Gaston de Montigny (1870-1914) Il revêtit ce costume de bédouin alors qu'il se trouvait en Afrique du Nord. (Source : Étoffe du pays, éditions Beauchemin, 1951) |
« Au fond des grandes forêts de là-bas, auprès d'un lac épandant l'onyx de ses eaux profondes qu'immobilise le repos des choses, un « chantier de bois rond » fait tache noire dans la transparence de la nuit. Sur le seuil, qu'effleurent quelques touffes de mignonnettes et de pensées polychromes, un jeune défricheur regarde et songe, tandis que s'éteignent les derniers tisons d'un feu de terre neuve, allumé dans la tourbe.
La lenteur des soirs bleus tombe dans le silence
Où chantent des sapins, des ailes et des fleurs ;
Sans brise, sur les nids, la feuille folle danse ;
Les étoiles d'opale ont des beautés de pleurs...
Asseulé dans la nuit dont la paix m'environne,
Je songe à l'au-delà qui peut sourire encor ;
Et mon âme, moins lasse, aime, espère et pardonne,
En un rêve d'oubli qui la berce et l'endort.
Comme un acier bruni, le lac aux reflets sombres
Tremble en anneaux d'argent quand la truite bondit ;
Les lourds sapins y vont baigner leurs lourdes ombres
Avec les monts lointains que l'espace noircit.
Et je rêve des yeux noirs comme ces pensées
Que l'été, de son aile, endeuille de velours ;
D'un sourire plus doux que l'éclat des rosées
Que le fil de la Vierge enlace en son parcours.
Sur les feuilles, Septembre a mis des mordorures,
Derniers coups de pinceau d'un artiste divin ;
La flamme qui languit orne d'enluminures
Les nacres et les ors et les rouges carmin...
J'attends l'âme inconnue où mon âme, à toute heure,
Sans se lasser jamais pourrait se regarder ;
Je voudrais qu'une main de sa caresse effleure
Un front où la tristesse aime tant s'attarder...
Dans la tourbe qui fume en agrandissant l'âtre
Où l'ombre, dans la cendre, étend des larmes d'or,
Le brin d'herbe qui brûle et s'affaisse, blanchâtre,
Semble dire : « L'amour est plus fort que la mort »...
Et mon rêve pressent l'extase qui peut être
Dans les doux pleurs qu'à deux l'on savoure et l'on boit,
Et voici que je sais où le bonheur, peut-être,
Attend que j'aille à lui pour s'incliner vers moi...
La lenteur des soirs bleus tombe dans le silence.
***
Les dernières gerbes d'étincelles d'or s'affaissent dans la cendre grise et la grande nuit plane, immobile, sur l'envolée des rêves et le repos des choses ».
Gaston de Montigny* (1908)
Tiré de : Gaston de Montigny, Étoffe du pays, pages retrouvées et présentées par Louvigny de Montigny, Montréal, éditions Beauchemin, 1951, p. 139-140. Ce poème est d'abord paru dans Le Journal de Françoise, le 20 juin 1908.
* Gaston de Montigny, frère de Louvigny, est né à Montréal le 27 mai 1870, de Benjamin-Antoine Testard de Montigny, recorder à la Cour de Montréal, et de Marie-Louise Hétu.
Il entrepris au Séminaire de Joliette (1888-1890) des études classiques qu'il abandonna pour devenir officier du 65e régiment des Carabiniers de Montréal (devenus Fusiliers Mont-Royal), avant d'ouvrir une école d'escrime.
Après l'échec d'une tentative de colonisation au Témiscamingue en 1892, il partit pour la France afin d'étudier à l'École nationale d'agriculture de Grignon. Enivré par le climat militariste qui régnait alors en France, il s'engagea dans la Légion étrangère et passa cinq ans en Afrique du Nord.
De retour au Québec, il fit en 1898 un nouvel essai de colonisation, cette fois au Lac-à-la-Chaîne, mais il dut abandonner, victime d'un incendie et du vandalisme des marchands de bois.
Il fit un séjour chez les Dominicains à Saint-Hyacinthe, puis s'installa comme « donné » à la Trappe d'Oka jusqu'à l'incendie de l'hostellerie, en 1902.
Musicien, peintre, poète, botaniste, physicien, militaire, coureur des bois, naturaliste, grand voyageur, comédien, économiste, il collabora à divers journaux et périodiques dont L'Avenir du Nord, la Revue canadienne, Le Monde illustré, La Presse, Le Journal de Françoise et Le Passe-Temps.
En 1901, il publia Étoffe du pays puis, l'année suivante, le Livre du colon. En 1907, interné à l'Asile Saint-Jean-de-Dieu pour cause d'alcoolisme, il y fut nommé secrétaire privé du docteur Georges Villeneuve.
Gaston de Montigny est mort le 30 octobre 1914 à l'Hôpital des Incurables de Montréal.
(Source principale : Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1982, p. 468).
Le poème Solitude des soirs, ci-haut, est tiré du recueil d'écrits de Gaston de Montigny colligés et publiés en 1951 par son frère Louvigny. On peut s'en procurer ICI de rares exemplaires. |
Article de Gustave Comte dans Le Passe-Temps du 21 novembre 1914 en hommage à Gaston de Montigny à l'occasion de sa mort. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe du 20 juin 1963, soit presque 50 ans après la mort de Gaston de Montigny, l'écrivain Harry Bernard (pseudonyme « L'Illettré ») lui consacrait cet article commémoratif. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
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