dimanche 17 décembre 2017

Paroles sincères

Joseph-Hormidas Roy (1865-1931)

(Source : Anthologie de la littérature franco-

américaine de la Nouvelle-Angleterre, tome 3)



   Vivons aveuglément dans ce monde qui croule,
   Si nous voulons, sans pleurs, nous traîner jusqu'au bout ; 
   Car les temps ne sont plus où la pieuse foule,
   En chantant l'hosanna, montant comme une houle,
   Acclamait la Vertu qui, seule, était debout. 

   Ils sont passés ces temps des mâles espérances,
   Où le gladiateur envoyait, radieux, 
   De l'arène témoin de ses grandes souffrances,
   Avec l'adieu de mort, l'espoir des délivrances
   À ce peuple romain sentant crouler ses dieux. [...]

   Non ! ces temps ne sont plus. Tout faiblit, tout s'altère. 
   Nous avons déserté le sommet des grandeurs,
   Nous préférons ramper lâchement sur la terre,
   Emplissant nos poumons au souffle délétère
   Qui s'exhale partout des sombres profondeurs.

   J'ai pu sonder la vie, aller au fond des choses,
   Et j'ai vu, sur la route où croît le roseau dur, 
   Des lambeaux palpitants ; j'ai vu des fronts moroses
   Penchés, luxurieux, sur la blancheur des roses,
   Et l'Amour Saint mourait sous le baiser impur. 

   La vie est bien mauvaise en ces temps de démence. 
   Oui, le vieux monde est las de porter son fardeau,
   La paix ne verdit plus dans la jachère immense,
   Et dans la glèbe aride où tombe la semence, 
   Nulle bonne moiteur d'où naîtra le rameau. 

   Tel que le fauve hurlant dans le désert de sable
   Après l'ombre tarie au fond du puits boueux,
   J'ai promené, sans fin, ma soif inapaisable,
   En poursuivant, sans cesse, une ombre insaisissable,
   Le désespoir dans l'âme et du sang dans les yeux. 

   J'ai crié ma douleur à qui voulait l'entendre
   Et personne ici-bas n'a pu me consoler. 
   J'ai fait rire le riche ; et le pauvre, plus tendre, 
   N'a pu que soupirer en me disant d'attendre
   Que la nuit s'illumine et que Dieu va parler. 

   L'humanité n'a plus les paroles de vie ; 
   Elle a perdu le sens des mots consolateurs. 
   De la colline, hélas ! péniblement gravie,
   Je n'aperçois partout que haine inassouvie,
   Qu'égoïsme profond et que prismes menteurs. 

   Vertu ! qui ne ments point par de belles paroles,
   Toi qui survivras seule au naufrage des temps,
   Je repose mon coeur des décevances folles,
   En le plaçant sur toi, fleur aux fraîches corolles,
   Console-moi, Vertu ! j'ai vécu trop longtemps ! 

                                Joseph-Hormidas Roy* (1902)



Tiré de : Richard Santerre, Anthologie de la littérature franco-américaine de la Nouvelle-Angleterre, tome 3, Bedford (New Hampshire), National Materials Development Center for French, 1980, p. 245-246. 

* Né le 10 mars 1865 à Dorval, Québec, de parents pauvres, le jeune Joseph-Hormidas Roy passa son enfance sur la terre paternelle et à l'âge de onze ans entra au Séminaire de Sainte-Thérèse. En 1890, ayant décidé de se préparer une carrière dans les professions libérales, il s'inscrivit à l'Université Laval de Montréal, d'où il obtint son diplôme de docteur en médecine en mai 1893. Sept mois plus tard, en janvier 1894, il se rendit avec sa jeune épouse à Lowell, Massachusetts, où il demeurerait trente-sept ans, c'est-à-dire jusqu'à sa mort survenue le 25 janvier 1931. 
  Homme de lettres et membre correspondant de l'École littéraire de Montréal, il publia à Lowell, en 1902, son premier recueil poétique, Voix étranges. Trois autres volumes de vers, écrits par la suite, Au Fil de la Vie, Silles, et En Vieillissant, restèrent en manuscrit et sont aujourd'hui perdus sauf quelques poèmes épars publiés dans les recueils et les revues de l'époque ; (cette notice biographique est tirée de l'Anthologie de la littérature française de la Nouvelle-Angleterre).
  Joseph-Hormidas Roy a été inhumé au cimetière Saint-Joseph de Chelmsford, au Massachusetts. Une petite île est dédiée à sa mémoire dans le lac Gumpas Pond, à Pelham, au New Hampshire.

Dans son Anthologie des poètes canadiens (1920), Jules Fournier présente quelques poèmes de Joseph-Hormisdas Roy. Les Poésies Québécoises Oubliées jugent qu'il peut valoir la peine de reproduire l'introduction de Fournier, qui inclut une lettre de présentation de Joseph-Hormidas Roy lui-même, ainsi que deux commentaires critiques fort élogieux des poètes Albert Lozeau et Louis Fréchette

« M. J.-H. Roy, à qui nous avons demandé des notes biographiques pour ce recueil, a bien voulu nous écrire les quelques lignes suivantes, qui suffiraient à elles seules à prouver, s'il en était besoin, qu'il est encore de par le monde des poètes modestes :

   
"Vous me demandez des notes biographiques : rien ne ressemble plus à ma vie que celle de Monsieur Tout-le-Monde. Ma date de naissance : 10 mars 1865. Enfance pauvre et assez misérable, chez des parents « habitants » rien moins  qu'à l'aise, dans la pourtant florissante paroisse de Dorval. Mis au collège bien malgré moi, à l'âge de douze ans, je fis, au Petit Séminaire de Sainte-Thérèse, des études à la diable et tronquées...
   C'est alors que, me ressaisissant, je songeai à adopter une profession libérale à défaut d'un métier, qui m'aurait probablement mieux convenu... Entré à l'Université de Montréal en 1890, j'y recevais en 1893 mon diplôme de docteur en médecine, après trois années d'un travail très ardu. (J'avais en effet, en ce temps-là, outre l'effort intellectuel, à pourvoir au « matériel » de mes trois repas par jour, et ce n'était pas toujours drôle ! Je m'en rapporterais volontiers là-dessus à mon compagnon de disette de ce temps-là, Lapalisse, qui avait coutume de dire, dans son langage bien à lui: « Heureusement que nous ne pouvons pas prendre moins qu'un repas par jour ! » Le pauvre garçon est mort depuis, non d'indigestion, je le présume. Quel joyeux compagnon d'infortune ! Que la terre lui soit aussi légère qu'était alors notre bourse ! ...)
  En 1894, je transportais mon mince bagage à Lowell, dans le Massachusetts, où j'ai toujours vécu depuis, menant une vie sans relief, plate et routinière comme une journée de facteur. Mammon ― pour parler comme l'Écriture ― m'a toujours gardé rigueur, ce qui ne m'empêche pas de m'appliquer de mon mieux, avec mon excellente femme, à élever les neuf enfants qui rayonnent autour de notre table... 
   Outre Voix étranges, qui est le fruit de ma jeunesse, j'ai en manuscrit trois volumes : Au Fil de la Vie, ―Silles, ―En Vieillissant, ― dont j'ai toujours remis la publication faute de ressources, et aussi par crainte de leur peu de valeur. Au Fil de la Vie, continuation de Voix étranges, contient des poèmes écrits peu après la publication de ce volume et sur le même thème. Silles renferme deux cent cinquante sonnets à l'allure satirique, à la vérité peu mordante. En Vieillissant laisse voir une muse plus assagie, ou qui se croit telle. Je crains bien que cela n'est qu'illusion, et qu'en réalité ce sont ses ailes qui s'écourtent ». 

Plusieurs critiques ont fait des vers de M. Roy les plus grands éloges. Citons seulement quelques témoignages pris au hasard : 

   « Je viens de parcourir avec plaisir et souvent avec émotion vos Voix étranges. Vous êtes un vrai poète, puisqu'à vous lire on ressent la tristesse qui a coulé de vous en vos poésies... Vos vers sont vraiment l'expression de votre être intime : on le sent ». (ALBERT LOZEAU)

   « Le volume que M. Roy [...] a intitulé Voix étranges s'élève beaucoup au-dessus de l'effort ordinaire d'un débutant. Il révèle une grande intensité d'expression, une vision très personnelle des choses, et ― ce qui est encore plus rare  un instinct artistique qui s'écarte à la fois des banalités poncives et d'un modernisme poseur... M. Roy promet à nos lettres une acquisition précieuse ». (LOUIS FRÉCHETTE)

Tiré de : Jules Fournier, Anthologie des poètes canadiens, Montréal, Granger Frères Éditeurs, 1920, p. 127-128. 


Tome 3 de l'Anthologie de la littérature franco-
américaine de la Nouvelle-Angleterre
, d'où est tiré
le poème Paroles sincères, de J.-H. Roy.  


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