vendredi 5 juillet 2019

Le Vieux Moulin de Joliette

Site où se trouvait le Vieux Moulin qu'évoque dans le poème ci-dessous de
Sylvestre Sylvestre (1857-1950), alors étudiant au Collège de Joliette.

Le jeune poète apporte cette précision quant au site du Vieux Moulin :


« But de promenade, sur les bords de la rivière l'Asssomption, à 3 miles de Joliette ».

Le poème est paru pour la première fois dans l'édition du 15 juin 1877 de

La Voix de l'écolier, journal publié par le Collège de Joliette. À l'époque
où le poème fut composé, il restait encore quelques ruines du moulin 
devenu inopérant en 1828. De nos jours il n'en reste plus que quelques
 rares vestiges à peine perceptibles. Il est toutefois encore évoqué par 
le Chemin du Vieux-Moulin.

(Photo : Daniel Laprès, 4 juillet 2019 ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) 




   Bravant les coups du temps, une muraille grise
   Solitaire survit, tout près de l'onde assise ;
            À ses pieds la vague mugit.
   Déjà bien des hivers ont couronné sa tête
   De neige et de frimas ; bien souvent la tempête
            A battu son flanc décrépit. 

   Elle reste debout, fière de ses années,
   Les ruines tout autour gisant amoncelées
            Lui donnent un air de grandeur.
   Elle domine au loin le cours de la rivière ;
   De l'antique moulin rentré dans la poussière
            Elle rappelle la splendeur. 

   Des eaux baignant ses pieds j'aime les blancs rapides ; 
   J'aime à voir les grands troncs s'élancer intrépides
            Du sein de l'écume des flots. 
   J'aime son front usé par la sifflante bise ;
   J'aime quant à ses pieds vient souffler la brise ;
            J'aime son paisible repos.

   Quand des feux de l'été la grève s'illumine,
   Il m'est doux de rêver sous la croulante ruine,
            Dernier débris du vieux moulin ;
   Quand, libre de l'étude, on me mène au rivage
   Où languit oublié ce granit d'un autre âge,
            Je lui souris dans le lointain. 

   Qu'il est de poésie en son morne silence
   Et dans sa côte abrupte où le grand pin s'élance
            En montant vers l'azur des cieux ! 
   Et que de souvenirs sur la déserte rive
   Où ne soupire plus que l'onde fugitive !...
            C'est là que vivaient nos aïeux ! 

   Leurs ossements blanchis dorment au cimetière,
   Mais l'oeuvre de leurs mains s'élève, encore altière,
            Semblant braver les éléments : 
   Ainsi, dans nos forêts, on voit un chêne antique,
   Au milieu d'arbres morts se dressant magnifique, 
            Braver la rage des vents. 

                                    Sylvestre Sylvestre(1877)




Tiré de :  La Voix de l'écolier, Collège de Joliette, Vol. 1, No 18, 15 juin 1877. Sur le « Vieux Moulin », voyez ci-dessous un article paru dans le même journal le 15 juin 1877. 


*  Sylvestre Sylvestre est né à L'Ile-aux-Castors, à Berthierville, le 28 octobre 1857, de Louis Sylvestre, cultivateur, député puis conseiller législatif, et de Marie-Louise Plante. Il étudia au Collège de l'Assomption de 1870 à 1876, puis compléta son cours classique au Collège de Joliette
   Après ses études en droit à l'Université Laval de Montréal, il fut reçu avocat en 1879 et pratiqua sa profession à Québec, au sein d'une étude légale dans laquelle il était l'associé de Lomer Gouin, premier ministre du Québec de 1905 à 1920. Il fut secrétaire du célèbre curé Antoine Labelle, développeur du Nord, lorsque ce dernier occupait le poste de sous-commissaire au département de l'Agriculture et de la Colonisation. Il fut également l'exécuteur testamentaire du curé Labelle. Par la suite, Sylvestre Sylvestre devint sous-ministre de l'Agriculture, puis sous-ministre des Travaux publics jusqu'en 1921, année de sa retraite. 
   Sylvestre Sylvestre est mort à Québec le 7 septembre 1950. Il est inhumé au cimetière de l'Ile-Dupas. Il avait épousé Marie-Antoinette Biron, à Saint-Cuthbert, le 25 novembre 1885.
   Le lac Sylvestre, au Saguenay, commémore son souvenir. 
(Sources : Les anciens du Collège de l'Assomption : les membres du 38e cours, p. 18 ; journal L'Action catholique, 9 septembre 1950 ; Noms géographiques de la province de Québec, Québec, Département des terres et forêts, 1921, p. 289 ; Ancestry. ca ; M. Claude Larochelle ; Album souvenir : le Congrès de la langue française au Canada et le IIIe centenaire de Québec, Québec, compagnie de publication Le Soleil, 1912, p. 22a).



On aperçoit sur cette photo Sylvestre Sylvestre en 1889, alors qu'il avait
31 ou 32 ans, le premier debout à gauche de la deuxième rangée, portant
un habit pâle et une barbe. On reconnaît assis au centre de la table, les
bras croisés, Honoré Mercier, alors premier ministre du Québec, et
à sa droite le célèbre colonisateur du Nord, le curé Antoine Labelle.

(Source : M. Claude Larochelle, que nous remercions ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Sylvestre Sylvestre, tiré
de la photo précédente.

Le poème Le Vieux Moulin, ci-haut, est tiré de l'édition du 15 juin 1877
du journal estudiantin La Voix de l'écolier, du Collège de Joliette.



Cet article consacré au Vieux Moulin, dont l'auteur est 
Joseph Laporte, étudiant au Collège de Joliette, est paru 
dans l'édition du 15 février 1879 de La Voix de l'écolier : 



LE VIEUX MOULIN

I

Le voyageur qui, vers la mi-juin, s'éloigne de Joliette par le sud de la ville, foule un chemin formé d'un sable fin, brûlé au contact des rayons solaires, cédant jusqu'à une certaine profondeur sous la pression de ses pas, mais qui ne tarde pas à se changer en une terre plus ferme pour se couvrir à quelque distance d'herbes vertes.

Peu à peu la route se borde de rosiers sauvages ou de mûriers ; tantôt elle s'approche d'une rive escarpée au bas de laquelle l'Assomption roule en mugissant ses flots que déchirent partout des roches aigües, tantôt elle se découpe sur une campagne verdoyante. Aux abords de la ville s'offrent ça et là quelques habitations dont l'une se cache sous de grands arbres tandis que les autres étalent toutes leurs richesses légumières symétriquement rangées dans l'enclos des jardins.

Cependant, à mesure que la distance augmente entre le touriste et la ville, la culture s'attriste, les champs sont embarrassés de taillis ; une seule maison se rencontre encore, elle est bien basse et bien chétive. Sur la gauche une lande écorchée par le vent ne présente plus que quelques arêtes sablonneuses ; à droite bientôt la forêt commence, et le chemin, se précipitant tout à coup, forme une pente rapide, tandis qu'une courbe profonde le ramène près de la rivière.

Dans le triangle déterminé par la voie publique à droite et les eaux à gauche, une ravissante perspective vient soudainement frapper la vue par des tons variés et des ombres dont le peintre essaierait vainement de reproduire l'effet ; le tout enchâssé comme une coupe d'émeraude dans des bords de gazon et de feuillage et placé sous un ciel profond aux reflets d'azur, où flottent quelques petits nuages légèrement teints de pourpre ou lamés d'argent, tels que des flocons de laine dérobés aux buissons pour être semés sur la surface des flots bleus.

La rivière, vers laquelle s'incline doucement la rive droite et qui voit l'autre bord suspendre au-dessus de son sein d'énormes roches à la crête chevelue, réunit en cet endroit ses ondes qu'elle retient un instant captives, pour les précipiter tout à coup avec fracas dans une déchirure profonde de son lit rocailleux. Cette cascade dont la grande voix mugit sans cesse, dont les eaux se soulèvent en tourbillons écumeux, se tordent et fuient rapides, est le plus bel ornement du paysage.

Le regard s'arrête ensuite avec curiosité sur une vieille ruine qui, malgré sa tête chenue, son pied calciné, ses flancs pleins de lézardes, dresse encore avec fierté ses pierres d'un autre âge, étale avec orgueil les décombres dont elle a jonché le sol, semble se targuer des couleurs grises dont elle tache un tableau éblouissant de jeunesse et de vie. Ce pan de cheminée, dernier vestige d'un édifice dont les renflements et les nombreuses dépressions du terrain indiquent l'ancienne étendue, est ce qui porte encore le nom de VIEUX MOULIN.

Le site a des aspects pittoresques, tant de lumière et de vivacité, surtout tant de sauvage poésie, que le promeneur ne peut s'empêcher d'y diriger souvent ses pas pour y rêver sous l'ombrage, bercé par le sourd grondement des ondes ou les airs joyeux des bandes ailées qui habitent les mille retraites de la forêt.

Il faut voir dans les journées de soleil des familles entières s'ébattre au milieu de cette charmante clairière. Les jeunes enfants vont se mirer dans les petites vagues qui lèchent les galets ; les plus hardis vont jusqu'à laisser pendre leurs pieds dans le liquide séducteur ; d'autres, les joues en feu, poursuivant les insectes ou cueillant les fleurs qui émaillent le tapis de verdure, laissent échapper des rires frais pleins d'un immense bonheur. Les aînés sont occupés l'un à préparer les fourneaux dont la fumée s'élève aussitôt au milieu des débris de l'antique cheminée ; l'autre, stoïquement assis près des eaux, une longue perche à la main, jette un regard distrait aux frétillants poissons qu'il a capturés et qu'un creux du rocher plein d'eau de pluie retient prisonniers ; un troisième, debout sur les blocs rugueux qui se penchent au-dessus de la cascade, contemple rêveur le tourbillon des flots rongeant les pierres contre lesquelles il se brise.

Les scènes agrestes et les tableaux de joies intimes qu'offrent ces lieux où la nature semble avoir répandu ses plus vives couleurs, sont nombreux et variés comme les jours de la belle saison. Il n'est peut-être pas un habitant de Joliette qui ne connaisse cette promenade si vantée ; pas un élève de toutes les générations sorties de notre Collège qui ne soit allé folâtrer autour des ruines du « Vieux Moulin ».

II

Chose étrange que le temps ! Il est indispensable à l'activité humaine et il détruit avec la sûreté du moissonneur ce qu'il avait concouru à édifier ; il aide l'homme qui construit, il sert la plante qui croît pour braver les vents et la liane qui rampe et se tord dans les crevasses du rocher ; mais il se fait de même l'allié de la tempête qui déracine le chêne, du froid qui fend le cailloux, de l'humidité qui suinte et lézarde nos murs ; il est surtout la force de la goutte d'eau qui creuse la pierre ; il s'acharne sans pitié à ce qui est debout ou qui fut quelque chose, il respecte et laisse grandir ce qui naît ou ne fut rien.

Combien de fois n'avons-nous pas vu s'accomplir sous nos yeux ces deux actions contraires du temps ? Joliette, qui maintenant s'élève gracieuse et pimpante, est parée des dépouilles opimes de la forêt : à chaque blanche maisonnette qui jadis surgissait du sol, on avait sacrifié une hécatombe de chênes vigoureux, ornements de l'endroit, car il fut un temps où les lieux que nous habitons disparaissaient totalement sous le sombre couvert d'un bois épais. À la place de nos rues vastes et découpées avec symétrie, de hautes futaies s'élançaient, enchevêtrant leurs branches mêlées de vignes sauvages.

On ne voyait alors aucun sentier, guide du voyageur, entre les troncs noueux des grands arbres et au milieu de ces retraites pleines de mystère. Pourtant un petit chemin sortant du village de St-Paul, bordé d'abord d'ormes haut lancés, ne semblait-il pas s'enfoncer au plus épais du fourré pour gagner dans la direction du site qu'occupe notre petite ville ? Oui, et chaque jour quelque paysan, montant une lourde charrette chargée de sacs d'un blé généreux, n'allait-il pas sur le parcours de cette route, mêlant à la grande voix des bois quelque vieille chanson normande ?

Mais le voyageur, après avoir atteint la berge et remonté quelques instants le cours de la rivière, débouchait tout à coup avec un soupir de satisfaction au milieu d'une étroite clairière et saluait d'un refrain joyeux une cascade toute blanche d'écume ainsi qu'une habitation massive dont le toit rouge tranchait sur le vert feuillage des bois et les flots bouillonnants de l'Assomption. C'était le MOULIN qui n'avait pas encore mérité son épithète de VIEUX.

Il était là sous sa toiture en biseau : ses quatre murs percés de larges ouvertures toutes blanches avec leur épaisse couche de poussière farineuse, se cramponnaient fortement au roc de la grève, et une petite construction également de pierre, se détachant du flanc oriental semblable à un pesant bastion, venait s'asseoir sur un canal naturel taillé sur la roche vive, dans lequel coulait à pleins bords une onde tourmentée dont le clapotis et les heurts puissants se mêlaient aux bruissements saccadés et aux sourds grondements des meules broyant le grain.

Vers le centre du moulin, faisant face à la voie publique, une vaste porte toute grise aussi, imprégnée par le nuage de farine auquel elle livrait sans cesse passage, offrait entre les garde-fous de son solide perron, une entrée commode aux clients du meunier. Mais le côté ouest de la bâtisse attirait l'attention d'une manière particulière par le contraste frappant qu'il formait avec les murs latéraux.

Plus d'une fois, tandis qu'on replaçait dans leur voiture le froment qu'elles avaient apporté, maintenant changé en une riche farine, de bonnes paysannes s'étaient surprises à diriger un regard curieux vers le pignon aux gentilles fenêtres ornées de blancs rideaux, puis encadrées dans une verte guirlande de houblon ; elles enviaient le bonheur qui habitait derrière ces pierres à demi-cachées par les pruniers en fleurs et les bouquets d'aubépine ; elles avaient deviné que c'étaient là les appartements de la meunière et de sa paisible famille. Les honnêtes paysans, habitués du moulin, jouissaient aussi du coup d'œil charmant que présentait le modeste potager adossé à cette partie de l'habitation.

Tel était le moulin de M. de Lavaltrie en 182o : une construction à la pesante carrure, mais dont la mine pittoresque ne pouvait qu'orner davantage un site plus pittoresque encore ; tel on retrouverait le vieux moulin si, réunissant la poudre que le vent a semée là-bas sur les bords de l'Assomption et les débris épars dans l'herbe fraîche, on les rapprochait, après leur avoir rendu leur forme primitive, de la cheminée vieille et solitaire dont l'ouragan traînera bientôt dans les flots les derniers décombres.

Tiré de : La Voix de l'écolier, Collège de Joliette, Vol. III, no 10, 15 février 1879.


« Des eaux baignant ses pieds j'aime les blancs rapides ; 
J'aime à voir les grands troncs s'élancer intrépides
Du sein de l'écume des flots ».

(Photo : Daniel Laprès, 4 juillet 2019 ; 
cliquer sur l'image pour l'agrandir)


Extrait d'un article paru dans Le Devoir du 28 février
1931 au sujet du Vieux Moulin de Joliette.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Extrait de Gerbes de souvenirs, tome 1, de l'abbé A.-C. Dugas,
Montréal, Arbour & Dupont Imprimeurs-Éditeurs, 1914, p. 29.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Sylvestre Sylvestre, alors sous-ministre
de l'Agriculture, dans l'Album souvenir
du Congrès de la langue française et du
IIIe centenaire de Québec
, Québec,
Compagnie de publication Le Soleil,
1912, p.22.

Sylvestre Sylvestre dans sa cinquantaine.

(Source : Ancestry.ca)

Sylvestre Sylvestre était le fils de
Louis Sylvestre (1832-1914), député 
puis conseiller législatif.

(Source : Pierre-Georges Roy,

La législature de Québec, Lévis, 
Bulletin des recherches historiques, 
1897, p. 48)

Article paru dans le journal L'Action catholique, de
Québec, le 9 septembre 1950, à l'occasion de la
mort de Sylvestre Sylvestre.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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2 commentaires:

  1. merci Daniel de nous faire connaître ce poète et cette tranche d'histoire.

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  2. En faisant une recherche sur le Vieux Moulin de Joliette j'ai trouvé un beau poème sur votre site que j'ai cité dans mon article: https://montrealbb.ca/moulin-saint-paul/

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