dimanche 29 avril 2018

Le Vieux Moulin

Charles-Marie Ducharme (1864-1890)
(Source : BANQ)




   De tes murs, vieux moulin, peux-tu dire l'histoire ?
   Te souviens-tu du jour où le feu destructeur, 
   Jaloux de ta structure, envieux de ta gloire,
   Rampait sur tes flancs gris, comme un vil malfaiteur ?

   Bien des lustres, depuis, sont venus en cortège
   Assaillir tes parois, brunir ta ronde tour
   Et, vainement encor, la banquise de neige 
   Tente, chaque printemps, d'éviter ton contour. 

   Le bouillant Saint-Laurent te jette son écume,
   Les entraves d'azur de son flot courroucé :
   Tu brises, impassible, et la vague qui fume
   Et le cristal massif sur ta base lancé. 

   La flamme a pu ravir ton toit, tes longues ailes,
   Tes cylindres durcis par le grain du froment,
   Tes cadres de bois brut, tes rustiques poutrelles,
   Mais tes cailloux ternis ont sauvé leur ciment. 

   Et, vigilant gardien posté sur le rivage,
   Près des sables dorés et des tendres roseaux,
   Ton vaste bouclier couvre le voisinage,
   Ses nids, ses toits, sa ville, au bas des bleus côteaux...

   Contre l'élan fougueux de l'errante banquise
   Moulin, longtemps encor, protège ta cité,
   Veille sur ses décors, sur ses foyers qu'attise
   Le sourire invitant de l'hospitalité !

   Et, quand tu sentiras tes massives assises
   Fléchir comme un rocher miné par le flot vert ; 
   Quand des mille fragments de tes murailles grises
   Le gazon refoulé se verra recouvert :

   Pourrais-je, vieux moulin, en voyant tes ruines,
   Te refuser, ingrat, un hommage empressé ?
   Oublier, sous tes murs, mes courses enfantines
   Et ne point évoquer ton glorieux passé ?

   Non, non, Trifluvien, dans mes jeunes années,
   Je ne saurais laisser sur l'aile du zéphyr
   Les reliques d'antan à l'oubli condamnées :
   De tes exploits, toujours, j'aurai le souvenir ! 

                 Charles-Marie Ducharme (1888)


Tiré de : Revue Canadienne, avril 1888, p. 221-222. Charles-Marie Ducharme a ajouté à son poème la note suivante : « Ce moulin situé sur le bord du fleuve, en amont des Trois-Rivières, a souvent protégé cette cité, au printemps, contre les glaces du Saint-Laurent ».


Pour en savoir plus sur l'éveilleur intellectuel et culturel qu'était Charles-Marie Ducharme, cliquer ICI. 



Le Vieux Moulin de Trois-Rivières, près du fleuve Saint-Laurent,
tel qu'il apparaissait sur une carte postale datée de 1906.
(Source : Patrimoine culturel québécois ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

En 1975, le Vieux Moulin célébré par Charles-Marie Ducharme
a été transporté sur le site de l'Université du Québec à Trois-Rivières.
(Source : Patrimoine culturel québécois ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir) 

En 1889, Charles-Marie Ducharme a publié un recueil d'essais et 
de proses, intitulé Ris et croquis. Un exemplaire contient une 
dédicace de Ducharme au poète William Chapman. Un mauvais
travail de reliure a 
malheureusement amputé les dernières lettres
des mots, à droite 
(collection Daniel Laprès).

Dans son excellente Anthologie de la poésie
québécoise du XIXe siècle
, le regretté John Hare
a jugé bon d'inclure un poème de Charles-M.
Ducharme. Hare voit les poèmes de Ducharme
comme « un témoignage du goût renouvelé pour
la littérature au Québec autour des années 1890 ». 

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