samedi 10 juillet 2021

Un peuple poussé, comme sur un radeau, vers l'éternelle nuit

Déportation des Acadiens à Grand-Pré : l'attente avant l'embarquement.
Tableau de Claude Picard.

(Source : Joachim Leblanc)




          LA PROCLAMATION FATALE


   Que tous les habitants de l'une à l'autre rive,
   Dès trois heures du matin, ici, sur ce préau,
   Se donnent rendez-vous. L'ordre ainsi vous arrive
   De notre Majesté Georges. « Signé : Winslow ». 

   Immortel exilé, Dante, reviens nous dire
   En ce cercle d'horreur, un chant de ton Enfer !
   L'arène la voilà ! Défense d'y maudire !
   Et vois comme il s'étale aux deux bords de la mer.

   La Proclamation ainsi se continue : 
   « Vous êtes avisés que tout votre bétail,
   Soit chevaux, soit brebis, porcs et chèvre cornue,
   Même vos champs si verts et tout cet attirail 
   Qui vous fait remuer votre terre si belle,
   Ne seront désormais, Acadiens, plus qu'à nous ». 
   ― C'est ainsi qu'Albion, dans la paix, se révèle  
   « Demain vous donnera, sur nos ponts, rendez-vous ». 

          L'ÉPOUVANTE

   Comme  de l'Océan quand monte la tempête, 
   S'échappe une clameur qui remplit tout le ciel,
   Un cri désespéré, du seul coup, à tue-tête,
   S'élance dans l'espace, implore l'Éternel,
   Au-dessus de la mer et des sommets déferle
   Et va s'épanouir, au large des grands bois.
   L'aube, déjà, là-haut, sur les collines, perle.
   Le voyez-vous passer, ce long chemin de croix ? 

   À la confusion s'ajoute l'épouvante ;
   Dans ces remous il est impossible de fuir.
   C'est le commencement de l'ignoble « Tourmente ».
   Voyez-vous ces canons prêts à tout engloutir ?
   Des jeunes, d'un bélier, font sauter une porte.
   La baïonnette est là qui les guette de front.
 
   Le vent du nord se lève et dans sa ronde emporte
   D'un vaste tourbillon les feuilles qui s'en vont,
   En rafales, mourir sur les bords du rivage.
   Ainsi, voilà qu'un peuple, emporté dans ce bruit,
   S'en va, par ci, par là, poussé de plage en plage, 
   Comme sur un radeau, vers l'éternelle nuit.

                                      Napoléon Landry* (1955)



Tiré de : N.-P. Landry, Poèmes acadiens, Montréal, Fides, 1955, p. 94-95.

* Napoléon Landry est né à Memramcook (Nouveau-Brunswick) le 30 décembre 1884, de Philippe Landry, ingénieur, et de Marie-Rose Gaudet. Il fit son cours classique au Collège Saint-Joseph dans son village natal, puis sa rhétorique au Collège Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse. Il étudia ensuite la philosophie et la théologie au Grand séminaire de Halifax, où il fut ordonné prêtre en 1914. 
   Il fut d'abord vicaire à Bouctouche, puis curé à Sackville. De 1925 à sa retraite en 1954, il fut curé de Sainte-Marie. Ses paroissiens l'appelaient affectueusement « le Père Nap' ». 
  Ayant exercé un rôle de fondateur de la littérature acadienne, il a publié deux recueils : Poèmes de mon pays (1949) et Poèmes acadiens (1955). Il publia de nombreux textes et poèmes dans le journal acadien L'Évangéline. En 1951, il fut lauréat de l'Académie des Jeux floraux de Lyon, puis, en 1953, pour son recueil Poèmes de mon pays, il se vit décerner un diplôme d'honneur par la Société des poètes canadiens-français ; puis en 1955, un mois avant la publication de ses Poèmes acadiens, il reçut le grand prix de langue française de l'Académie française. En 1997, son œuvre poétique a été le sujet d'un mémoire de maîtrise, écrit par Chantal Richard, qui contient tous ses Poèmes acadiens ; cliquer ICI pour y accéder.
  L'abbé Napoléon Landry est mort accidentellement à Monctonle 28 septembre 1956 ; atteint de surdité, il fut happé par un train qu'il n'avait pas vu venir. Il résidait à Moncton depuis quelques mois, après un séjour de six mois dans un hôpital de Montréal. Il avait pris sa retraite en 1954, après que sa santé eut commencé à se détériorer. Il a été inhumé dans le cimetière de son village natal.
(Sources : Chantal Richard, Poèmes acadiens de Napoléon Landry, édition critique, mémoire de maîtrise, Université de Moncton, 1997 ; Anthologie de textes littéraires acadiens, Moncton, Éditions d'Acadie, 1979, p. 429 ; L'Action catholique, 1er octobre 1956).  


L'abbé Napoléon Landry (1884-1956), auteur du recueil
Poèmes acadiens, d'où sont tirés les vers ci-haut.

(Source de la photo : Anthologie de textes littéraires
acadiens
, Moncton, Éditions d'Acadie, 1979)

Les Poèmes acadiens, de Napoléon Landry,
ont été l'objet d'une nouvelle édition et on
peut se procurer le volume en cliquant ICI.


Sur la Déportation des Acadiens, voyez le poème
La ruine de Grand-Pré, qui a valu à son auteur, 
Onésime Fortier, d'être couronné par le concours
de poésie de l'Université Laval, en 1875. Ce poème
n'avait jamais été publié nulle part par la suite, 
jusqu'à ce que les Poésies québécoises oubliées
le sortent de l'oubli, en 2019. On peut y accéder 
en cliquant sur cette image :



Sur la Déportation des Acadiens, voyez le texte 
d'une conférence qu'Henri d'Arles donna en 1920
 à la salle de la bibliothèque Saint-Sulpice, rue 
Saint-Denis à Montréal, en mars 1920, et dans 
lequel il expose notamment comment ce cruel
épisode fut un « attentat contre l'humanité ». 
Cliquer sur cette image pour y accéder :


Recension des Poèmes acadiens, de Napoléon Landry, par Alphonse Désilets,
qui fut, durant la première moitié du vingtième siècle, l'une des plus
importantes chevilles ouvrières de la vie poétique au Canada français. 
L'article est paru dans le journal L'Action catholique, le 26 novembre 1955.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'article pour l'élargir)

L'Action catholique, 1er octobre 1956.
À noter l'erreur quant à l'âge de l'abbé
Landry, qui avait 72 ans et non 82.

(Source : BANQ)

L'Action catholique, 13 octobre 1956.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'article pour l'élargir)


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2 commentaires:

  1. Un très beau poème, en effet. Je fais circuler, car la Fête nationale des Acadiens est à nos portes si je ne me trompe. Merci, Daniel.

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