mercredi 12 septembre 2018

Les Névades

Jules Tremblay (1879-1927)

(Source : CRCCF)




   La voix de la plaine
   De mystère est pleine
   Au déclin du jour. 

   Quand elle soupire
   Avec le zéphyre
   Un secret d'amour,

   Que de folles choses
   Entendent les roses
   Au sein du buisson.

   Si le coeur écoute,
   Souvent il redoute
   L'étrange leçon.

   La voix de la brise
   Au rocher se brise
   Comme en un sanglot ;

   Et sa morne plainte, 
   D'alarmes empreinte,
   Épanche son flot. 

   Quand revient l'automne
   La brume festonne
   Le linceul des bois.

   On entend les fauves
   Sous les arbres chauves
   Courir aux abois.

   La voix des tempêtes
   Frappant les arêtes
   Clame ses discords.

   Sa rage brutale,
   Aux moissons fatale,
   Redouble d'efforts. 

   Son sifflement rauque
   Passe en la nuit glauque
   Des cieux assombris.

   En bruyantes vagues
   Les tourbillons vagues
   Poussent des débris.

   La voix des Névades
   En fières bravades
   Nargue les humains.

   Elle attire au piège
   Plus d'un long cortège
   Qui bat les chemins. 

   Des spectres livides
   Aux chasseurs avides
   Inspirent l'horreur. 

   Et, dans les nuits froides,
   Des cadavres, roides
   Jettent la terreur. 

          Jules Tremblay* (1908)



Tiré de : Jules Tremblay, Des Mots et des Vers, Montréal, éditions Beauchemin, 1911, p. 95-99.

* Fils de Rémi Tremblay, journaliste et écrivain, et de Julie Lemieux, Jules Tremblay est né à Montréal le 5 juillet 1879. Après ses études au Collège Notre-Dame et à l'École normale Jacques-Cartier, il débuta sa carrière de journaliste en 1896, en collaborant aux quotidiens Le Canada français, de Saint-Jean-sur-Richelieu, et La Presse. Par la suite, il fut rédacteur aux journaux Le Temps, Le Devoir, La Justice (Ottawa), La Patrie.
   Il participa à divers mouvements sociaux et littéraires de Montréal et d'Ottawa, ayant été, tour à tour, secrétaire de l'Association canadienne-française d'éducation de l'Ontario, président de l'Alliance française d'Ottawa, de la Canadian Authors Association et du Bureau d'administration de la Bibliothèque municipale d'Ottawa. Il termina sa carrière comme traducteur de l'ordre du jour de la Chambre des communes.
   Fort estimé comme animateur culturel, il entra, en 1909, à l'École littéraire de Montréal dont il fut le secrétaire. Il fut également, entre de multiples autres fonctions, secrétaire du Conservatoire national de diction et d'élocution, du comité de fondation et de promotion de l'Hôpital Sainte-Justine, du comité de publicité du Monument Dollard et de la Société nationale de gymnastique. Il a aussi été secrétaire général du Conservatoire royal de musique de Montréal. Quelques jours avant sa mort, Jules Tremblay apprenait que l'Académie française lui décernait le titre d'officier.
   Il a notamment publié : Des Mots, des Vers (poésie, 1911) ; Le français en Ontario (1913) ; Une opinion sur la littérature canadienne-française (1913) ; La sépulture d'Étienne Brûlé (1915) ; Du Crépuscule aux Aubes (poésie, 1917) ; Les Ferments (poésie, 1917) ; Arômes du terroir (poésie, 1918) ; Les ailes qui montent (poésie, 1918) ; La vente de la poule noire (1920) ; Trouées dans les novales (1921) ; Nos lettres (1921) ; Sainte-Anne d'Ottawa : un résumé d'histoire, 1873-1923 (1925). 
   Jules Tremblay est mort à Ottawa le 28 novembre 1927. Il était l'époux de Blanche Carter.
(Source principale : Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1980, p. 357).

Pour en savoir plus sur Jules Tremblay, voyez ICI le vibrant hommage que lui rendit Séraphin Marion à l'occasion de son décès.

Nérée Beauchemin composa quant à lui ce poème en son hommage :
 



                   JULES TREMBLAY


   L'idéal pour lequel il vécut sa vie,
   Le rêve dont le noble artiste fut hanté,
   L'oeuvre que jusqu'au ciel son âme a poursuivie,
   Oh ! ce fut l'idéal de pure beauté. 

   Et quand la sombre mort dont parle l'Évangile,
   Prompte comme l'éclair qui sillone la nuit,
   D'un coeur étincelant fit éclater l'argile,
   La Camarde avait cru que tout était détruit. 

   Le corps était gisant. Mais l'âme solitaire,
   Qui dès l'aube montait vers le Vrai, vers le Beau,
   Avait déjà franchi les cercles du mystère,
   D'un seul coup d'aile, sans passer par le tombeau. 

   Sous les voûtes d'azur où la Vierge est assise,
   Dans la lumière d'or où, parmi les élus,
   Les fils glorifiés de Saint François d'Assise
   Jouissent d'un bonheur qui ne finira plus. 

   Par leurs chants les plus doux, par leurs plus belles proses,
   Le poète et l'aède aux stigmates vermeils
   Rediront à la Vierge, à la Rose des roses,
   La divine splendeur du Soleil des soleils. 

           Nérée Beauchemin, 11 décembre 1927 


Tiré de : Armand Guilmette, Nérée Beauchemin, son oeuvre, édition critique, Montréal, Les Presses de l'Université du Québec, 1973, p. 157-158. 


Des Mots et des Vers, recueil de Jules Tremblay
d'où est tiré le poème Les Névades, ci-haut.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dédicace manuscrite de Jules Tremblay au poète
Nérée Beauchemin dans son recueil Les Ferments (1917).
On y lit : « Au poète Nérée Beauchemin, un pionnier vaillant
de la muse canadienne. Hommage admiratif de Jules Tremblay ».

(Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Article de La Presse sur la mort de Jules Tremblay,
le jour du décès de celui-ci, le 28 novembre 1927.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Article paru dans Le Devoir le 29
novembre 1927, lendemain  de la
mort de Jules Tremblay. L'auteur
est le journaliste Omer Héroux.

(Source : BANQ ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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