, 
   D'un geste généreux s'incline pour donner.
   Mais ses traits sont changés et son noble visage,
   Après de nombreux jours, est d'un aspect plus sage.

   Quelque chose de grand domine dans les airs
   Où le soleil moins chaud montre des cieux plus clairs.
   Avec un moindre éclat, la lumière est plus douce,
   Le midi, le matin et le soir de sa course. 
   Et de tous les côtés, c'est la blonde couleur
   Que l'on voit s'étaler avec grande douceur,
   Éclipsant tous les tons par la teinte splendide
   Dont se parent nos champs sous leur beau ciel limpide.

   Comme la charité résume les vertus,
   Et que tous leurs beaux traits en elle sont fondus,
   Ainsi [du Québec], l'automne charitable,
   Dans sa parure blonde apparaît plus aimable.

   Mais le ciel vers le sol jette un rayon pensif
   Que le monde reçoit d'un air méditatif.
   Les grands prés sont rêveurs ; le jour mélancolique
   Fait tomber sur la terre un reflet tout mystique.
   Peut-être qu'au plaisir de faire des heureux
   Se mêle le regret de se sentir plus vieux.

   Cependant, sous son toit, l'homme esquisse un sourire,
   Et le cœur à la joie, il tressaille, il délire,
   Car enfin ce froment, c'est le pain de demain
   Qui du tendre foyer soulagera la faim. 

   Vite, au travail, les enfants, la plaine nous appelle,
   Allons nombreux aux champs ; la moisson est si belle ;
   Le père a commandé : les garçons sont rendus
   Et brandissent la faulx de leurs bras demi nus.
   Ils ont chapeaux de paille et vêtements rustiques
   Qu'ils portent tous les jours pour les soins domestiques.
   La forme et les beaux traits de leurs corps vigoureux
   Montrent [de chez nous] les enfants bienheureux.

   D'abord de l'instrument on aiguise la lame,
   Qui luisant au soleil en reflète la flamme. 
   Quand le taillant d'acier, sur la pierre a grincé,
   Aussitôt des faucheurs, le buste s'est baissé.
   Puis, d'un geste rythmé côte à côte en cadence,
   Dans la blonde toison le beau groupe s'avance,
   Découvrant du terroir quelques pouces de plus,
   À chaque coup hâtif de leur bras étendus.

   En mordant les pieds mûrs dans lesquels on la plonge,
   La faulx produit le bruit d'une bouche qui ronge ;
   À chaque coup des bras elle rase le sol,
   Puis s'élève soudain pour reprendre son vol. 
   Chaque fil attaqué frémit, vacille et tombe,
   Il résiste un instant, mais enfin, il succombe.
   Détaché de la tige, il s'étend sur l'andain,
   Ouvrant au moissonneur un gracieux chemin.

   Et cet homme courbé dont le beau front se penche,
   Fait choir du blond froment une superbe tranche.
   Mais son œuvre se borne aux endroits onduleux,
   Qui sont pour les chevaux un peu trop dangereux,
   Car dans les endroits plats de nos plaines unies
   Qui font de ce pays les campagnes bénies,
   On a d'autres outils, des moyens plus puissants,
   Pour moissonner les grains de nos prés imposants : 
   C'est notre moissonneuse, très solide machine,
   Que deux chevaux font suivre en se courbant l'échine.

   Un homme bien assis fait les commandements
   Et dirige d'un mot les nombreux mouvements ;
   L'imposante faucheuse, avec un bruit sonore, 
   A l'air de massacrer le grain qu'elle dévore.
   Sa lame qui palpite, aux fortes dents de fer,
   S'agite avec clameur et fait vibrer l'éther.
   Des râteaux empressés, à tournure peu franche,
   Frappent le blond froment qui tombe en avalanche
   Dans la bouche du monstre ouverte aux beaux épis,
   Qu'elle avale en grondant pour étouffer leurs cris.
   Au lieu de tout mêler, elle groupe en javelles :
   Dans cet ordre parfait les tiges sont plus belles, 
   Et les brins réunis, tête à tête posés
   À nos pieds imprudents, sont bien moins exposés.

   Pendant des jours nombreux, pour un grain minuscule,
   Du matin jusqu'au soir la machine circule.
   Mais à chaque circuit la toison raccourcit
   Et sur tous ses côtés la pièce rétrécit. 
   Chaque tour au morceau ajoute une ceinture,
   Qui reçoit la javelle en ses plis de verdure.
   Puis quand tous les andains sont coupés par la faulx, 
   La faucheuse, sans bruit, passe à des champs nouveaux.

   Le coup d'œil est changé : des centaines de gerbes, 
   Sur leurs grands lits de chaume chétif et sans herbes,
   Ont l'air de reposer pendant que le soleil,
   Sur leurs corps renversés, jette un rayon vermeil.
   Dans la lumière d'or, le bon froment se fane
   Sans recourir aux soins d'aucune main profane.
   Quelques jours de silence et de travail caché
   Affermissent le grain après qu'il est fauché.

   À ce calme parfait de la plaine pensive
   Succède l'action d'une corvée active. 
   Pour rentrer la récolte, on vide le foyer,
   Et toute la famille accourt pour charroyer.
   Avec beaucoup d'entrain, garçonnets et fillettes
   Secondent les plus grands pour charger les charrettes.
   Entre autres, instruments, les fourches, les râteaux,
   Unissent leur concours à celui des chevaux
   Qui, malgré la chaleur, traînent les fourragères
   Où s'entasse le grain qui les rend moins légères.

   On use pour charger d'un ancien procédé
   Que la suite des temps n'a jamais démodé : 
   Un homme est sur le sol, un autre sur la charge,
   Dans ce dernier séjour, le domaine est peu large ; 
   Et celui qui l'occupe est toujours très actif,
   Son royaume ambulant le retient bien captif.
   Pendant le temps qui court entre deux crépuscules,
   On transporte le grain dans les lourds véhicules.
   Le chargeur intrépide, armé d'un fort trident, 
   Pour ne pas trébucher marche d'un pas prudent.
   Il reçoit du donneur les énormes fourchées,
   Et voit que sur le char, elles soient bien couchées.
   Puis des champs à la grange on refait le trajet,
   Sans jamais se lasser pour un si noble objet.

   De nos grands bâtiments aux têtes recouvertes,
   Depuis un mois bientôt les portes sont ouvertes
   Afin de recevoir et de mieux accueillir 
   Le froment précieux que l'on vient de cueillir.
   Notre fourche de fer, merveilleux instrument,
   Pour décharger le grain se met en mouvement ;
   En enfonçant ses dents dans les pailles couchées,
   Elle avale le tout en trois lourdes bouchées.

   Après tant de secours et tant d'inventions,
   L'homme a vite enlevé les épaisses toisons
   Et bientôt dans les prés on ne voit que du chaume,
   Percé par le regain et des touffes de baume ; 
   Pas un brin n'est perdu, car le champ est râclé
   Et la blonde moisson est maintenant sous clé. 

   Le sol, après trois mois, a rendu sa semence, 
   Remettant cent pour un pour montrer sa puissance.
   Tous les plans généreux, en nous offrant leurs dons,
   De fruit savoureux ont rempli nos maisons.
   
   Maintenant plus légers, les arbres se redressent ;
   Après avoir donné, c'est aux cieux qu'ils s'adressent.
   Si des bienfaits rendus ont pu les appauvrir, 
   Le Ciel reconnaissant saura les enrichir
   Et leur remettre au cœur cette abondante sève
   Qui fait poindre les fruits quand la moisson se lève.
   Ils ont l'air conscients du grand bien qu'ils ont fait,
   Et semblent nous fixer d'un regard satisfait.
   Des rayons de l'honneur leurs beaux fronts se décorent,
   Et l'automne expirant de ses feux les colorent.

   Mais sous l'or précieux du soleil automnal, 
   Naît un reste de vie avant le coup fatal,
   Fournissant au bétail une tendre pâture ;
   On dirait le dessert suivant la nourriture.

   Mais après quelques jours, la terre se flétrit ;
   Sous la fraîcheur des nuits sa surface pâlit.
   De ses beaux vêtements, la forêt se dépouille,
   Et ses feuilles de vert se salissent de rouille.
   Les bons petits oiseaux ne font plus de concerts,
   Les champs sont dépeuplés, les buissons sont déserts,
   Puis la terre et le ciel n'ont plus les mêmes teintes,
   Car les sources de vie à présent sont éteintes.
   On voit tous les traits des symptômes de mort,
   Comme une âme blessée après un grand effort. 

                                Modeste Champoux* (1917) 




Tiré de : revue Le Pays laurentien, novembre-décembre 1917, p. 197-200. 

* Pour en savoir plus sur Modeste Champoux, cliquer ICI.

De Modeste Champoux, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Campagnes laurentiennes : Été et Petite barcarolle.  


Modeste Champoux (1881-1918)

(Sources : Les Eudistes)

Dédicace manuscrite de Modeste Champoux dans la brochure
de son recueil La vieille maison - Petite barcarolle (1916)

(Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Le poème Automne, ci-haut, a été
d'abord publié dans le journal L'Étoile du
Nord
, de Joliette, puis dans le numéro de
novembre-décembre 1917 de la revue
Le Pays laurentien, que l'on peut consulter
ou télécharger gratuitement ICI.


(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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