samedi 7 janvier 2023

Charlesbourg, berceau de mon enfance

Pierre-Paul Paradis (1841-1912)

(Sources : Portrait de P.-P. Paradis : Le Quotidien (Chicoutimi), 15 décembre 1979 ; Scène ancienne
de Charlesbourg: Reine Malouin, Charlesbourg, Québec, Éditions La Liberté, 1972)




   Salut, ô Charlesbourg, berceau de mon enfance !
   Je t'aime comme on aime une douce romance
   Qu'on entend en exil au déclin de l'été. 
   Je t'aimerai toujours, coin de terre enchanté !
   Tes vallons, tes coteaux, tes verdoyants bocages,
   Je les ai parcourus, rêvant sous leurs ombrages ;
   Mais déjà sur le soir, brisé par le destin, 
   Je viens ici pleurer l'ange de mon matin. 

   Lieux qui m'avez vu naître, ah ! montrez-moi sa trace ! 
   Il me semble la voir, cet ange, cette grâce !
   Mais non, rien, tout est mort, et ce triste séjour
   Qui pour moi fut si beau au temps de mon amour,
   Semble aujourd'hui pleurer comme moi son absence,
   Car la mort seule, hélas ! jouit de sa présence.
   Ah ! la mort seule ? Oh, non, ce serait le néant : 
   C'est le ciel qu'il faut dire, avec Dieu maintenant. 

   C'est dans ce doux village où repose mon père
   À l'ombre du vieux temple où toujours la prière
   S'entremêle au doux chant des cantiques pieux ; 
   Là, j'ai reçu la vie et la foi des aïeux 
   Et le premier baiser de ma pieuse mère : 
   Doux rayon de soleil en cette vie amère, 
   Ce maternel amour qui nous rend triomphant
   À l'aurore des jours et qu'on pleure au couchant.
   Là le premier amour pour les yeux d'une femme,
   Là l'âge de vingt ans passant comme une flamme,
   Comme un coursier de feu, comme un rêve riant. 
   Puis l'espérance part, retourne à l'Orient :
   Seul le souvenir reste et s'attache à notre âme
   Comme un rêve lointain, comme au cœur une larme ! 

   Salut, vieux Charlesbourg ! Des hauteurs où tu donnes,
   Couronné par ton temple où règne la Madone, 
   Tu peux voir d'un coup d'œil, du haut de ta grandeur, 
   Québec, Lévis, Beauport, la rade et sa splendeur.
   De ton site éminent, tu vois la plaine altière
   Où Wolfe et de Lévis enchaînaient la victoire ;
   Lorette est à tes pieds, pour te faire sa cour
   Tandis que Sainte-Foy admire ton contour
   Par derrière, adossé aux belles Laurentides.
   Crois-moi, vieux Charlesbourg, tes rides sont splendides ! 

   On peut voir en ton sein plus d'une antiquité :
   Le vieux château Bigot, illustre iniquité, 
   Mais, que tu parais beau quand la brune hirondelle
   Vient au temps des amours en la saison nouvelle,
   Pour bâtir ses doux nids, à l'abri des balcons :
   On dirait que l'amour chante sur tes gazons
   Les chants des rossignols comme un concert de flûte.
   Il semble que l'amour avec ce doux chant lutte
   Pour redire aux échos ton nom délicieux. 
   Adieu ! Beau Charlesbourg, endroit béni des cieux ! 

                                     Pierre-Paul Paradis
(1897)



Tiré de : Pierre-Paul Paradis, Les funérailles de l'amour, Chicoutimi, Imp. du Progrès du Saguenay, 1897, p. 25-27.


   Pierre-Paul Paradis est né à Charlesbourg le 11 octobre 1841, de Paul Paradis, cultivateur, et de Madeleine Lefebvre. Il ne fréquenta que durant quelques années l’école primaire de l’école de son village natal, puis travailla sur la terre de son père.
   Tôt après son mariage avec Marguerite Auclair, le 22 février 1865, il se mêla à la vie sociale et politique locale. Après avoir perdu une élection à laquelle il se présenta contre l’avis de sa famille, il quitta Charlesbourg vers 1880 avec sa famille de 14 enfants, pour s’établir dans la paroisse Saint-Alphonse de La Baie, au Saguenay. Il acheta peu après une terre à la Grande-Ligne (près d'Alma). Ayant perdu son épouse le 15 novembre 1891, il s’établit à Chicoutimi, où il se remaria le 27 septembre 1893 avec Obéline Blackburn, de laquelle il eut quatre autres enfants.
   À partir de 1895, il devint journalier, puis, en 1898, geôlier de la prison de Chicoutimi, poste qu’il occupa jusqu’en 1909. L’année précédente, il avait perdu sa seconde épouse, décédée en octobre 1908. L’année suivante, le 19 août 1909, il épousa en troisième noces Marie Fortin. C’est à cette époque qu’il s’en alla résider à Montréal, dans la paroisse Sacré-Cœur, où il fut à l’emploi d’un fabriquant de chaussures, J.-A. Fortin.
   Cet autodidacte peu instruit, qui reçut le surnom de « poète illettré », a tout de même publié trois courts recueils de poésies : Essais poétiques (1893) ; La fin du monde vue par un témoin oculaire (1895) ; Les funérailles de l’amour, suivi de Charlesbourg (1897), en plus d’avoir écrit de nombreux poèmes qui parurent dans divers journaux.
   Dans son étude publiée en 1960, l’abbé Raymond Desgagné écrit : « Pierre-Paul Paradis fut une personnalité originale et attachante. […] S’il est vrai que ce poète agriculteur n’avait pas eu l’avantage de poursuivre d’autres études que des études primaires élémentaires, qu’il n’était pas non plus très familier avec la grammaire et l’orthographe, [il était néanmoins] doué de véritables dons poétiques ; il avait appris, par la lecture des grands maîtres de la poésie, à faire des vers qui ne manquaient ni de souffle, ni de rythme. [Sa poésie] présente un cas unique chez nous. Si la forme en est boiteuse, le fond pour sa part vibre d’une grande ardeur poétique où on retrouve un écho authentique de l’âme paysanne ».
   Pierre-Paul Paradis est mort des suites d’une brève maladie le 3 janvier 1912. Il a été inhumé au cimetière Notre-Dame-des-Neiges de Montréal.
(Sources : Le Progrès du Saguenay, 17 novembre 1938, 1er avril 1948, 5 septembre 1953 ; l’abbé Raymond Desgagnés, Saguenayensia, juillet-août 1960, p. 101-103 ; Progrès-Dimanche, 30 juillet 1967 ;  Le Quotidien (Chicoutimi), 15 décembre 1979).


Le poème présenté ci-haut est tiré du recueil Les funérailles de l'amour
de Pierre-Paul Paradis. Pour consulter ou télécharger le recueil, cliquer 
sur cette reproduction de sa couverture :



Pour consulter l'article détaillé sur Pierre-Paul Paradis
publié en 1960 dans la revue d'histoire Saguenayensa
cliquer sur cette reproduction de la couverture :


Le Progrès du Saguenay, 5 septembre 1953. 

(Cliquer sur l'article pour l'élargir)


Adjutor Rivard, avocat, juge, écrivain et premier linguiste
canadien-français, a publié dans le numéro de décembre 1910
 de la revue Le Parler français une critique littéraire sur l'œuvre de
Pierre-Paul Paradis, qu'il a bien connu. Pour consulter l'article, 
cliquer sur cette image :



Pour consulter ou télécharger La fin du monde vue par 
un témoin oculaire, de Pierre-Paul Paradis, cliquer sur 
cette reproduction de la couverture de cette œuvre : 



Pour consulter un article sur Pierre-Paul Paradis paru dans
l'édition du 30 juillet 1967 dans le Progrès-Dimanche de
Chicoutimi, cliquer sur l'image suivante :



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