Le rocher du Corps-Mort, thème du poème L'île des morts, ci-dessous, de James Donnelly, imité de Thomas Moore. (Source : Benoit Déry) |
Ami, vois-tu là-bas, sous ce nuage sombre,
Cet étrange vaisseau qui s'avance dans l'ombre,
Et qu'un souffle inconnu fait bondir sur les eaux ?
D'un vent mystérieux ses voiles semblent pleines!...
Et pourtant les zéphyrs retiennent leurs haleines,
Dans un calme profond au loin dorment les flots.
Qu'a-t-il donc à son bord ce vaisseau des ténèbres ?
Il porte du tombeau tous les signes funèbres ;
Un silence de mort sur les ondes le suit.
Seul, un glas triste et lent s'y fait parfois entendre,
Avec le battement des voiles que fait pendre
L'humide pesanteur des brumes de la nuit.
Au milieu des rochers de la stérile plage
Gisent des os blanchis, jetés par le naufrage,
Sous les brouillards épais du sombre Labrador,
La lune en éclairant ces lieux impitoyables
Découvre avec horreur ces restes lamentables,
Que les flots irrités se disputent encor.
C'est là que cette barque en sa course nocturne
Va cueillir en passant la troupe taciturne
Qui semble maintenant à son bord se mouvoir.
Une flamme bleuâtre à demi les éclaire,
Et jamais la rosée, au morne cimetière,
Ne tomba sur des fronts plus livides à voir.
C'est à l'île des Morts qu'un vent fatal les guide !...
C'est à l'île des Morts que s'avance rapide
Cet ombre de vaisseau par des ombres conduit.
Des squelettes sont là, déroulant à la brise
La sinistre voilure ; une forme indécise
Debout veille à la poupe, et la barque obéit !...
Fuis, ô barque terrible ! ô barque de mystère !
Fuyez pendant que l'ombre enveloppe la terre,
Fantômes de la nuit ; rentrez vite au cercueil ;
De peur qu'à votre aspect la jeune et tendre aurore
Ne dépouille son front de l'éclat qui le dore,
Et se cache à jamais sous un voile de deuil.
James Donnelly (Collège Sainte-Thérèse, 7 mai 1866)
Tiré de : Journal de l'Instruction publique, Montréal, juin 1866. Le poème est également paru dans La poésie québécoise avant Nelligan, une anthologie conçue par Yolande Grisé et qui est toujours disponible en librairie.
La traduction française ci-haut du poème L'île des Morts par James Donnelly est parue pour la première fois dans le numéro de juin 1866 du Journal de l'Instruction publique. |
Le 15 mai 1912, à Ottawa, l'homme de lettres irlando-canadien Joseph Kearney Foran (1857-1931) donna une conférence intitulée L'œuvre littéraire de James Donnelly, au cours de laquelle les poèmes de Donnelly ont été lus par Errol Bouchette (qui devait mourir trois mois plus tard). Dans son allocution, Foran dit notamment :
[…] Ayant fait un cours complet d'études, il devient à tour de rôle instituteur, maître-chantre, journaliste, chroniqueur, poète et partout et en tout temps un peu bohème. [...] Esprit actif et nerveux, il lui semblait toujours impossible de rester en place : une main puissante le poussait sans relâche à la dérive sur l'immense fleuve de la vie. Un jour, je lui demandais pourquoi il n'écrivait pas des vers anglais, et voici ce qu'il me répondit : « Je dois tout ce que je possède aux Canadiens-français ― ma vie, mon instruction, et même mon pain quotidien ― et ne serait-ce que par reconnaissance, si j'ai quelque chose à léguer à mon pays, je veux que la littérature canadienne-française en soit l'héritière ».
Pour en savoir plus sur James Donnelly, poète canadien-français d'origine irlandaise ayant grandi à Saint-Laurent-de-l'île-d'Orléans, voyez la notice biographique et les documents sous son poème Où vont donc nos années ? (cliquer sur le titre).
De James Donnelly, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Adieu à 1865 et Le jour de Pâques (cliquer sur les titres).
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Le rocher du Corps-Mort
Note explicative parue sous le poème dans le
Journal de l'Instruction publique, juin 1866 :
L'île des Morts est un rocher qui fait partie du groupe des Iles-de-la -Madeleine, dans le golfe Saint-Laurent. Il porte le nom de Corps-Mort, et a été ainsi nommé parce qu'à une certaine distance il ressemble assez à la dépouille d'un malheureux naufragé qui flotterait à la surface des flots. C'est en passant près de cette île que Moore, dans le mois de septembre 1804, a composé les vers que M. Donnelly a traduits. Le texte de L'île des Morts est accompagné, dans l'édition des œuvres complètes de Moore, de la note suivante :
« Il s'agit d'une des îles de la Magdeleine, et, assez singulièrement, elle appartient à Sir Isaac Coffin (allusion au sens de ce nom propre, qui, en anglais, veut dire : cercueil). Les stances qui précèdent ont été inspirées par une légende très répandue parmi les marins, qui appellent ce vaisseau, s'il m'en souvient bien, le Flying Dutchman.
Nous avons mis treize jours dans notre passage de Québec à Halifax, et j'avais été tellement gâté par la splendide hospitalité de mes amis du Phaéton et du Boston, que j'étais mal préparé aux misères d'un vaisseau canadien. Le temps cependant était délicieux, et les paysages tout le long du fleuve de la plus grande beauté. Notre traversée du détroit de Canso, par un beau ciel et un bon vent, fut remarquablement agréable et nous fit jouir d'une scène des plus romantiques».
Dans le premier volume de Promenades dans le golfe Saint-Laurent, Faucher de Saint-Maurice évoque à la fois le rocher du Corps-Mort et la version de James Donnelly du poème présenté ci-haut :
Comme place d'eau, si les îles de la Madeleine n'avaient pas à lutter contre l'île du Prince Édouard, elles seraient sans rivales dans le golfe Saint-Laurent. Les points de vue y sont superbes ; le gibier y abonde, et elles réservent à l'amateur, en quête de poissons, d'inépuisables éditions de la pêche miraculeuse, qu'il peut renouveler à loisir dans des baies et des havres admirablement disposés pour les courses de yacht et le sport maritime.
Pendant que nous causions de toutes ces merveilles ignorées, le Corps Mort se dessina par le travers de notre hanche de tribord. Vraiment, le langage populaire lui avait bien donné le seul nom qu'il pût porter ; car, vu de cette distance, il ressemblait à s'y méprendre au cadavre d'un matelot flottant au gré des vagues. Involontairement, je me rappelai alors l'Ile des Morts, ces belles strophes qu'un de nos bons poètes canadiens, James Donnelly, avait imitées de Thomas Moore. [...]
Quel contraste entre le Napoléon III [bateau sur lequel se trouvait Faucher de Saint-Maurice] et ce vaisseau fantôme que venait de faire surgir, à la vue du Corps Mort, la puissante imagination du poète !
(Source : Faucher de Saint-Maurice, Promenades dans le Golfe Saint-Laurent, tome 1, Québec, Typographie de C. Darveau, 1879, p. 204-207).
Pour en savoir plus sur le rocher du Corps-Mort, cliquer ICI pour consulter un article signé Pierre Lahoud dans le numéro du printemps 2013 de la revue Continuité.
Quelques photos du rocher du Corps-Mort :
(Source : Pinterest) |
(Source : Twitter) |
(Source : L'Actualité) |
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