lundi 4 février 2019

Ma blanche maison

Thomas Loranger (1823-1885)




   Fiers citadins, je vous invite !
   Venez dans ma blanche maison ; 
   Je vous promets, mais venez vite, 
   Les premiers fruits de la saison,
   De gais ébats dans la campagne,
   Et, le soir, des contes joyeux
   Sur des châteaux faits en Espagne
   Dont nous chanterons le vin vieux !

   Il est non loin de ma demeure
   Un lac brillant comme un miroir ;
   On peut s'y baigner à toute heure,
   Et les enfants viennent, le soir,
   Y rafraîchir leur tête blonde.
   Il est limpide et peu profond,
   Différent de la mer du monde
   Dont ils ne verront point le fond !

   Dans le bassin d'une fontaine,
   Une naïade verse l'eau ; 
   C'est là que je lis La Fontaine
   Et que je médite Boileau
   Qui n'aimerait ces deux poètes
   Dont les livres presques divins
   Montrent l'art de parler aux bêtes
   Et celui d'écrire aux humains ?

   Jeunes garçons et jeunes filles,
   Venez dans ma blanche maison ;
   Vous y danserez des quadrilles
   Aux gais refrains de ma chanson ;
   Et si ma retraite champêtre
   Est, pour vous mettre le couvert,
   Moins large que le coeur du maître,
   Nous dînerons sur le pré vert. 

   Puis, si, de retour à la ville,
   Votre coeur vous dit qu'un matin
   De votre hôte le pas débile
   N'a pu parcourir son jardin,
   Et qu'un prêtre a du cimetière
   Fraîchement béni le gazon,
   Revenez dire une prière
   Pour lui dans sa blanche maison ! 

                     Thomas Loranger* (1885)




Tiré de : Ernest Gagnon, Pages choisies, Québec, J.-P. Garneau libraire-éditeur, 1917, p. 129-130.

*  Thomas-Jean-Jacques Loranger est né à Yamachiche le 2 février 1823, de Joseph Loranger, cultivateur puis aubergiste, et de Marie-Louise Dugal. Il fit son cours classique au collège de Nicolet et fut admis au Barreau le 3 mai 1844.
   Au début de sa carrière d'avocat, il fut associé avec L. T. Drummond,  alors procureur général du Bas-Canada et qui avait auparavant risqué son avenir en défendant les Patriotes de 1837-1838 devant la Cour martiale. Par la suite, Thomas-J.-J. Loranger s'associa avec ses frères eux aussi avocats, Louis-Onésime et Joseph. Tout jeune avocat, il avait représenté la Couronne devant la Cour seigneuriale, où sa profonde connaissance du droit fut remarquée.
   Élu député de Laprairie en 1854, il fut en 1857-1858 secrétaire de la province dans l'administration Macdonald-Cartier. Le 28 février 1863, il fut nommé juge de la Cour supérieure pour le district de Richelieu, poste qu'il occupa jusqu'en 1879. Il agit souvent comme assistant-juge de la Cour d'Appel.
   De 1869 à 1872, il collabora à la Revue légale, puis il fut le fondateur et rédacteur en chef d'une revue juridique, La Thémis, qui exista de 1879 à 1884, et l'auteur d'ouvrages de droit, dont Commentaire sur le Code civil du Bas-Canada (2 volumes, 1873 et 1879) et Lettres sur l'interprétation de la Constitution fédérale (2 volumes, 1883 et 1884). En 1880, il avait été chargé de la codification des lois du Québec. 
   En 1859, il avait été nommé membre du premier Conseil de l'instruction publique.
   En 1880, il est élu président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (SSJBM), poste auquel il est reconduit en 1884. C'est lui qui présida, en 1884, aux fêtes du cinquantième anniversaire de la fondation de la la SSJBM. Il fut aussi l'un de ceux qui prirent l'initiative de la construction du Monument national, dont il présida à la pose de la pierre angulaire.
   Thomas-Jean-Jacques Loranger est mort le 18 août 1885 à Sainte-Pétronille, sur l'île d'Orléans, où il passait l'été avec sa famille. En 1850, il avait épousé Sara Angélique Trudeau, puis en deuxièmes noces, en 1860, Zélie Angélique Berne, petite-fille de Philippe Aubert de Gaspé.
   L'écrivain Laurent-Olivier David a écrit de lui : « L'un des hommes les plus instruits, les plus éloquents et les plus spirituels de son temps ; un esprit essentiellement français, dont le fond était sérieux et la forme piquante, éblouissante, gracieuse ; une étoile de première grandeur dans cette pléiade de talents qui ont brillé d'un si vif éclat de 1848 à 1867 ». 
(Sources principales : Pierre-Georges Roy, Les juges de la province de Québec, Québec, Service des archives du gouvernement de la province de Québec, 1933, p. 317 ; Journal des Trois-Rivières, 24 août 1885 ;  Biographi.ca). 

Pour en savoir plus sur Thomas-Jean-Jacques Loranger, cliquer ICI


Le poème Ma blanche maison, ci-haut,
de Thomas-J.-J. Loranger, a été publié
pour la première fois par Ernest Gagnon
dans un périodique en 1901, soit 16 ans
après la mort de Loranger, puis en 1917
dans Pages choisies, d'Ernest Gagnon,
qui était décédé en 1915. Gagnon est

né à Louiseville, la municipalité voisine
d'Yamachiche. 
Les Poésies québécoises oubliées ont publié 
un poème d'Armand Chossegros à la mémoire 
d'Ernest Gagnon et que l'on peut lire ICI. 

C'est dans ce chapitre, intitulé Poésie d'outre-tombe, de ses Pages choisies,
qu'Ernest Gagnon raconte les circonstances dans lesquelles il a découvert le
poème Ma blanche maison, de son ami Thomas-J.-J. Loranger, que celui-ci,
comme nous l'apprend Gagnon, avait composé peu de temps avant sa mort
et qui était resté inédit jusqu'en 1901, alors que Gagnon le publia dans un
périodique que nous n'avons encore pu identifier.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir) 

C'est devant l'entrée principale de l'ancien Palais de Justice
de Québec
, aujourd'hui le siège du ministère des Finances du
 gouvernement du Québec, au 12 rue Saint-Louis, à Québec,
que s'est déroulée la dernière conversation entre Thomas-J.-J.
Loranger et Ernest Gagnon, quelques jours avant la mort de
Loranger et tel que relaté par Gagnon dans Pages choisies.

(Source : Patrimoine culturel du Québec ;
 cliquer sur l'image pour l'agrandir) 

Article paru dans Le Journal des Trois-Rivières le 24 août
1885, à l'occasion du décès de Thomas-J.-J. Loranger.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)
 

Article paru dans le journal
L'Étoile du Nord, de Joliette,
le 29 août 1885.
(Source : BANQ ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

À titre de président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal,
Thomas-Jean-Jacques Loranger fut l'un des initiateurs de la
construction du Monument national, sur le boulevard Saint-
Laurent, à Montréal. C'est lui qui présida la cérémonie de
pose de la pierre angulaire de l'édifice.

(Source : Ville de Montréal)


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