René Chopin (1885-1953) (Source : L. Mailhot et P. Nepveu, La poésie québécoise des origines à nos jours) |
Sur la grève un brouillard flotte,
L'eau clapote
Et soulève les copeaux frais,
Les baguettes du saule et les champs de quenouilles.
J'écoute au loin dans la campagne les grenouilles
Parmi les joncs, dans les marais.
L'odeur première
Du printemps,
C'est celle des étangs ;
Vous en êtes la clameur claire,
Ô grenouillères !
Moi,
Toutes
Je vous écoute,
Musiciennes en émoi !
Venues
On ne sait d'où
Et de partout,
Les plus menues,
Frêles comme des bourgeons verts,
Et les aînées
D'autres années,
Que gelèrent de lents hivers.
Celles qui peuplent les prairies,
Et les ruisseaux et le limon des marigots,
Celle qui crie
Ou sonne l'on dirait d'un millier de grelots.
Ô soirs rafraîchissants de mai,
Si purs par elles !
Ô ces notes basses de chanterelles,
Chutes à l'eau de lourds écus,
Pendant qu'un trille gai,
Un trille aigu,
Perfore
La nuit opaque, la nuit sonore !
Je ne vois plus les îles ni les roches,
Mais, proches,
Une barque de pêche allume ses flambeaux ;
Tout est calme. Seule la fête
Des rainettes à tue-tête
S'extasiant : « Ô feux, ô feux sous l'eau ! »
L'une, plus vieille,
La plus avare,
Les yeux marrons,
Larges et ronds :
« Ô ces merveilles,
sous mes saules, vues de ma mare,
Ô feux, ô lunes,
Ô tout votre or sous l'eau profonde et sous l'eau brune ! »
Puis encore une :
« Ma peau est verte,
Teinture d'herbe ; elle est couverte
D'un vernis, moucheté de noir, elle est
Peinte comme un jouet ;
Un fort sachet
Qu'imprègnent les senteurs (mousse, fougère)
Du bois natal, trempé de sources où, légères,
Fuites, glisse
Ma taille longue et fine sous mes agiles cuisses ».
D'autres encore
Jusqu'à l'aurore :
Indécollables amoureuses
En pâmoison,
Sur nos chapelets d'oeufs
Et deux par deux,
Nous égrenons et bruissons
Les fredons ahuris de nos amours heureuses.
Toutes à gorge pleine
De se répondre et s'éjouir,
Et de crier, ces petites païennes,
Leur plaisir :
« C'est nous les prophétesses
Du printemps,
Les poétesses
Des étangs.
À nous les brumes et les lunes,
Coassons.
Les nénuphars, les iris bleus, qui sont nos fleurs,
Coassons.
Sous l'haleine des soirs, nos liesses communes,
Coassons.
Et nos sabbats et leurs minuits ensorceleurs !
À nous la pluie,
Ses vives gouttelettes,
Humbles colliers de grenouillettes,
Chantons.
La tribu des roseaux sous l'averse qui plie,
Chantons.
À nous le marécage odorant et fermé... ! »
Sur la grève un brouillard flotte,
L'eau clapote ;
Dans la campagne au mois de mai,
Ô le plaisir de vous entendre, ô clameurs claires
Des grenouillères !
René Chopin* (1933)
Tiré de : René Chopin, Dominantes, Montréal, Éditions Albert Lévesque, 1933, p. 113-118.
* Pour en savoir plus sur René Chopin, cliquer ICI et voir les informations et documents sous son poème Octobre.
De René Chopin, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : La mort du hêtre et Octobre.
Dominantes, recueil de René Chopin d'où est tiré le poème ci-haut. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Dédicace manuscrite de René Chopin dans son recueil Dominantes. (Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
On peut encore de nos jours trouver en librairie des poésies de René Chopin dans cette anthologie des poètes québécois dits « exotiques » dont il faisait partie avec Paul Morin, Guy Delahaye et Marcel Dugas. Pour informations, cliquer ICI. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
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