François-Xavier Garneau (1809-1866) (Source : Québec éternelle : promenade photographique dans l'âme d'un pays, p. 118) |
Voilà l'été qui fuit et la feuille qui tombe
Pâle et morte sur les gazons.
Le vent du nord mugit, l'anémone succombe,
L'écho se tait dans les vallons.
Déjà les bois ont perdu leur feuillage ;
Vers la chaumière accourent les troupeaux,
Car ils ont vu l'hiver sur les nuages,
Et le grésil bondir sur les coteaux.
Adieu ! charmants oiseaux, habitants des bocages,
Allez vers de plus beaux climats ;
Puissé-je comme vous fuir le temps des orages
Et de l'été suivre les pas.
Mais ils sont loin ― leur suave murmure
A déserté les hameaux de nos bords ;
Seul l'autan mêle au deuil de la nature
Dans nos vallons ses sauvages accords.
Là-bas à l'horizon, comme un fantôme immense,
L'hiver semble couvrir les cieux ;
Le vent devant son front roule avec violence
Les flots épars de ses cheveux ;
De longs glaçons pendent à ses paupières ;
Dans les airs bat sa robe de frimas ;
Le jour pâlit sous ses regards sévères,
Et la tempête enveloppe ses pas.
Ménestrel sans échos, je rejetais la lyre,
Je n'avais que de tristes jours
Sur ces bords malheureux que la haine déchire
Et dont le plaisir fuit toujours ;
Mais les frimas, suspendant les discordes,
Ont à ma lyre arraché quelques sons,
Je viens d'entendre au travers de ses cordes,
En murmurant, passer les aquilons.
Sonne, lyre fidèle, à mon âme isolée,
Chante le deuil de nos climats ;
Vois de l'orme orgueilleux la tête mutilée
Qui se penche sous les verglas ;
Dans l'air glacé d'un vol lent et sinistre
Le hibou blanc erre de toits en toits,
Et de l'hiver, officieux ministre,
Il remplit l'air de sa funèbre voix.
Les flots ont disparu, partout la terre blanche
Entoure les sombres forêts ;
Du sapin vers le sol bas s'incline la branche
Que chargent des frimas épais.
Là, la fumée en rapides nuages
S'élève et fuit au-dessus des hameaux,
Tandis qu'ici de pesants attelages
À petits pas font frémir les coteaux.
Dans le fourneau de fonte, au sein de la chaumière,
Bourdonne l'érable des monts ;
Les airs sont obscurcis par la neige légère
Qui glisse et monte en tourbillons ;
Et le toit crie, et puis dans la fenêtre
Le grésil vient sans cesse pétiller ;
Mais le vent tombe, et sur le toit champêtre
L'astre des nuits se lève et va briller.
Mais n'apparait-il pas au sein de la tempête
Quelque fois un pâle rayon ?
Des nuages brisés, il effleure le faîte
Des chênes au sommet d'un mont.
Dans nos hivers il est des cieux limpides,
Des jours sereins où le soleil couchant
Semble embraser de ses rayons rapides
De nos guérets l'émail étincelant.
Mais n'apparait-il pas au sein de la tempête
Quelque fois un pâle rayon ?
Des nuages brisés, il effleure le faîte
Des chênes au sommet d'un mont.
Dans nos hivers il est des cieux limpides,
Des jours sereins où le soleil couchant
Semble embraser de ses rayons rapides
De nos guérets l'émail étincelant.
En quel autre climat la reine du silence
Montre-t-elle plus de splendeur ?
Que j'aime la nuit la plaine immense
Resplendissante de blancheur.
L'étoile aussi semble embraser les ondes,
Comme un géant l'arbre errer dans les champs ;
Non, pas un bruit dans les forêts profondes ;
Le calme est vaste et les cieux rayonnants.
Et peut-être, pourtant, dans cette nuit si belle
Un voyageur las et glacé,
Écarté sur sa route, et s'arrête et chancelle :
À ses yeux tout semble effacé.
Le doux sommeil, trahissant sa faiblesse,
Vient s'emparer lentement de ses sens,
Sommeil fatal dont la perfide ivresse
Dans les plaisirs rompt le fil des ans.
Mais enfin le printemps s'avance vers l'aurore,
Qu'il embellit de tous ses feux.
L'hiver, luttant en vain, veut retarder encore,
Il sent fuir son char nuageux.
Ses yeux aigris respirent la tempête ;
Son bras levé montre encore l'orient ;
Mais les éclairs ont brillé sur sa tête,
Devant la foudre, il cède en frémissant.
François-Xavier Garneau* (1840)
Tiré de : Le Répertoire national, vol. 2, Montréal, J. M. Valois et Cie Libraires-Éditeurs, 1893, p. 163-165. Aussi dans : Poésies de François-Xavier Garneau, Québec, Presses de l'Université Laval, 2012, p. 201-203 + p. 381.
Pour en savoir plus sur François-Xavier Garneau, cliquer ICI.
* Explication du poème : « La campagne de la Canardière, où Garneau avait passé le sinistre hiver 1839, a servi d'inspiration au poète, qui a pu trouver dans la nature un recours, sinon un refuge, loin d'une actualité accablante. Le spectacle du dénuement et des rigueurs de la scène hivernale entretenait chez Garneau des pensées ténébreuses, qui l'accablaient au point de l'empêcher d'écrire.
La situation politique des Canadiens-français connaissait alors une saison amère après l'écrasement de l'insurrection, la publication de l'inique « Rapport Durham » et l'imposition imminente de l'Union du Haut et du Bas-Canada.
Pourtant, le silence des grands espaces glacés sous la lune et la blancheur cristalline des nuits apportent un apaisement à l'âme tourmentée du poète et contribuent à rassénérer son esprit, visiblement hanté par le spectre des Patriotes condamnés à la potence. Même la beauté resplendissante de la nuit l'hiver recèle une menace pour le voyageur.
Abîmé dans ses jongleries, le poète veut résister à l'engourdissement général généré par la saison endeuillée. Garneau refuse de s'abandonner au découragement qui l'assaille : il entrevoit qu'après la lutte, même la plus vive, le printemps finira par triompher et la vie par reprendre ses droits.
Cette poésie au ton modulé entre la plainte et l'espoir marque un mouvement qui correspondrait au retour d'un printemps plus serein après un hiver tourmenté ».
(Tiré de : Poésies de François-Xavier Garneau, présentées par Yolande Grisé et Paul Wyczynski, Québec, Presse de l'Université Laval, 2012, p. 378-379).
Le Répertoire national, où ont été publiées 19 des poésies de François-Xavier Garneau (deux éditions : 1848 et 1893). Ses poésies complètes ont été publiées pour la première fois en 2012 aux Presses de l'Université Laval, dans un volume que l'on peut encore commander dans toute bonne librairie. Pour informations, cliquer ICI. (cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
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