vendredi 1 décembre 2017

Légende des guérets

Zéphirin Mayrand (1843-1918)

(Source : son recueil Gerbes d'automne, 1906)



   Rigaud, site enchanteur, est fier de sa montagne, 
   D'un sol luxuriant et de ses verts bosquets ; 
   Pèlerins, visitez cette belle campagne : 
   N'oubliez pas de voir la pièce de guérets.

   En cheminant non loin des pieux sanctuaires,
   Le visiteur découvre avec étonnement
   Un rectangle onduleux formé de grosses pierres,
   Dont les rangs dénudés s'étalent tristement. 

   On dirait que jadis la Nature ingénue
   Dans la glèbe pierreuse a creusé des sillons
   Alignés sous le soc de sa large charrue,
   Pour faire ombre au tableau des verdoyants vallons.

   La pièce de guérets : tel est le nom vulgaire
   Que l'on donne à ce lieu, sombre amas de cailloux ; 
   Séculaires guérets, vous cachez un mystère : 
   Ô vengeance divine ! ici je vois tes coups ! 

   Dans les temps primitifs de la Nouvelle-France,
   Un colon habitait cet endroit montagneux ; 
   Dans le sein de la terre il puisait l'abondance ; 
   Pour lui le Dieu des champs se montrait généreux.

   Comment l'heureux colon va-t-il donc reconnaître
   La bonté de Celui qui donne le froment ?
   Bien loin de le servir, il veut agir en traître,
   En foulant à ses pieds son doux commandement. 

   Il cultivait le sol les dimanches et fêtes ; 
   La grand'messe pour lui, c'était du temps perdu ; 
   Travaillons ! disait-il, les semailles sont prêtes ; 
   Il labourait alors : l'œil de Dieu l'avait vu. 

   La charrue allait mal, l'attelage de même : 
   Le laboureur fâché, la rage dans le coeur, 
   Comme un démon vomit un terrible blasphème : 
   Tout à coup ! plus de sol... des cailloux... cri d'horreur ! 

    Un gouffre se creusa, dessous le misérable : 
    Tout ce qui l'environne en est comme interdit ; 
    Homme, charrue et bœufs, dans l'abîme insondable
    Tout est précipité : c'est le champ du maudit. 

    Appliquez votre oreille à cette pierre aride : 
    Vous pourrez percevoir... comme un bruit caverneux ; 
    C'est l'écho du maudit englouti dans le vide ; 
    Leçon pour les chrétiens : n'insultez pas les Cieux. 

                                   Zéphirin Mayrand* (1903)


Tiré de : Zéphirin Mayrand, Gerbes d'automne, Montréal, 1906, p. 91-93.
 

* Zéphirin Mayrand est né à Contrecœur le 31 décembre 1842, de Zéphirin Mayrand, navigateur sur le Saint-Laurent, et d’Apolline Lamoureux. Il fit ses études à l’École commerciale de Verchères, puis, de 1855 à 1862, son cours classique au Collège de L’Assomption.
Après ses études de droit à l’Université Laval de Québec, il fut reçu notaire à l’âge de 21 ans. Durant quinze ans, il exerça sa profession à Saint-Philippe de Laprairie, puis à Contrecœur pendant 18 ans. En 1899, il vint s’établir à Montréal et continua à exercer sa profession jusqu’à la fin de ses jours.
Il collabora à plusieurs journaux et périodiques littéraires, dont L’Opinion publique et Le Monde illustré. C’est lui qui est à l’origine de l’érection, en 1913, du monument aux Patriotes à Saint-Denis-sur-Richelieu. Il avait notamment acquis le terrain où s’était livré le plus fort de la bataille victorieuse des Patriotes à Saint-Denis.
Il est l'auteur d'un recueil de poésies, Gerbes d’automne (1906), puis, à son retour d'un voyage en Europe, il a publié Souvenirs d’outre-mer (1912). Il a été le fondateur, puis le secrétaire, de la Société des gens de lettres.
Zéphirin Mayrand est mort à Montréal le 9 mars 1918. Il avait épousé Cordélie Meunier dit Lapierre à Saint-Antoine-sur-Richelieu le 22 novembre 1865, puis en secondes noces Hortense Gagné à Montréal, le 2 février 1914. Il était le père d’Oswald Mayrand.


Pour en savoir plus sur la légende des Guérets de Rigaud, cliquer ICI


La Légende des guérets, ci-haut, est
tirée de Gerbes d'automne, recueil 
de poésies de Zéphirin Mayrand.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir) 

Les guérets de Rigaud, surnommés le « Champ de patates », au début des années 1900.

(Source : Gustave Lamarche, c.s.v., 
Le collège sur la colline : petit historique
du collège Bourget
,  
Rigaud, Éditions de l'Écho de Bourget, 1951, p. 187 ; 
cliquer sur l'image pour l'agrandir).

Vue d'une partie du « Champ de patates» de Rigaud.

(Photo : Daniel Laprès, 11 septembre 2011 ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir).


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