samedi 27 avril 2019

Revenez, échos du temps passé

Paul-Émile Lavallée (1899-1922)

(Source : J.-M.-R. Villeneuve, L'un 
des vôtresMontréal, Bibliothèque
de l'Action française, 1927)

      


              (FRAGMENTS)


   Élaborer enfin les semences futures,
   Nous préparer, vaillants, aux luttes de demain :
   Tel est le doux emploi de ces heures obscures
   Dont se compose notre calme destin... [...] 

   Alors, qu'importera la route où l'on chemine
   Si nos cœurs sanctifiés débordent de trésors !
   Nous nous rassasierons de l'ivresse divine
   Qui viendra réveiller tous nos souvenirs morts...

   Nous nous rappellerons, alors, la croupe énorme
   De ces monts où jadis nous aimions à rêver,
   Et les profils géants que la nature forme
   Sur l'épiderme noir des vieux pans de rocher.

   Nous nous ressouviendrons des frissons de l'onde
   Et des chants de la brise et des hymnes lointains
   Qu'en revenant, le soir, le vent jetait au monde
   Sur les bords de ce lac aux tranquilles destins.

   Brume des matins d'or aux franges de lumière
   Qui voiliez la colline et ses chastes beautés,
   Vagues qui nous berciez sur votre onde éphémère,
   Décors majestueux des couchants empourprés.

   Oh ! revenez alors, dans votre course agile,
   Souvenirs du jeune âge, échos du temps passé.
   Venez comme en ce jour, dans le miroir tranquille
   De nos lacs, nous montrer tout l'azur renversé.

   Puis, quand tout sombrera dans les luttes dernières,
   Quand nous tressaillerons d'un suprême sursaut,
   Et que, glacés d'horreur en face du tombeau,
   Nous crierons, mais en vain, nos angoisses amères,

   Quand l'effroi du trépas étreindra nos genoux
   Las d'avoir parcouru tant de routes méchantes,
   Et quand nos yeux hagards diront les épouvantes
   Que le vent de la mort hérisse autour de nous,

   Venez fermer sur nous les portes de la vie,
   Hâtez-vous d'accourir, ô souvenirs sacrés ;
   Prévenances du ciel, quand la terre est enfuie,
   Survivez en nos cœurs aux regrets égarés...

                          Paul-Émile Lavallée* (1922)



Tiré de : J.-M-Rodrigue Villeneuve, o.m.i., L'un des vôtres, Montréal, Bibliothèque de l'Action française, 1927, p. 318-320. Le poème n'y est pas titré, donc le titre Revenez, échos du temps passé, ci-haut, est de notre conception.

*  Paul-Émile Lavallée est né à Berthier le 18 juin 1899, de Joseph-Alfred Lavallée, cultivateur, et de Cordélia Lavallée. Il fréquenta l'école primaire du rang Saint-Esprit, où se trouvait la maison familiale. On le qualifia dès lors de « petit prodige ». Après une année (1910-11) au Collège de Berthier, il entra au Séminaire de Joliette, où dès les premières semaines il se mérita la première place en classe et la conservera jusqu'à à fin de ses études au Séminaire, en 1918, année où il fut élu président des élèves et finissants.
   Dès son adolescence, il publia des poésies et articles dans divers journaux. Il se fit dès lors également remarquer pour ses talents d'orateur : lors d'une soirée académique tenue en 1918, il livra un discours dont il a été dit qu'il était l'un des plus beaux et des meilleurs jamais prononcés au Séminaire. Il participa activement à l'Académie Saint-Étienne, vouée à la vie littéraire au sein du Séminaire. 
   En septembre 1918, il entra dans la congrégation des Oblats de Marie-Immaculée, où il fit son noviciat et son scolasticat (études philosophiques et théologiques).
   Il est l'auteur d'un journal personnel inédit, constitué de trois volumes de 300 pages chacun, et qui contient notamment de nombreux poèmes, dont le poème ci-haut. Il avait auparavant composé, durant ses études au Séminaire de Joliette, un volume de 400 pages manuscrites qu'il avait intitulé Journal quotidien de six ans de vie collégiale. Ces documents sont conservés aux Archives des Oblats de Marie-Immaculée.
   Paul-Émile Lavallée est mort noyé accidentellement le 15 août 1922, au lac MacGregor, en Outaouais, où se trouvait la maison d'été des étudiants de sa congrégation. Âgé de 23 ans, il devait être ordonné prêtre trois semaines plus tard. 
(Sources : Les Anciens du Séminaires ; écrivains et artistes, Joliette, 1927, p. 203-206 ; J.-M.-Rodrigue Villeneuve, L'un des vôtres : le scolastique Paul-Émile Lavallée, Montréal, Bibliothèque de l'Action française, 1927 ; journal L'Action populaire, Joliette, 24 août et 21 août 1922).

   Paul-Émile Lavallée avait développé un réel talent littéraire, et ce, non seulement en poésie, mais également en prose, comme en témoigne cet extrait d'une lettre écrite à un ami huit jours avant sa mort et dans laquelle, exprimant un vibrant patriotisme inspiré de la nature du pays, il présente le paysage environnant le lac MacGregor (où il se noiera peu après) 

 « Le lac se découpe, sous mes yeux, de cinq ou six îlots, ronds, brisés, en futaies de bois blancs, au feuillage vert tendre ; les grèves de sable fin ou de calcaire semblent taillées au couteau dans le marbre de Carrare. Plus loin, entre d'autres îles, de petits bras de mer, détroits gracieux, avec des échappées de lumière sur le versant sud des montagnes. Ce sont ces dernières qui ferment notre horizon. Pas d'Himalayas sans doute, ni de Jungfrau, mais des montagnes modestes, voûtées, aux croupes rondes et houleuses, sans panache ni arêtes vives, sans cascades ni glaciers. Comme ce sont, au dire des géologues, les plus vieilles du monde, elles ont bien des raisons de mépriser ces vanités...
   Il y a dans notre nature quelque chose tout à la fois de religieux, de mâle, de fier et de grandiose, qui fouette le sang et nous aide à garder le front haut. Oh ! la patrie, comme elle souffle et murmure partout, comme elle parle à l'âme un langage mystérieux et puissant... » 
(Source : J.-M.-Rodrigue Villeneuve, L'un des vôtres, p. 303-304).


Les extraits poétiques ci-haut sont tirés
de l'ouvrage biographique consacré à
Paul-Émile Lavallée, L'un des vôtres,
dont l'auteur, J.-M.-Rodrigue Villeneuve,
deviendra plus tard cardinal-archevêque
de Québec. ll reste trois exemplaires
de ce livre sur le marché en ligne,
voyez ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Famille de Paul-Émile Lavallée, que l'on
voit à droite et âgé d'environ 12 ans.

(Source : J.-M.-Rodrigue Villeneuve, L'un des vôtres ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Le Séminaire de Joliette, vu de la rive opposée de la rivière
l'Assomption, à l'époque où Paul-Émile Lavallée y fit ses
études classiques, entre 1911 et 1918.

(Source : BANQ : cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Paul-Émile Lavallée, peu de temps avant
sa mort accidentelle, à l'âge de 23 ans.

(Source : J.-M.-Rodrigue Villeneuve, L'un des vôtres ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dans les années 1920, cette croix était dressée à l'endroit où
fut trouvé le corps de Paul-Émile Lavallée, qui s'était noyé le
15 août 1922, alors qu'il se baignait dans le lac MacGregor.
La croix n'y est probablement plus de nos jours.

(Source : J.-M.-Rodrigue Villeneuve, L'un des vôtres ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Notice biographique sur Paul-Émile Lavallée dans Les Anciens
du Séminaire
, écrivains et artistes,  Joliette, 1927, p. 203-206.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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2 commentaires:

  1. Vraiment quel hommage il rend à notre génie québécois.

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    1. En effet. Nous avons bien des trésors cachés comme ce Paul-Émile Lavallée. À nous de les faire remonter à la surface après un injuste oubli...

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