lundi 22 février 2021

Naufrage du Titanic

Représentation artistique du naufrage du Titanic le 14 avril 1912.

(Source : Clickamericana.com)




   Il s'appelait titan, et, sur l'onde écumante,
   Jamais on n'avait vu une telle masse flottante ;
   De l'avant qui fend l'onde à la poupe qui fuit,
   On mesurait, dit-on, d'un hameau le circuit ;
   Sur les flots mugissants, qui se creusent, s'élancent,
   Forment des monts altiers dont les sommets s'avancent
   Et, comme un escadron paraissent se mouvoir,
   Rarement on voyait le géant s'émouvoir :
   Il narguait l'aquilon, défiait la tempête,
   Sur l'océan soumis, affirmait sa conquête.

   Et l'homme, en son orgueil, se pâmant de plaisir,
   Disait, le regardant : «Je puis tout accomplir !»
   Quand le monstre d'acier, à la cale profonde,
   Quitta les bords anglais pour ceux du nouveau monde,
   Ses salons, ses boudoirs, rayonnants de clarté,
   Regorgeaient de la fleur de la société ;
   Celle-ci, de confort pleinement entourée,
   Goûtait la confiance autrefois ignorée
   Contre les coups subits du perfide élément
   Qui souvent aux marins sait paraître inclément.

   Chacun de ces richards, comblés en l'occurrence,
   Vantait cette victoire acquise à la science
   Et se glorifiait comme d'un grand honneur, 
   Fortunés passagers, d'en avoir la primeur.
   Acclamant ce départ, l'antique renommée,
   Aujourd'hui plus bavarde et la presse nommée,
   Élevait à la nue et même jusqu'au ciel
   Le moderne et puissant progrès matériel.
   Et le titan, toujours, reliant à la terre
   Son cours audacieux par la voix du tonnerre,
   S'avançait vers New York, ce port américain
   Qui renferme, dit-on, un peu le genre humain. 

   On s'en allait ainsi, au sein du brouillard dense,
   En se livrant au flirt, au plaisir, à la danse, 
   Quand soudain, à bâbord, causant un léger bruit,
   Comme un déchirement de métal se produit
   Sans pourtant des marins troubler la quiétude,
   Ni même aux passagers causer d'inquiétude ;
   Et l'orchestre aux danseurs prodiguant ses accords,
   Prolongeait un turkey pour ladies et milords ;
   Mais la danse aux dindons fut bientôt impossible
   Sur le pont qui s'incline et... ô clameur horrible !
   On entendit partout, dominant les violons,
   Ces cris désespérés : «Nous sombrons ! Nous coulons !»
 
   Et l'horreur, succédant au plaisir, à la joie,
   L'on vit la mer immense assiéger sa proie,
   Engloutir lentement le colosse d'acier,
   Monter sur son avant, le couvrir en entier,
   Envahir brusquement les salons, les cabines,
   Mettre un comble au désordre en noyant les machines,
   Éteindre le courant de l'électricité
   Et plonger ce palais dans l'obscurité.
   Et puis c'est l'heure affreuse acquise au sauvetage
   Où l'âpre désespoir voisine le courage. 

   Un peu plus tard, enfin, le titan disparu
   Laissait, aux environs d'un glacier apparu,
   Des victimes luttant, hurlant contre la vague
   Qui, bientôt leur tombeau, reprend la rumeur vague.
   Quelques rares esquifs, balancés par les flots,
   Montrent les survivants commis aux matelots :
   Quinze cents naufragés, tel est le plus bas nombre,
   Connurent le trépas durant cette nuit sombre.

   Et l'orgueil insensé, du coup coulant à pic,
   Sombra, la chose est sûre, avec le Titanic. 

                                     Aristide Magnan* (1912)



Tiré de : Abbé D.-M.-A. Magnan, Rime et raison ; poèmes populaires, Québec, L'Action sociale, 1923, p. 223-225.  

*  Denis Michel Aristide Magnan est né à Sainte-Ursule (Maskinongé) le 28 septembre 1863, de Jean-Baptiste Magnan et d'Adéline Béland. Il fut baptisé le même jour dans la paroisse voisine de Saint-Justin. En 1880, il entrait à l'École normale Laval de Québec, puis au Grand séminaire de Québec, où il étudia la philosophie et la théologie. 
   Ordonné prêtre le 13 juin 1886, il fut d'abord vicaire aux Éboulements (1887-1888) ; à Baie-Saint-Paul (1888-1889) ; à la cathédrale de Chicoutimi (1889). De 1890 à 1893, il partit à Rome où il étudia au Collège canadien, qui lui décerna un doctorat en théologie. À son retour au pays, il fut professeur au collège de Lévis (1893-1895), puis curé de Saint-Gilles (1895-1898). Il se rendit ensuite aux États-Unis, où il fut vicaire à  la paroisse Notre-Dame de Fall River (Massachusetts) de 1899 à 1902, puis à la paroisse Saint-Roch dans la même ville en 1902-1903. Puis il devint successivement curé de deux paroisses du Michigan, Saint-Joseph de Muskegon, de 1903 à 1906, et Sainte-Marie de Manistee en 1905-1906. Il fut de 1906 à 1912 vicaire à Saint-Antoine de New Bedford (Massachusetts). Revenu au pays après quatorze années aux États-Unis, il fut d'abord nommé missionnaire diocésain à Québec, puis, en 1913, vicaire à Lévis. 
   Il a publié de nombreux articles et ouvrages sur divers sujets, dont À la recherche de la Vérité révélée (1902) ; Histoire de la race française aux États-Unis (1912) ; Rime et raison ; poèmes populaires (1923) et Notre-Dame-de-Lourdes de Fall River (1925). À sa mort, il travaillait à la préparation de Noblesse et couardise, roman historique tiré de l'Histoire de Nouvelle-France par le jésuite Pierre-François-Xavier Charlevoix.
   En 1914, il devenait curé de la paroisse Saint-Désiré du Lac-Noir (aujourd'hui nommé Black Lake, dans la région de Chaudière-Appalaches). Il y resta en fonction jusqu'à sa mort, survenue le 22 février 1929, à son presbytère. Il repose dans une crypte sous l'église Saint-Désiré.
  Il était le frère de Charles-Joseph Magnan, inspecteur général des écoles catholiques du Québec, et d'Hormisdas Magnan, auteur de nombreux ouvrages historiques et monographies sur divers villages du Québec. 
(Sources : Précis d'histoire littéraire : littérature canadienne-française, Procure des missions des Soeurs de Sainte-Anne, Lachine, 1928, p. 190-191 ; Le Canadien, Thetford-Mines, 28 février 1929).


Aristide Magnan (1863-1929)
en 1887, un an après son ordination sacerdotale.

(Source : Archives du Séminaire de Québec ; 
Musée de la civilisation du Québec)

Naufrage du Titanic, ci-haut, est tiré de
Rime et raison, recueil d'Aristide Magnan.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Aristide Magnan vers la fin de sa vie, alors qu'il était
curé au Lac-Noir (aujourd'hui nommé Black-Lake).


(Source : Précis d'histoire littéraire ; littérature
canadienne-française
, Lachine, Procure des 
missions des Sœurs de Sainte-Anne, 1928)
 
Article paru à la une du journal Le Canadien (Thetford-Mines) le 28 février 1929.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a 
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien 
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques, 
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu, 
souffert et pleuré ». 

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