samedi 17 février 2018

Vers la liberté

Georges Boulanger (1901-1980)

(Source : son recueil Fleurs du Saint-
Laurent
, Québec, 1929)





   Aux jours sombres et froids de ces temps endeuillés
   Où les enfants du sol se voyaient dépouillés 
   D'indéniables droits, leur vieille âme française
   Tressaillit de courroux ; car, sous la botte anglaise
   Ils avaient trop souvent reployé leur fierté.  

   Aussitôt dans leur coeur parla la Liberté. 
   Sa voix, comme un écho que le zéphyr emporte,
   Leur dit à chacun d'eux, en passant leur porte : 

   « De la valeur bretonne encore trop rapprochés
   « Pour subir plus longtemps des tyrans l'arrogance,
   « Que les ardents lutteurs, dans leurs droits retranchés,
   « Se lèvent en héros ! Vive l'Indépendance ! »

   D'un principe élevé, généreux et décis
   Naquit alors la guerre aux bourreaux endurcis. 
   Pour augmenter encore aux belles épopées,
   Papineau commandait aux troupes équipées. 

   Des villages entiers accourent au combat,
   S'entraînent à la lutte, et ceux dont le coeur bat
   Pour un peu d'équité, de valeur, de mérite, 
   De courageux soldats formèrent une élite. 

   Hésitant à cacher dans les nuages gris
   Sa face rubiconde et ses rayons pâlis,
   Le soleil est témoin de l'infâme bataille
   Entre le fort ayant pour force la mitraille
   Et le faible vaincu qui proclame son droit. 

   On s'empresse partout, on vient de chaque endroit
   Pour soutenir les chefs et donner confiance. 
   La sérénité d'âme inspire l'espérance,
   La foi stimule et mène au but les insurgés. 

   Mais du parti royal, non plus sont négligés
   Du combat meurtrier les apprêts nécessaires,
   Et paraissent bientôt devant les téméraires
   Colborne et ses soldats, deux mille combattants.

   Les révoltés, inquiets, ont resserré leurs rangs
   Près du temple vieilli qu'on nomme Saint-Eustache.
   Sur la foi d'un serment que la bravoure attache,
   Chénier leur fait jurer de combattre ou mourir. 
   Et tous, pleins de fierté, clament un cri : Tenir. 

   L'armée anglaise approche. Au paisible village, 
   Ayant de la Patrie en eux la douce image,
   Les insurgés armés, enivrés des exploits,
   Changent en châteaux-forts les maisons et les toits. 
   Lorsqu'ainsi transformé comme une forteresse,
   Saint-Eustache est l'endroit que la valeur caresse.
   Dans un petit fossé, près du temple divin, 
   Deux braves sont cachés : Louis Bart et Paul Gauvin. 

   Les régiments anglais, silencieux, s'avancent ;
   Pour seconder l'espoir du tyran, ils s'élancent
   Sur le bien faible bourg, commencent le conflit, 
   Canonnent le couvent qu'ils ont tôt démoli,
   Font un feu meurtrier, ceinturent le village,
   Reculent un instant... mais la lutte fait rage : 
   Le succès se fait lent, les insurgés tiennent,  
   Ils s'arment de courage, et le combat soutiennent. 

   Le temple, encore debout, tombe sous les boulets,
   S'enveloppe bientôt dans un nuage épais,
   Brûle, fume, s'effondre en écrasant les braves. 
   La Victoire s'égare en ces heures trop graves. 

   Cachés dans le fossé, Gauvin et son ami
   Nourrissent bien leur feu, harcèlent l'ennemi. 
   Les Anglais accourus sont prompts à la riposte. 
   Les héros sont blessés en défendant leur poste ;
   Frappés mortellement, ils n'ont plus qu'un soupir
   Pour affirmer encore qu'ils ont voulu tenir. 

   Et, tandis que leur sang s'échappe avec leur vie, 
   Les yeux tournés au ciel, dans leur âme ravie,
   Ils murmurent tout bas ces deux mots que le coeur
   Prononce en gémissant sous le talon vainqueur : 
   Les mots doux et divins de Patrie et de Mère. 

   Afin que du combat dont la défaite amère
   Ne ressuscitât point un reste de fierté ; 
   Afin qu'il ne parut, du vieux clocher resté
   Chancelant et noirci, rien, pas la moindre trace ; 
   Comme pour effacer le souvenir vivace
   D'un effort surhumain vers notre liberté,
   Vers ce grand idéal, trop longtemps écarté, 
   Les boulets destructeurs culbutent les décombres
   Et font planer partout la ruine et les ombres.

   Le feu lèche les murs, le temple est un brasier
   Allumé par l'Anglais qui cherche à rassasier
   Son appétit brutal, son instinct et sa rage. 

   Quand le clocher s'écroule, au milieu du carnage, 
   Du fracas de la chute, on distingue soudain
   Un son divin et pur s'exhaler de l'airain !
   C'est le glas des héros dont la note funèbre
   Accompagne à la gloire un désastre célèbre. 

                                     ---

   Reposez, chevaliers du mérite et du droit !
   Nous marchons après vous, ivres de cet exploit ; 
   À tailler un drapeau nous travaillons sans trêve
   Afin de le hisser au mât de votre rêve ! 

                                   Georges Boulanger* (1920)




Tiré de : Georges Boulanger, L'Heure vivante, Québec, 1926, p. 45-48. 

Poète et conteur, Georges Boulanger (1901-1980) est né à Sainte-Agathe-de-Lotbinière. Il étudie au Collège d'Arthabaska de 1916 à 1919. De 1921 à 1936, il est secrétaire au Journal d'agriculture. Il organise la bibliothèque de ministère de l'Agriculture dont il est le bibliothécaire de 1953 à 1968. 
Il fonde, en 1967, l'Association des fonctionnaires à la retraite du Québec et, en 1968, l'Institut national Samuel de Champlain, après avoir organisé les fêtes annuelles de Champlain à Québec. 
Membre de la Société des Poètes canadiens-français, il compose un sonnet, La Mère, qui remporte un concours international de poésie organisé en 1932 à Paris. 
Collaborateur à plusieurs périodiques, dont Contacts (dix-sept contes en 1954-1955), L'Opinion, Le Terroir, il est surtout connu pour ses deux recueils de poésies, L'Heure vivante (1926) et Les Fleurs du Saint-Laurent (1929), qui chantent la terre, l'amour, la patrie. 
(Source principale : Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord, Montréal, éditions Fides, 1989, p. 178). 


L'Heure vivante, recueil de poésies d'où
est tiré le poème Vers la liberté, ci-haut.
 

Notice nécrologique parue
dans Le Soleil de Québec,
le 9 octobre 1980. 


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