Site où se trouvait le Vieux Moulin qu'évoque dans le poème ci-dessous de Sylvestre Sylvestre (1857-1950), alors étudiant au Collège de Joliette. Le jeune poète apporte cette précision quant au site du Vieux Moulin : « But de promenade, sur les bords de la rivière l'Asssomption, à 3 miles de Joliette ». Le poème est paru pour la première fois dans l'édition du 15 juin 1877 de La Voix de l'écolier, journal publié par le Collège de Joliette. À l'époque où le poème fut composé, il restait encore quelques ruines du moulin devenu inopérant en 1828. De nos jours il n'en reste plus que quelques rares vestiges à peine perceptibles. Il est toutefois encore évoqué par le Chemin du Vieux-Moulin. (Photo : Daniel Laprès, 4 juillet 2019 ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Bravant les coups du temps, une muraille grise
Solitaire survit, tout près de l'onde assise ;
À ses pieds la vague mugit.
Déjà bien des hivers ont couronné sa tête
De neige et de frimas ; bien souvent la tempête
A battu son flanc décrépit.
Elle reste debout, fière de ses années,
Les ruines tout autour gisant amoncelées
Lui donnent un air de grandeur.
Elle domine au loin le cours de la rivière ;
De l'antique moulin rentré dans la poussière
Elle rappelle la splendeur.
Des eaux baignant ses pieds j'aime les blancs rapides ;
J'aime à voir les grands troncs s'élancer intrépides
Du sein de l'écume des flots.
J'aime son front usé par la sifflante bise ;
J'aime quant à ses pieds vient souffler la brise ;
J'aime son paisible repos.
Quand des feux de l'été la grève s'illumine,
Il m'est doux de rêver sous la croulante ruine,
Dernier débris du vieux moulin ;
Quand, libre de l'étude, on me mène au rivage
Où languit oublié ce granit d'un autre âge,
Je lui souris dans le lointain.
Qu'il est de poésie en son morne silence
Et dans sa côte abrupte où le grand pin s'élance
En montant vers l'azur des cieux !
Et que de souvenirs sur la déserte rive
Où ne soupire plus que l'onde fugitive !...
C'est là que vivaient nos aïeux !
Leurs ossements blanchis dorment au cimetière,
Mais l'oeuvre de leurs mains s'élève, encore altière,
Semblant braver les éléments :
Ainsi, dans nos forêts, on voit un chêne antique,
Au milieu d'arbres morts se dressant magnifique,
Braver la rage des vents.
Sylvestre Sylvestre* (1877)
Tiré de : La Voix de l'écolier, Collège de Joliette, Vol. 1, No 18, 15 juin 1877. Sur le « Vieux Moulin », voyez ci-dessous un article paru dans le même journal le 15 juin 1877.
* Sylvestre Sylvestre est né à L'Ile-aux-Castors, à Berthierville, le 28 octobre 1857, de Louis Sylvestre, cultivateur, député puis conseiller législatif, et de Marie-Louise Plante. Il étudia au Collège de l'Assomption de 1870 à 1876, puis compléta son cours classique au Collège de Joliette.
Après ses études en droit à l'Université Laval de Montréal, il fut reçu avocat en 1879 et pratiqua sa profession à Québec, au sein d'une étude légale dans laquelle il était l'associé de Lomer Gouin, premier ministre du Québec de 1905 à 1920. Il fut secrétaire du célèbre curé Antoine Labelle, développeur du Nord, lorsque ce dernier occupait le poste de sous-commissaire au département de l'Agriculture et de la Colonisation. Il fut également l'exécuteur testamentaire du curé Labelle. Par la suite, Sylvestre Sylvestre devint sous-ministre de l'Agriculture, puis sous-ministre des Travaux publics jusqu'en 1921, année de sa retraite.
Sylvestre Sylvestre est mort à Québec le 7 septembre 1950. Il est inhumé au cimetière de l'Ile-Dupas. Il avait épousé Marie-Antoinette Biron, à Saint-Cuthbert, le 25 novembre 1885.
Le lac Sylvestre, au Saguenay, commémore son souvenir.
(Sources : Les anciens du Collège de l'Assomption : les membres du 38e cours, p. 18 ; journal L'Action catholique, 9 septembre 1950 ; Noms géographiques de la province de Québec, Québec, Département des terres et forêts, 1921, p. 289 ; Ancestry. ca ; M. Claude Larochelle ; Album souvenir : le Congrès de la langue française au Canada et le IIIe centenaire de Québec, Québec, compagnie de publication Le Soleil, 1912, p. 22a).
(Sources : Les anciens du Collège de l'Assomption : les membres du 38e cours, p. 18 ; journal L'Action catholique, 9 septembre 1950 ; Noms géographiques de la province de Québec, Québec, Département des terres et forêts, 1921, p. 289 ; Ancestry. ca ; M. Claude Larochelle ; Album souvenir : le Congrès de la langue française au Canada et le IIIe centenaire de Québec, Québec, compagnie de publication Le Soleil, 1912, p. 22a).
On aperçoit sur cette photo Sylvestre Sylvestre en 1889, alors qu'il avait 31 ou 32 ans, le premier debout à gauche de la deuxième rangée, portant un habit pâle et une barbe. On reconnaît assis au centre de la table, les bras croisés, Honoré Mercier, alors premier ministre du Québec, et à sa droite le célèbre colonisateur du Nord, le curé Antoine Labelle. (Source : M. Claude Larochelle, que nous remercions ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Sylvestre Sylvestre, tiré de la photo précédente. |
Le poème Le Vieux Moulin, ci-haut, est tiré de l'édition du 15 juin 1877 du journal estudiantin La Voix de l'écolier, du Collège de Joliette. |
Cet article consacré au Vieux Moulin, dont l'auteur est
Joseph Laporte, étudiant au Collège de Joliette, est paru
dans l'édition du 15 février 1879 de La Voix de l'écolier :
LE
VIEUX MOULIN
I
Le voyageur qui, vers la
mi-juin, s'éloigne de Joliette par le sud de la ville, foule un chemin formé
d'un sable fin, brûlé au contact des rayons solaires, cédant jusqu'à une
certaine profondeur sous la pression de ses pas, mais qui ne tarde pas à se
changer en une terre plus ferme pour se couvrir à quelque distance d'herbes
vertes.
Peu à peu la route se borde de
rosiers sauvages ou de mûriers ; tantôt elle s'approche d'une rive escarpée au
bas de laquelle l'Assomption roule en mugissant ses flots que déchirent partout
des roches aigües, tantôt elle se découpe sur une campagne verdoyante. Aux
abords de la ville s'offrent ça et là quelques habitations dont l'une se cache
sous de grands arbres tandis que les autres étalent toutes leurs richesses
légumières symétriquement rangées dans l'enclos des jardins.
Cependant, à mesure que la
distance augmente entre le touriste et la ville, la culture s'attriste, les
champs sont embarrassés de taillis ; une seule maison se rencontre encore, elle
est bien basse et bien chétive. Sur la gauche une lande écorchée par le vent ne
présente plus que quelques arêtes sablonneuses ; à droite bientôt la forêt
commence, et le chemin, se précipitant tout à coup, forme une pente rapide,
tandis qu'une courbe profonde le ramène près de la rivière.
Dans le triangle déterminé par
la voie publique à droite et les eaux à gauche, une ravissante perspective
vient soudainement frapper la vue par des tons variés et des ombres dont le
peintre essaierait vainement de reproduire l'effet ; le tout enchâssé comme une
coupe d'émeraude dans des bords de gazon et de feuillage et placé sous un ciel
profond aux reflets d'azur, où flottent quelques petits nuages légèrement
teints de pourpre ou lamés d'argent, tels que des flocons de laine dérobés aux
buissons pour être semés sur la surface des flots bleus.
La rivière, vers laquelle
s'incline doucement la rive droite et qui voit l'autre bord suspendre au-dessus
de son sein d'énormes roches à la crête chevelue, réunit en cet endroit ses
ondes qu'elle retient un instant captives, pour les précipiter tout à coup avec
fracas dans une déchirure profonde de son lit rocailleux. Cette cascade dont la
grande voix mugit sans cesse, dont les eaux se soulèvent en tourbillons
écumeux, se tordent et fuient rapides, est le plus bel ornement du paysage.
Le regard s'arrête ensuite avec
curiosité sur une vieille ruine qui, malgré sa tête chenue, son pied calciné,
ses flancs pleins de lézardes, dresse encore avec fierté ses pierres d'un autre
âge, étale avec orgueil les décombres dont elle a jonché le sol, semble se
targuer des couleurs grises dont elle tache un tableau éblouissant de jeunesse
et de vie. Ce pan de cheminée, dernier vestige d'un édifice dont les
renflements et les nombreuses dépressions du terrain indiquent l'ancienne
étendue, est ce qui porte encore le nom de VIEUX MOULIN.
Le site a des aspects
pittoresques, tant de lumière et de vivacité, surtout tant de sauvage poésie,
que le promeneur ne peut s'empêcher d'y diriger souvent ses pas pour y rêver
sous l'ombrage, bercé par le sourd grondement des ondes ou les airs joyeux des
bandes ailées qui habitent les mille retraites de la forêt.
Il faut voir dans les journées
de soleil des familles entières s'ébattre au milieu de cette charmante
clairière. Les jeunes enfants vont se mirer dans les petites vagues qui lèchent
les galets ; les plus hardis vont jusqu'à laisser pendre leurs pieds dans le
liquide séducteur ; d'autres, les joues en feu, poursuivant les insectes ou
cueillant les fleurs qui émaillent le tapis de verdure, laissent échapper des
rires frais pleins d'un immense bonheur. Les aînés sont occupés l'un à préparer
les fourneaux dont la fumée s'élève aussitôt au milieu des débris de l'antique
cheminée ; l'autre, stoïquement assis près des eaux, une longue perche à la
main, jette un regard distrait aux frétillants poissons qu'il a capturés et
qu'un creux du rocher plein d'eau de pluie retient prisonniers ; un troisième,
debout sur les blocs rugueux qui se penchent au-dessus de la cascade, contemple
rêveur le tourbillon des flots rongeant les pierres contre lesquelles il se
brise.
Les scènes agrestes et les
tableaux de joies intimes qu'offrent ces lieux où la nature semble avoir
répandu ses plus vives couleurs, sont nombreux et variés comme les jours de la
belle saison. Il n'est peut-être pas un habitant de Joliette qui ne connaisse
cette promenade si vantée ; pas un élève de toutes les générations sorties de
notre Collège qui ne soit allé folâtrer autour des ruines du « Vieux Moulin ».
II
Chose étrange que le temps ! Il
est indispensable à l'activité humaine et il détruit avec la sûreté du
moissonneur ce qu'il avait concouru à édifier ; il aide l'homme qui construit,
il sert la plante qui croît pour braver les vents et la liane qui rampe et se tord
dans les crevasses du rocher ; mais il se fait de même l'allié de la tempête
qui déracine le chêne, du froid qui fend le cailloux, de l'humidité qui suinte
et lézarde nos murs ; il est surtout la force de la goutte d'eau qui creuse la
pierre ; il s'acharne sans pitié à ce qui est debout ou qui fut quelque chose,
il respecte et laisse grandir ce qui naît ou ne fut rien.
Combien de fois n'avons-nous
pas vu s'accomplir sous nos yeux ces deux actions contraires du temps ?
Joliette, qui maintenant s'élève gracieuse et pimpante, est parée des dépouilles opimes
de la forêt : à chaque blanche maisonnette qui jadis surgissait du sol, on
avait sacrifié une hécatombe de chênes vigoureux, ornements de l'endroit, car
il fut un temps où les lieux que nous habitons disparaissaient totalement sous
le sombre couvert d'un bois épais. À la place de nos rues vastes et découpées
avec symétrie, de hautes futaies s'élançaient, enchevêtrant leurs branches
mêlées de vignes sauvages.
On ne voyait alors aucun
sentier, guide du voyageur, entre les troncs noueux des grands arbres et au
milieu de ces retraites pleines de mystère. Pourtant un petit chemin sortant du
village de St-Paul, bordé d'abord d'ormes haut lancés, ne semblait-il pas
s'enfoncer au plus épais du fourré pour gagner dans la direction du site
qu'occupe notre petite ville ? Oui, et chaque jour quelque paysan, montant une
lourde charrette chargée de sacs d'un blé généreux, n'allait-il pas sur le
parcours de cette route, mêlant à la grande voix des bois quelque vieille
chanson normande ?
Mais le voyageur, après avoir
atteint la berge et remonté quelques instants le cours de la rivière,
débouchait tout à coup avec un soupir de satisfaction au milieu d'une étroite
clairière et saluait d'un refrain joyeux une cascade toute blanche d'écume
ainsi qu'une habitation massive dont le toit rouge tranchait sur le vert
feuillage des bois et les flots bouillonnants de l'Assomption. C'était le MOULIN
qui n'avait pas encore mérité son épithète de VIEUX.
Il était là sous sa toiture en
biseau : ses quatre murs percés de larges ouvertures toutes blanches avec leur
épaisse couche de poussière farineuse, se cramponnaient fortement au roc de la
grève, et une petite construction également de pierre, se détachant du flanc
oriental semblable à un pesant bastion, venait s'asseoir sur un canal naturel
taillé sur la roche vive, dans lequel coulait à pleins bords une onde
tourmentée dont le clapotis et les heurts puissants se mêlaient aux
bruissements saccadés et aux sourds grondements des meules broyant le grain.
Vers le centre du moulin,
faisant face à la voie publique, une vaste porte toute grise aussi, imprégnée
par le nuage de farine auquel elle livrait sans cesse passage, offrait entre
les garde-fous de son solide perron, une entrée commode aux clients du meunier.
Mais le côté ouest de la bâtisse attirait l'attention d'une manière
particulière par le contraste frappant qu'il formait avec les murs latéraux.
Plus d'une fois, tandis qu'on
replaçait dans leur voiture le froment qu'elles avaient apporté, maintenant
changé en une riche farine, de bonnes paysannes s'étaient surprises à diriger
un regard curieux vers le pignon aux gentilles fenêtres ornées de blancs
rideaux, puis encadrées dans une verte guirlande de houblon ; elles enviaient
le bonheur qui habitait derrière ces pierres à demi-cachées par les pruniers en
fleurs et les bouquets d'aubépine ; elles avaient deviné que c'étaient là les
appartements de la meunière et de sa paisible famille. Les honnêtes paysans,
habitués du moulin, jouissaient aussi du coup d'œil charmant que présentait le
modeste potager adossé à cette partie de l'habitation.
Tel était le moulin de M. de
Lavaltrie en 182o : une construction à la pesante carrure, mais dont la mine
pittoresque ne pouvait qu'orner davantage un site plus pittoresque encore ; tel
on retrouverait le vieux moulin si, réunissant la poudre que le vent a semée
là-bas sur les bords de l'Assomption et les débris épars dans l'herbe fraîche,
on les rapprochait, après leur avoir rendu leur forme primitive, de la cheminée
vieille et solitaire dont l'ouragan traînera bientôt dans les flots les
derniers décombres.
Tiré de : La Voix de l'écolier, Collège de
Joliette, Vol. III, no 10, 15 février 1879.
Extrait d'un article paru dans Le Devoir du 28 février 1931 au sujet du Vieux Moulin de Joliette. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Extrait de Gerbes de souvenirs, tome 1, de l'abbé A.-C. Dugas, Montréal, Arbour & Dupont Imprimeurs-Éditeurs, 1914, p. 29. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Sylvestre Sylvestre, alors sous-ministre de l'Agriculture, dans l'Album souvenir du Congrès de la langue française et du IIIe centenaire de Québec, Québec, Compagnie de publication Le Soleil, 1912, p.22. |
Sylvestre Sylvestre dans sa cinquantaine. (Source : Ancestry.ca) |
Sylvestre Sylvestre était le fils de Louis Sylvestre (1832-1914), député puis conseiller législatif. (Source : Pierre-Georges Roy, La législature de Québec, Lévis, Bulletin des recherches historiques, 1897, p. 48) |
Article paru dans le journal L'Action catholique, de Québec, le 9 septembre 1950, à l'occasion de la mort de Sylvestre Sylvestre. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
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merci Daniel de nous faire connaître ce poète et cette tranche d'histoire.
RépondreSupprimerEn faisant une recherche sur le Vieux Moulin de Joliette j'ai trouvé un beau poème sur votre site que j'ai cité dans mon article: https://montrealbb.ca/moulin-saint-paul/
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