samedi 15 décembre 2018

L'église de Saint-Eustache

Edmond Ladouceur (1868-1937)

(Source : BANQ)




   C'était un peuple jeune, oui ! mais il était fort,
   Il était surtout grand quand, aux jours de bataille,
   Ce peuple canadien*, à travers la mitraille, 
   Se faisait d'une église un sublime rempart. 

   Mil huit cent trente-sept ! époque triste et sainte,
   Tu rappelles des faits qu'on redit à genoux ;
   Tu nous parles de pleurs, de poudre et de courroux,
   Du sang de tes enfants tu restes toute teinte. 

   L'Anglais cruel, injuste, en ces temps faits de deuil,
   Avait cru tout braver, en fier aristocrate ;
   Le Canadien lui dit : arrière bureaucrate
   Du temple de nos droits, ne souillez pas le seuil !

   Et l'on vit Saint-Denis, après on vit Saint-Charles,
   Un instant, la victoire illumina nos champs ;
   Mais bientôt, le plus fort fit entendre ses chants
   Toujours accompagnés par le canon qui parle. 

   Et nos héros martyrs, les coeurs remplis d'espoir, 
   Déroulèrent alors leur cher drapeau sans tache,
   Mais, vaincus par le nombre, au feu de Saint-Eustache,
   Avec Chénier, leur chef, ils moururent un soir. 

   Et tu les vis mourir, ô sainte et noble église,
   Pour eux, de tes vieux murs, tu fis des boucliers
   Qui se dressent encor, superbes et altiers,
   Avec leur haut clocher que le soleil irise

   Et ces soldats, ces preux au courage vaillant, 
   Opposant aux Anglais leur pauvre fusillade,
   Voyaient fondre sur eux la rude canonnade
   Que les murs de l'église enduraient en tremblant.

   Vieux murs encor debout ! ô muette épopée !
   Page sainte d'histoire où l'on voit aujourd'hui
   Ce qu'un peuple bien jeune, à lui-même réduit,
   Peut faire pour venger sa liberté frappée.

   Je viens en ces grands jours me mêler, une fois,
   Au sublime concert d'amour et de louange,
   D'orgueil et de fierté, de bonheur sans mélange,
   Qu'une nation libre entonne à haute voix. 

   Les boulets de canon ont tailladé vos pierres
   Qui surent arrêter bien de cruels obus ;
   Mais l'Anglais triomphant, ô méprisable abus,
   Ajouta l'incendie aux balles meurtrières.

   Et bientôt, à travers de rouges tourbillons, 
   L'église disparut aux yeux des Patriotes,
   Tandis que les Anglais, véritables despotes,
   Irritaient contre nous leurs nombreux bataillons.

   Puis il fallut céder, car malgré leur courage,
   Les balles et le feu détruisaient nos soldats 
   Qui, pour rendre au pays comme un suprême hommage,
   Vidèrent leurs fusils au seuil de leur trépas !

   Gloire aux braves ! ― Respect à cette église austère
   Qui prend soin des héros couchés au cimetière ;
   Pour moi, quand je la vois, je m'incline, et voilà
   Que je prie à genoux devant ce temple-là. 

                                     Edmond Ladouceur** (1897)




Tiré de : Ant. Bissonnette (dir.) Soixante ans de liberté, 1837-97 ; souvenirs patriotiques de nos meilleurs écrivains, Montréal, éditions Déom & Frères, 1897, p. 18-20. 

* À l'époque, « Canadien » signifiait le peuple issu de Nouvelle-France et qui constitue de nos jours le peuple québécois. C'était avant que les Anglais ne nous volent notre nom et nos symboles nationaux. 

** Edmond Arthur Benoit Ladouceur est né à Saint-André-d'Argenteuil le 8 octobre 1868, d'Odilon Ladouceur, entrepreneur, et de Mathilda Lalande. Il fit sont cours classique au Collège Bourget, à Rigaud, puis suivit les cours de droit de l'Université Laval, à Montréal.
   Il fut admis à la profession d'avocat en juillet 1894, devenant par la suite un avocat réputé pour ses succès tant au civil qu'au criminel. En 1903, il fut appelé par le gouvernement du Québec à remplir les fonctions de sous-greffier de la Paix, qu'il occupa durant plus de vingt ans. Considéré par les membres du Barreau comme une autorité en droit criminel, il devint par la suite greffier de la Couronne.
  Fortement engagé en faveur du mutualisme, il fut membre du Club National (qui soutenait le premier ministre nationaliste Honoré Mercier),  de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, de l'Alliance française, des Chevaliers de Colomb et de la Société des Artisans canadiens-français
   Il fut maire de Pointe-aux-Trembles, dans l'est de l'île de Montréal, où il fit construire l'Hôtel-de-Ville et fut actif dans la fondation de l'Académie Roussin, une institution d'enseignement. Il avait aussi été échevin et commissaire scolaire au même endroit.
   Féru de littérature, il a publié de nombreux articles et poèmes dans divers périodiques.
   Le 15 juin 1896, il avait épousé Albertine Labbé à la cathédrale Saint-Jacques-le-Majeur, à Montréal. 
   Edmond Ladouceur est mort à Montréal le 24 avril 1937. 
(Sources : Raphaël Ouimet, Biographies canadiennes-françaises, Montréal, 1927, p. 441 ; Ancestry.ca ; La Presse, 26 avril 1937 ; Le Devoir, 26 avril 1937). 


Le poème L'église de Saint-Eustache, ci-haut,
a été publié dans ce recueil de textes en mémoire
des combats des Patriotes de 1837 paru en 1897
et que l'on peut télécharger gratuitement ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir) 

L'église de Saint-Eustache telle qu'elle apparaît de nos jours.

(Source : Sympatico.ca ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Scène de la bataille de Saint-Eustache, 14 décembre 1837.
On aperçoit l'église au fond.

(Source : Wikipedia ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) 

Scène de la bataille de Saint-Eustache, face à l'église.

(Source : Les Quatre Saisons)

«... Mais l'Anglais triomphant, ô méprisable abus,
Ajouta l'incendie aux balles meurtrières... »

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

«... Les boulets de canon ont tailladé vos pierres
Qui surent arrêter de bien cruels obus... ».

(Source : Wikipedia ; cliquer sur l'image pour l'agrand
ir)

Edmond Ladouceur, dix ans avant sa mort.

(Source : Biographies canadiennes-françaises)

La Presse, 26 avril 1937.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Le Devoir, 26 avril 1937.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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