vendredi 6 septembre 2019

Gravitation céleste

Adolphe-Basile Routhier (1839-1920)

(Source : Les hommes du jour, Montréal,
Éditions de la Compagnie de moulins
à papier de Montréal, 1890)




   Lorsque dans la nuit claire, au firmament bleuâtre,
   Pâle comme une vierge au moment de mourir, 
   La lune a suspendu son beau globe d'albâtre,
   Avez-vous regardé les nuages courir ?

   Du fond de l'horizon, lentement ils surgissent ;
   Sombres d'abord, ils font l'ascension du ciel,
   Mais, en montant toujours, par degrés ils blanchissent,
   Et leur aspect devient plus immatériel ;

   Et si jusqu'au zénith ils poursuivent leur voie,
   Et se rangent en cercle autour de l'astre en feu,
   On dirait des rideaux de dentelle et de soie,
   Par d'invisibles mains tendus sur le ciel bleu.

   Rien ne surpasse alors la blancheur vaporeuse
   Des replis festonnés de ce brillant décor.
   Mais s'ils poussent plus loin leur course aventureuse,
   Et vont sous l'horizon se replonger encor,

   Adieu les teintes d'or, d'onyx et de topaze ;
   Ils perdent tout-à-coup leurs reflets les plus beaux,
   Et les plis ondoyants des tentures de gaze
   Se changent par degrés en ténébreux lambeaux.

   L'âme subit aussi ces changements étranges,
   Suivant qu'elle s'approche ou s'éloigne des cieux ;
   Quand elle monte, et plane au-dessus de nos fanges,
   On la voit resplendir d'un éclat radieux.

   Mais si, perdant sa voie, errante, elle gravite
   Loin de l'astre divin qui sur elle reluit,
   L'obscurité bientôt envahit son orbite : 
   Elle s'éclipse, et va se perdre dans la nuit !

                            Adolphe-Basile Routhier(1882)




Tiré de : A. B. Routhier, Les Échos, Québec, Typographie de G. B. Delisle, 1882, p. 233-234. 

* Adolphe-Basile Routhier est né à Saint-Placide le 8 mai 1839, de Charles Routhier, agriculteur, et d'Angéline Lafleur. Il fit ses études classiques au Séminaire de Sainte-Thérèse, puis s'inscrivit en droit à l'Université Laval. Il fut admis au Barreau en 1861. 
   En 1872, il fut nommé juge à la Cour supérieure, dont il devint en 1904 le juge en chef, jusqu'à sa retraite en 1906. 
   Écrivain ayant pratiqué de nombreux genres littéraires, il collabora à divers journaux, dont Le Nouveau monde et Le Courrier du Canada. Conservateur et ultramontain, il prit part à de virulentes et orageuses polémiques, notamment en publiant Les Causeries du dimanche (1871), volume qui lui valut les foudres d'un Louis Fréchette qui le tourna en ridicule dans ses Lettres à Basile. En 1873, sous le pseudonyme de « Jean Piquefort », Routhier publia Portraits et pastels littéraires, une série de portraits satiriques visant les écrivains d'esprit libéral ou soupçonnés d'anticléricalisme, ce qui lui attira un nouvel essaim de flèches. 
   Il est l'auteur de nombreux autres ouvrages, dont En canot. Petit voyage au Lac Saint-Jean (1881) ; À travers l'Europe : impressions et paysages (2 tomes, 1881 et 1883) ; Les Échos (poésie, 1882) ; À travers l'Espagne. Lettres de voyages (1889) ; Conférences et discours (1889) ; Les grands drames (1889) ; Nouveaux chemins de la Croix (1891) ; De Québec à Victoria (1893) ; Québec et Lévis à l'aurore du XXe siècle (1900) ; Le Centurion (roman, 1909) ; Paulina (roman, 1918). 
   L'œuvre la plus marquante d'Adolphe-Basile Routhier est incontestablement son Chant national, davantage connu sous le nom de Ô Canada, qu'il composa en 1880 et qui fut mis en musique par Calixa Lavallée. Ce chant patriotique de la nation canadienne-française fut l'objet d'un détournement par le régime fédéral canadien qui, dans son entreprise de récupération générale des symboles de la nation issue de Nouvelle-France, en fit officiellement l'hymne national du Canada en 1980. 
   Adolphe-Basile Routhier est mort à Saint-Irénée-les-Bains le 27 juin 1920. Il avait épousé Marie-Clorinde Mondelet à Québec, le 12 novembre 1862. Il est inhumé au cimetière Notre-Dame-de-Belmont, à Québec. 
(Sources : Biographi.ca ; Wikipedia ; Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, tome 1, Montréal, éditions Fides, 1980, p. 89). 

Pour en savoir plus sur Adolphe-Basile Routhier, cliquer ICI


Le poème Gravitation céleste, ci-haut,
est tiré de Les Échos, recueil de Basile
Routhier.  On peut en trouver de rares
exemplaires ICI et ICI. On peut aussi
le télécharger gratuitement ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dédicace manuscrite de Basile Routhier à Louis Fréchette.
On y lit : « À notre poète national, Hommage de celui qui
parle à celui qui chante ». Il est intéressant de noter le ton
 cordial de la dédicace, après que Routhier et Fréchette,
dont les convictions sur la politique et la religion étaient
aux antipodes, se soient durant des années affrontés de

manière  virulente, sinon féroce. La dédicace provient d'un
exemplaire de Conférences et discours, que Routhier fit
paraître en 1889. (Malheureusement, un mauvais travail
 de reliure a retranché quelques lettres, sur le côté droit)

(Collection Daniel Laprès :
cliquer sur l'image pour l'agrandir
)

Adolphe-Basile Routhier

(Source : Fonds d'archives du Séminaire de Québec)

Article paru dans Le Bien Public, de Trois-Rivières, le 1er juillet
1920. Le même article est paru dans Le Devoir du 28 juin.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

La mort de Basile Routhier fut signalée à
la « une  » de La Presse, le 28 juin 1920.

(Source : BANQ ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

La Presse, 28 juin 1920.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Le Devoir, 30 juin 1920. À noter que l'un des 
prêtres officiants aux funérailles était Eugène
Corbeil, de La Tuque, qui fut un personnage

 aussi pittoresque que remarquable, et dont la
corpulence était telle qu'à côté de lui, le célèbre
et obèse curé Labelle aurait eu l'air d'un gringalet
famélique. Cliquer ICI pour en apprendre plus 
sur sa vie et sa contribution au développement 
de La Tuque.

(Source : BANQ ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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