jeudi 18 avril 2019

La baie de Québec

Augustin-Norbert Morin (1803-1865)

(Source : Michel Lessard,
Québec éternelle, p­. 412)




   Quels sont ces attrayants rivages
   Que baigne un lac majestueux ?
   Quels monts riants quoique sauvages
   S'étendent au nord sous mes yeux ?
   Puis cette cime crénelée,
   Et ces vaisseaux aux mâts luisants ?
   Cette ville en cercle étalée, 
   Et ces clochers qui font appel aux ans ?

   Ces traits hardis de la nature,
   Ces oeuvres de l'homme et de l'art,
   Ces tons que cherche la peinture, 
   Que les vers n'offrent nulle part,
   Cette chatoyante féérie
   Du mirage à double horizon ;
   Ces lieux enfin c'est ma patrie :
   Combien ses fils l'aiment avec raison !

   Cette île qui ferme la baie,
   Jadis chère au dieu des buveurs*,
   Le soir quand la brise est tombée,
   S'agite au chant des rameurs.
   Dans ses nouvelles destinées
   Orléans préfèrent aux raisins
   Ses hauteurs d'épis couronnées,
   Ses bords peuplés d'intrépides marins. 

   Et toi, cataracte fumante,
   Émule du Niagara, 
   Au désespoir de quelque amante,
   Dis, si ton gouffre servira...
   Jamais. Notre sage Amérique
   Ne verra point un pareil saut.
   Son nécrologe prosaïque
   Nomme Sam Patch et n'a pas de Sapho.

   Restes des sanglants stratagèmes
   Entre des peuples indomptés,
   Les Hurons s'éteignent d'eux-mêmes,
   Là, sur des sables écartés.
   Ils ont adopté nos vices,
   Ont-ils pris aussi nos vertus ?
   De nos moeurs la docte malice,
   En les fixant, les a-t-elle abattus ?

   Ce fleuve, qui là se resserre,
   Vit naviguer avec ardeur,
   Vers une bourgade étrangère,
   Cartier, pilote ambassadeur : 
   Cartier que l'histoire infidèle
   Abandonne après ses travaux,
   Fut-il un des aïeux d'Adèle** ?
   Quelle est la terre où reposent ses os ?

   Ceux que la mer aventureuse
   Porte chez les Napolitains,
   Par une ressemblance heureuse,
   Voient Québec dans des flots lointains :
   Même entour, même grâce austère,
   Et même ensemble d'accidents.
   Notre Vésuve... Ah ! le cratère
   En puisse-t-il rester fermé longtemps !

   Mais la plage que j'ai chantée
   Comme nous a ses jours de deuil.
   Par le froid, l'onde tourmentée
   Offre un vaste et mobile écueil. 
   Ces rideaux, si verts tout à l'heure,
   Apportent les premiers frimas,
   La neige vient, l'hiver demeure,
   Adieu, zéphirs, moissons, verdure, mâts. 

                      Augustin-Norbert Morin*** (1841)



Tiré de : Le Répertoire national, tome 2, deuxième édition, Montréal, J. M. Valois & Cie Libraires-Éditeurs, 1893, p. 222-224.

* Jacques Cartier avait nommé l'Ile d'Orléans « Île de Bacchus », du nom du dieu romain des buveurs, parce qu'il y aurait vu des vignes.

** Adèle est le prénom de l'épouse d'Augustin-Norbert Morin, qu'il fréquentait au moment de composer ce poème. Il l'épousa deux ans plus tard. C'est la seule explication qui nous semble plausible de l'insertion du prénom Adèle dans ce poème. 

*** Augustin-Norbert Morin est né à Saint-Michel-de-Bellechasse le 13 octobre 1803, d'Augustin Morin, cultivateur, et de Marianne Cottin dit Duval. Grâce à l'intervention du curé de la paroisse, l'abbé Thomas Maguire, il put faire, de 1815 à 1822, ses études classiques au Petit séminaire de Québec
     Il se joignit après au journal Le Canadien, ce qui lui permit de payer ses études de droit, puis il fonda en 1826 un autre journal, La Minerve. Après avoir suivi les cours de Denis-Benjamin Viger à Montréal, il devint avocat.
    En 1825, il adressa une lettre au juge Edward Bowen dans laquelle il se portait à la défense de l'usage de la langue française dans les cours de justice. La publication de cette lettre le révéla au public.
   En 1830, il fut élu député de Bellechasse et il devint dès lors l'un des principaux dirigeants du Parti patriote. Rédacteur des 92 résolutions, il défendit celles-ci auprès de la monarchie britannique. 
   À Québec, il dirigea la rébellion de 1837, jusqu'à la suspension de la constitution en 1838. En 1839, il fut jeté en prison, après avoir été recherché pour « haute trahison » par l'oppresseur britannique. 
  À sa sortie de prison, peu après puisque l'accusation était infondée, il s'opposa à l'Acte d'Union. Durant les décennies 1840 et 1850, il occupa diverses fonctions dans les nombreux gouvernements de coalition. Il fut tour à tour élu député de Nicolet, Bellechasse et Chicoutimi. 
   De 1848 à 1851, il fut orateur (président) de l'Assemblée législative du Canada-Uni. Premier ministre du Canada-Est de 1851 à 1855, il co-dirigea le Canada-Uni avec Francis Hincks pour le Canada-Ouest, sous la bannière du Parti réformiste. En 1854 et 1855, il forma un autre gouvernement avec Allan MacNab, un libéral-conservateur. En 1854, il parvint à abolir le régime seigneurial. Il démissionna le 26 janvier 1855, alors qu'il fut nommé juge à la Cour supérieure, où il oeuvra à parfaire le Code civil du Canada-Est. 
   En 1852, il avait été nommé premier doyen de la faculté de droit de l'Université Laval de Québec. Il est aussi connu pour avoir fondé les villages de Sainte-Adèle (d'après le prénom de son épouse), Morin-Heights et Val-Morin, dans la région des Laurentides.
   Augustin-Norbert Morin est mort à Sainte-Adèle le 27 juillet 1865. Ses funérailles eurent lieu à Saint-Hyacinthe, où il fut inhumé dans l'église Notre-Dame-du-Rosaire ; après 1984, son cercueil fut transporté au cimetière de Sainte-Rosalie. Il avait épousé Adèle Raymond le 28 février 1843 à la cathédrale Notre-Dame de Québec
(Sources : Assemblée nationale du QuébecBiographi.caWikipedia ; R. P. L. Lejeune, Dictionnaire général du Canada, tome 2, Ottawa, Presses de l'Université d'Ottawa, 1931, p. 318-319)

Pour en savoir plus sur Augustin-Norbert Morin, cliquer ICI 


Le poème La baie de Québec, ci-haut, est
tiré de la deuxième édition du Répertoire
national
, tome 2.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Augustin-Norbert Morin à l'époque des Rébellions
de 1837-38 auxquelles il participa activement.

(Source : Biographi.ca ; cliquer
sur l'image pour l'agrandir)

Augustin-Norbert Morin vers la fin de sa vie.

(Source : Wikipedia ; cliquer
sur l'image pour l'agrandir)

Deux anecdotes amusantes sur Auguste-Norbert Morin
tirées de l'ouvrage publié en 1913 par Edouard-Zotique
Massicotte
Anecdotes canadiennes, et que l'on peut
télécharger gratuitement ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Augustin-Norbert Morin ayant été une
figure majeure de l'histoire politique du
Québec, on lira avec grand profit cette
 très intéressante biographie signée
Jean-Marc Paradis et que l'on peut
se procurer dans toute bonne librairie.
Pour informations, cliquer ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Sam Patch, auquel Augustin-Norbert Morin fait allusion dans son poème ci-haut, était un
 jeune casse-cou américain, célèbre pour ses plongées dans les chutes Niagara et pour
d'autres sauts périlleux du genre. Il est mort à 22 ans, le 13 novembre 1829, en se
 jetant du haut des chutes Upper, à Rochester, dans l'état de New York. On aperçoit
à droite sa pierre tombale au cimetière de Charlotte, à Rochester, près du lieu où son
corps gelé fut retrouvé au printemps suivant dans la rivière Genesee.
Pour informations supplémentaires sur ce personnage légendaire, cliquer ICI (en anglais).


(Source de l'article : Gazette littéraire, revue française et étrangère de la littérature,
des sciences et des beaux-arts, Paris, première année, tome premier, 1830.
Source de la photo : Exploring Upstate )

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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2 commentaires:

  1. J'ai aimé entre autres les vers: "ces oeuvres de l'homme et de l'art...ces tons que cherche la peinture..." Que d'endroits professionnels il a parcouru! Un exemple de vie.

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    Réponses
    1. Tout à fait, sa vie est exemplaire. Si vous en avez le temps et le goût, je puis vous assurer qu'il vaut la peine de lire l'excellente et captivante biographie qui est présentée dans les illustrations ci-haut. Un personnage hors du commun, mais bel et bien issu de notre peuple.

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