Georges Boiteau (1912-1972) (Source : Musée de la civilisation du Québec) |
(FRAGMENTS)
Devant la pourpre du matin
Au simulacre d'incendie
Sur les sites variant de splendeurs,
Mon être s'offre au beau lointain
Et la nature m'irradie
Le désir fort de vivre à ces grandeurs,
Sans regret d'oublier tout un monde incertain.
L'appel des forêts et des faîtes,
La voix de l'hiver au pays,
Qui vint sur l'aile grise des nuages
Par des cravaches de tempêtes,
En ce Nord où chasse le Cris,
Me chantent de courir dans leurs parages,
Puisque j'ai cette soif d'innombrables conquêtes.
Ah ! partir, libre des humains,
Vers des horizons sans fumée
Et voir luire la neige au grand soleil
Qui suit l'homme au long des chemins ;
Saisir la forêt parfumée
Avec des yeux de bohème en éveil,
N'est-ce pas se grandir en des lieux surhumains ?
[…] Aux désirs immortels que laissa dans mon sang
Un ancêtre si brave, à l'instinct si puissant,
Qui voulait, à ses fils, répartir sans mesure
L'héritage que j'ai de risque et d'aventure,
Je veux, rempli de fougue et, pourtant, jeune encor,
Revivre l'existence indienne du Nord !
Sans mât, sans capitaine et voguant sans amarre,
Comme un radeau vieilli, sur une mer barbare
D'hommes-sagouins, d'hommes-poignards et forcenés,
Je refoule à travers mes jours empoisonnés
Par tant de profonds dards qui transpercent toute âme,
La vague prise au vent d'un noir désordre infâme.
Les crachats de la vie et l'horreur des sans-dieu,
Mêlés à la rapine, au meurtre, au désaveu,
Me jettent le dégoût de vivre dans la ville,
Et j'écoute la haine et la parole vile,
Comme un océan d'orgueilleux brouhahas,
Remplir les boulevards et voler en éclats.
Mais plus fier de sentir augmenter ma jeunesse,
Mon ardeur intrépide et brutale en rudesse,
À la faveur de l'aventure et du hasard
Où mes rêves géants, toujours prêts au départ,
Me poussent à l'assaut des bonheurs plus fertiles,
J'écoute les appels des plantes aquatiles,
Des fleuves tapageurs, des monts où je courais,
Car j'aspire, en mon être, aux dieux de nos forêts !
Ah ! décidé, je veux revoir les solitudes,
Pour me repaître encor de maintes quiétudes,
Comme un doux bercement où luisent des splendeurs
De soleil et de ciel comme point des hauteurs !
N'ayant que mon couteau, mes trappes et ma tente,
Mais résolu quand même au désir qui me tente
De m'enfuir où personne enfin n'est parvenu,
Esclave des forêts et du Nord inconnu,
Avec un cœur chargé d'intime poésie,
Lorsque le jour nous montre une aube cramoisie,
Par les sentiers ardus et les rochers ouverts
Où le vent cumula la poudre des hivers,
Je veux aller goûter, loin des foules distraites,
Comme le Nord est vierge au fond de ses retraites !
Georges Boiteau* (1948)
Tiré de : Georges Boiteau, En marchant vers le Nord, Québec, éditions Tonti, 1948, p. 13-15.
* Georges Boiteau est né le 14 juin 1912 à Québec, dans la paroisse Notre-Dame-de-Jacques-Cartier, de Joseph-Siméon Boiteau, maître de poste et fondateur de clubs de chasse et pêche dans les Laurentides, et de Jeanne Gagnon. Après des études à l'Académie commerciale de Loretteville (1922-1927), il étudia au Collège Séraphique de Trois-Rivières, d'où il fut renvoyé parce qu'on le considérait « trop rêveur », puis au Petit séminaire de Québec où il compléta son cours classique en 1933.
En 1938, il entra comme météorologue dans l'Aviation canadienne et, après la guerre, il travailla au ministère des Terres et Forêts, tout en poursuivant des études à l'Institut d'histoire et de géographie de l'université Laval, où il obtint sa licence en 1950, pour ensuite y produire, en 1954, Les chasseurs hurons de Lorette, un mémoire de maîtrise inspiré en grande partie de ses échanges avec des membres et aînés de la nation huronne, qu'il avait fréquentée depuis son enfance. Dans la préface à son recueil de poésies En marchant vers le Nord, il évoque sa « vie aventureuse, durant onze ans, des Maritimes à l'Alaska », notamment en tant que prospecteur minier. À partir de 1960, il travailla comme géochimiste au ministère québécois des Richesses naturelles.
Collaborateur à des journaux comme Le Devoir, Le Canada, L'Action catholique et Le Droit, Georges Boiteau fut membre, dès 1934, de la Société des poètes canadiens-français, et il fut président, de 1959 à 1961, de la Société canadienne de poésie. Il fut lauréat de la Canadian Authors Association et de la Société des poètes canadiens-français. Il est l'auteur de quatre recueils de poésies : Essor vers l'azur (1946) ; En marchant vers le nord (1948) ; Aux souffles du pays (1949) ; La vision des génies (1967).
Suzanne Paradis écrit au sujet de Georges Boiteau : « Le respect qu'il manifestait envers la prosodie classique et la relative pureté de sa langue constituent le principal mérite de Georges Boiteau. On ne saurait nier non plus ses qualités d'observateur attentif de la nature et le goût réel et profond qu'il manifeste pour elle. Ses meilleures pages témoignent de tels sentiments et d'un certain équilibre entre les objets qu'il expose et la manière de les mettre en évidence ».
Georges Boiteau est mort à L'Ancienne-Lorette le 10 février 1972. Il avait épousé Françoise Moquin, à Montréal, le 17 juillet 1940.
Georges Boiteau est mort à L'Ancienne-Lorette le 10 février 1972. Il avait épousé Françoise Moquin, à Montréal, le 17 juillet 1940.
(Sources : échange téléphonique avec M. Michel Boiteau, fils du poète, 23 août 2021 ; Yakwennra : le journal de la nation huronne-wendat, hiver 2016 ; Dictionnaire Guérin des poètes d'ici de 1606 à nos jours, Montréal, Guérin, 2005, p. 137 ; Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome 3, Montréal, Fides, 1982, p. 340).
De Georges Boiteau, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : L'invitation à la forêt ; Le chant des hivers (cliquer sur les titres pour y accéder).
Les fragments du poème La hantise du Nord, ci-haut, sont tirés du recueil En marchant vers le Nord, de Georges Boiteau. (Cliquer sur l'image pour l'élargir) |
Dédicace manuscrite de Georges Boiteau dans son recueil En marchant vers le Nord. (Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'élargir) |
Georges Boiteau en 1933, finissant au Petit séminaire de Québec. (Source : Fonds d'archives du Séminaire de Québec). |
Le Soleil, 12 février 1972. (Source : BANQ ; cliquer sur l'article pour l'élargir) |
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