jeudi 9 septembre 2021

Je vis

Moïse-José Marsile (1846-1933)

(Source : Laurent Mailhot et Pierre Nepveu,
La poésie québécoise des origines à nos jours,
Sillery, Presses de l'Université du Québec et 
Montréal, éditions de L'Hexagone, 1981)
 




   Je vis ! oh ! quel réveil que cette heure première !
   Je vis ! et l'univers pour recevoir son roi
   S'ouvre ainsi qu'un palais inondé de lumière.
   Dois-je en croire mes yeux ? Tant de splendeur pour moi !

   Déroule, firmament, ton dais semé d'étoiles
   D'où le rêve sourit à mon calme sommeil ;
   Bercez-moi, flots des mers, à l'ombre de vos voiles ;
   Comme une lampe d'or, resplendis, ô soleil !

   Dressez vos blancs sommets, monts couronnés de neige : 
   Alpes, n'êtes-vous pas les colonnes des cieux ?
   Entre vos bleus piliers ― majestueux cortège ―
   Que l'aigle m'accompagne en son vol glorieux !

   Fleurs, frais trésors auxquels il ne manque qu'une âme,
   Répandez dans les airs vos parfums enivrants ;
   Pour chanter, doux oiseaux, le bonheur qui m'enflamme, 
   De vos gosiers versez l'harmonie à torrents ! 

   Et cependant qu'es-tu, nature inanimée ?
   Quel écho donc as-tu pour répondre à ma voix ?
   Je vis ! je veux trouver, dans une image aimée, 
   De moi-même un vivant miroir où je me vois.

   Salut ! regards d'azur où le ciel semble luire,
   Où tout est rayon, joie, ineffable plaisir ! 
   Épanouis-toi, lèvre, à mon premier sourire,
   Comme s'ouvre la fleur au baiser du zéphyr.

   Faut-il qu'ainsi sur moi la jouissance pleuve ! 
   Ah ! l'amitié me donne une âme pour m'aimer,
   Et, quand se lèveront les sombres jours d'épreuve
   ― Oreiller pour l'amour ― un cœur pour reposer !

   Je vis ! je ne suis pas ce qu'au jour est la rose
   Qu'effeuille le toucher de l'automne cruel :
   Non, non ! je vis et je sens en moi quelque chose
   Qui ne saurait mourir, comme un souffle immortel.

   Dans le chœur ici-bas, c'est ma voix qui domine,
   Souveraine, au-dessus de tous les éléments, 
   Et, céleste flambeau, ma raison illumine 
   Cette terrestre nuit de ses rayonnements. 

   Des êtres je comprends l'harmonie éternelle,
   Le lien étroit qui tient l'homme à l'ange uni. 
   Je gravis, ô transports ! cette sublime échelle
   Qui part de la matière et touche à l'infini !

   Et ces merveilles dont le spectacle magique
   M'élève, nuit et jour, sur des ailes de feu
   ― Cieux et terre ― ah ! ne sont encor que le portique
   De la gloire d'un monde où se révèle Dieu!...

   Quand tous les maux fondraient maintenant sur ma tête,
   Je te bénis, auteur de ma félicité ! 
   Malgré ses pleurs amers, la vie est une fête :
   Oui, je te bénirai toute l'éternité !

                               Moïse-José Marsile* (1889)



Tiré de : Moïse-José Marsile, Épines et fleurs ou passe-temps poétique, Bourbonnais Grove (Illinois), Collège Saint-Viateur, 1889, p. 9-11. 


* Moïse-José Marsile est né à Longueuil le 19 novembre 1846, de Moïse Marsile, cultivateur, et de Rosalie Charron. Après ses études classiques au Collège Bourget de Rigaud, il entra le 15 octobre 1862, à Joliette, au noviciat des Clercs de Saint-Viateur, où il prononça ses premiers vœux en 1864.
   Il débuta dans l'enseignement à l'école paroissiale de Belœil  en 1863, puis il fut professeur de rhétorique au Collège Bourget, son alma mater, de  1864 à 1870. Il fut envoyé en 1871 au Collège Saint-Viateur de Bourbonnais Grove (Illinois) qui était également tenu par sa congrégation. Ordonné prêtre à Bourbonnais Grove le 30 septembre 1875, il enseigna les belles-lettres et la rhétorique jusqu’en 1878, année où il devint directeur du collège, où il fit jouer par les élèves les grands drames de Shakespeare et plusieurs pièces et opérettes de sa propre composition, dont François de Bienville
   Après avoir quitté sa fonction de directeur, en 1906, il devint devint aumônier de l’hôpital d’Oak Park, près de Chicago, durant une année (1907). De 1908 à 1913, il fut curé à la paroisse Sainte-Marie, à Beaverville. De 1913 à 1918, il redevint aumônier à l'hôpital d'Oak Park. De 1918 à l'année suivante, il fut curé à la paroisse de la Maternité, à Bourbonnais Grove, puis il retourna en 1919 à la fonction d'aumônier à l'hôpital d'Oak Park, poste qu'il garda jusqu'en 1929. Il prit sa retraite définitive en 1931.
   Il resta toujours intéressé par la littérature. Il est notamment l’auteur de quatre recueils de poésies, Épines et fleurs (1889) ; Liola ou légende indienne (1893) ; Les Laurentiades : retour au pays des aïeux (1925) ; Divins appels (1931) et d’un drame historique en cinq actes intitulé Lévis, ou Abandon de la Nouvelle-France (1902).
   Moïse-José Marsile est mort le 19 mars 1933 à Bourbonnais Grove, où il a été inhumé.
(Sources : Abbé J.-B.-A. Allaire, Dictionnaire biographique du clergé canadien-français : les contemporains, Saint-Hyacinthe, Imprimerie de La Tribune, 1908, p. 414 ; Yolande Grisé, La poésie québécoise avant Nelligan, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1998, p. 304 ; Laurent Mailhot et Pierre Nepveu, La poésie québécoise des origines à nos jours, Montréal, L’Hexagone et Sillery, Presses de l’Université du Québec, p. 111 et p. 652 ; Les Anciens du Séminaire : écrivains et artistes, Joliette, Séminaire de Joliette, 1927, p. 157-158 ; Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome 1, Montréal, Fides, 1980, p. 215-216 ; Patrimoine culturel du Québec ; Le Devoir, 23 mars 1933 ; Association des descendants d'André Marsil).


Épines et fleurs, recueil de 
Moïse-José Marsile, d'où est 
tiré le poème Je vis, ci-haut.
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(Cliquer sur l'image pour l'élargir)

Moïse-José Marsile, c.s.v. 

(Source : Archives provinciales des 
Clercs de Saint-Viateur du Canada)

Moïse-José Marsile, c.s.v.
à un âge plus avancé.

(Source : BANQ)

Le Devoir, 23 mars 1933.

(Source : BANQ)


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1 commentaire:

  1. Beau poême..on dirait qu'il est en amour.....coment un aussi beau gars a-t-il pu rester ecclésiastique toute sa vie.......

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