dimanche 22 mai 2022

Le jeune poète et le premier ministre

James Émile Prendergast (1858-1945) 
et 
Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (1820-1890),
premier ministre du Québec de 1867 à 1873.

(Sources : Prendergast : Fonds d'archives du Séminaire de Québec
 Chauveau : Bibliothèque et archives nationales du Québec)




Extraits de Soir d'automne, de J.-Émile Prendergast :


   Et quoi ! faut-il chanter ? quand la chaleur humaine
          Monte dans un air corrompu ?
      Chanter quand la voix se déchaîne
      Ainsi qu'un coursier dans la plaine
          Dont le frein s'est rompu ?
          Quand elle crie anathème,
          Qu'elle ment aux aïeux,
          Quand elle hait dire que j'aime
          À sa rage mêler mon thème : 
          Leur dire de lever les yeux ?

   […] Aujourd'hui de tous lieux, de la nature immense
   S'élève un cri de haine, une sombre rumeur ;
   Et ceux qui croient pourtant, faibles, sans espérance, 
   Cachés sous le manteau de leur triste prudence,
   Craignent de dévoiler les pensées de leur cœur.

   L'avare comprend bien que deux et deux font quatre,
   L'autre dans son orgueil sait comme il faut abattre
          Et broyer le coeur d'un enfant ; 
   Celui-là sait combien se vend la conscience,
   Comme il faut s'effacer quand parle une puissance
          Pour être demain triomphant ! 

   Mais aucun d'eux ne sait, aucun d'eux ne devine
          Que dans son coeur, sous la ruine,
                   L'infini peut s'agiter ;
   Qu'ils n'auraient, s'ils voulaient, qu'à frapper leur poitrine
   Pour en faire jaillir une source divine
          Que rien ne pourrait arrêter. 

   Oui, je sens sur mon front une céleste empreinte ;
   Je voudrais que mon coeur respirât sans contrainte
          Dans l'amour et la liberté.
   La mer, ni le torrent, rien ne me désaltère ;
   Quelque chose m'appelle au-delà de la terre,
          Je crois à l'immortalité ! 

   […] La voix du monde est horrible et blasphème ?
   Poète, alors, plus haut ! fais résonner plus fort
          Ta lyre qui s'endort !
   Couvre de tes accents le cri de l'anathème, 
   Étouffe leurs clameurs dans un sublime accord, 
   Et que l'hymne de vie alterne au chant de mort ! 

                              James Émile Prendergast (1881)



Tiré de : Nouvelles soirées canadiennes, Québec, avril 1885, p. 182-184;190. Le poème a préalablement été publié en 1881 à Québec, sous forme de brochure et sous le titre de Soir d'automne.


À M. J. E. P. Prendergast, après avoir lu « Soir d'automne » :


   Lorsque m'est parvenu votre charmant envoi,
   J'étais encor malade et retenu chez moi.
   On m'avait interdit écriture et lecture ; 
   Mais vous le devinez ―car c'est dans ma nature,―
   À cet arrêt cruel, vous n'avez rien perdu
   Et votre œuvre eut l'attrait de tout fruit défendu.

   Vous êtes au printemps et vous chantez l'automne,
   Et moi, qui vois venir les sombres hivers, 
   Du caprice dictant le sujet de vos vers
   Si tristes et doux, à bon droit je m'étonne. 

   Mais l'homme est ainsi fait ; il aspire toujours
   À de nouveaux bonheurs et les veut à rebours
   Du lieu, de la saison, de l'âge ou de l'année ;
   La joie à peine éclose est bientôt dédaignée ;
   Heureux à faire envie, on cherche un autre sort ;
   L'avenir a raison, le présent seul a tort. 

   Voilà comment se font d'étranges contrastes ;
   Pourquoi l'on se surprend aux jours les plus joyeux
   L'âme toute assombrie et des pleurs dans les yeux ;
   Pourquoi souvent on rit aux jours les plus néfastes ;
   Pourquoi l'on voit partout pauvres en belle humeur,
   Riches livrés en proie à l'amère douleur,
   Jeunes gens tout rêveurs, pleins de mélancolie,
   Vieillards qu'agite encor la joyeuse folie. 

   Vous n'êtes point, je sais, de ces pleureurs à froid,
   Qui se font un métier d'une peine factice,
   Qui tremblent sans avoir au coeur le moindre effroi,
   Taxant à tout propos le destin d'injustice ;
   Vous avez du malheur ressenti l'aiguillon ;
   Sur votre front si jeune où brille le génie
   Déjà les noirs chagrins ont tracé leur sillon,
   Et la douleur en vous fit naître l'harmonie. 

   Mais qu'on aime à souffrir lorsqu'on souffre à son gré !
   L'on formule soi-même un programme à sa peine ;
   La nature riante est pour nous trop sereine,
   Trop riche est à nos yeux le nuage empourpré.
   Dédaignant fièrement amour, printemps, jeunesse, 
   On cultive avec soin le doute et la tristesse,
   Et l'on va se drapant dans de sombres manteaux,
   Et l'on suit tout pensif le sentier des tombeaux. 

   Puis quand de vrais malheurs ont ravagé notre âme,
   Quand le funèbre glas ne cesse de sonner,
   Quand nos derniers amis vont nous abandonner,
   Quand notre esprit n'est plus qu'une tremblante flamme, 
   On se reprend à vivre et malgré les soucis
   Au temps impitoyable on demande un sursis, 
   Encore une saison, encore une récolte ! 
   On voudrait rattraper printemps, jeunesse, amours. 
   Contre la vieille loi l'homme en vain se révolte,
   Jeunesse, amours, printemps, sont passés pour toujours ! 

   Pour toujours ? Il est une autre vie
   Où l'automne sévère au printemps se marie.
   Là le bonheur est fait de nos chagrins passés ; 
   L'amour est infini, la jeunesse éternelle ; 
   Les doutes sont vaincus, les remords effacés ; 
   Sans nous enorgueillir notre gloire étincelle ;
   Près du nôtre s'élève un trône plus brillant
   Sans nous humilier ; l'opprimé triomphant 
   Pardonne à l'oppresseur ; celui dont nos largesses 
   Soulageaient la misère est au sein des richesses ;
   Et les riches cruels, qui n'eurent ici-bas
   Tendresse ni pitié, sont ceux qu'on n'y voit pas. 

   Que sont auprès du Ciel les spectacles terrestres,
   Les vallons de la Grèce ou les scènes alpestres ?
   Dans les bosquets divins aux rameaux enlacés, 
   S'avancent lentement les chastes fiancés ; 
   Si la mort crut tromper leurs nobles espérances, 
   Ils en sont plus heureux, heureux de leurs souffrances ; 
   Tous les pleurs qu'ont versés ces fidèles amants,
   Ils les retrouvent là perles ou diamants ; 
   Nous y verrons aussi, meilleures et plus belles,
   Épouses, filles, sœurs, et mille sœurs nouvelles ;
   Parmi les chérubins tous nos joyeux enfants 
   Et nos bons vieux aïeux n'ayant plus que vingt ans. 

   Et nos pères diront, admirant leur ouvrage : 
   Dieu l'avait fait aimable, et moi je l'ai fait sage ; 
   Nos mères, qui pour nous ont cessé de souffrir,
   De souffrir dans ce monde et d'expier dans l'autre ; 
   Qui, victimes toujours promptes à s'offrir, 
   Sur leur propre fardeau chargeant souvent le nôtre,
   Le portèrent encore au-delà du tombeau ;
   L'épreuve étant finie, en leur sainte allégresse, 
   Nos mères trouveront le ciel encore plus beau
   En nous voyant enfin rendus à leur tendresse. 

   Poète, dans vos vers vous rêviez ce bonheur ; 
   Et ce rêve charmant qui trompait la douleur
   Éclose bien trop tôt dans votre âme candide, 
   Ce rêve est un rayon qui du ciel même vient.
   On l'a dit avant nous : dans ce monde sordide
   L'homme est un dieu tombé ; toujours il s'en souvient. 

                      Pierre J. O. Chauveau (Québec, mai 1881) 



Tiré de : Nouvelles soirées canadiennes, Québec, juillet 1885, p. 1-3.


Pour en savoir plus sur James Émile Prendergast, voyez la notice biographique et les documents sous son poème Tempête (cliquer sur le titre»). 

De James Émile Prendergast, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Ce que renferme la fleur qui tombe (cliquer sur le titre). 

De Pierre-J.-O. Chauveau, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Joies naïves ; À une étoile tombante ; Adieux à Sir John Colborne ; La messe de minuit à l'Islet ; Taquineries poétiques au comité de la pipe (cliquer sur les titres). 

Pour en savoir plus sur Pierre-J.-O. Chauveau, 
cliquer sur cette illustration : 



Pour consulter ou télécharger la version complète du
poème Soir d'automne, de James Émile Prendergast
dont des extraits sont présentés ci-haut, cliquer 
sur cette illustration : 


En 1875, James Émile Prendergast joua dans la 
pièce Les chercheurs d'or, présentée au Petit
séminaire de Québec où il faisait ses études
classiques. On le voit ici costumé aux fins du rôle 
qu'il assuma dans cette représentation théâtrale.

(Source : Fonds d'archives du Séminaire de Québec)


Pierre-J.-O. Chauveau a livré plusieurs discours politiques
parmi les plus importants de l'histoire du Québec. Pour 
consulter celui qu'il donna en mémoire de l'historien
François-Xavier Garneau, cliquer sur cette illustration :



Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a 
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien 
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques, 
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu, 
souffert et pleuré ». 

Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues. 
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux 
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque  
tome est l'objet d'une édition unique et au tirage limité. 
Pour connaître les modalités de commande de cet 
ouvrage qui constitue une véritable pièce de collection
cliquez sur cette image : 

mardi 3 mai 2022

Les fleurs de Berthier

(Source : Madame Gin)




   Revenez, revenez, marguerites des champs,
                 Suaves roses du parterre,
   Et vous, tendres œillets qui ravissez les sens,
                 Apparaissez à la lumière ; 
   Car Flore vous invite à composer sa cour,
                 Écoutez son chant d'allégresse.
   Qui plus que vous a le droit de contempler le jour ?
                 N'en ferez-vous pas la richesse ?

                 Ici tout est calme et serein,
                 Et de la coupe d'ambroisie
                 Qu'un ange tient dedans sa main
                 S'échappe une fleur de vie.
                 Au ciel chaque plante sourit
                 Et puis se tresse une couronne ; 
                 Et dans sa joie elle bénit
                 La sagesse qui la lui donne.

                 En cet agréable séjour
   Fleurissez, fleurissez ; ne craignez pas l'orage
                 Lorsque l'hiver a eu son tour.
   Poète téméraire ! ah ! pourquoi ce langage...
                 Ne séduisez-vous pas toujours ?
   Qu'importe la saison ! ô fleurs ! vous êtes reines
                 Aux plates-bandes du jardin.
   Le vent a beau souffler, ses plus froides haleines
                 Ne glacent point votre matin.

                 Brillez à l'éclat de l'aurore,
                 Brillez à l'étoile du soir,
                 Et que l'écho répète encore : 
                 « Qu'on est heureux de les revoir ! »
                 Que d'amants sècheront leurs larmes
                 Au tendre aspect de vos couleurs.
                 Croyez-moi, vos parfums, vos charmes,
                 Hélas ! guériront bien des cœurs. 

   N'êtes-vous point ces fleurs, filles de mon village, 
                 Aux plus beaux jours de leur printemps,
   Que les Muses, l'Amour comblent de leur hommage,
                 En un pieux enchantement. 
   Plus pures que les lys, plus belles que les roses,
                 En vos attraits, en vos vertus,
   Laissez-moi vous ranger parmi les saintes choses
                 Et leurs plus nobles attributs. 

                                   Charles Lévesque (6 mai 1852)



Tiré de : Yolande Grisé et Jeanne d'Arc Lortie s.c.o., Les textes poétiques du Canada français, volume 5, Montréal, Fides, 1992, p. 165-166. Le poème est originellement paru dans l'édition du 6 mai 1852 du Moniteur canadien.

Pour en savoir plus sur Charles Lévesque, voyez la notice biographique et les documents sous son poème Le poète malheureux (cliquer sur le titre).

De Charles Lévesque, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Bienfaits ; Pour le coucher d'un enfant ; Matinée poétique : le rossignol (cliquer sur les titres).


Charles Lévesque (1817-1859), auteur du poème présenté ci-haut, 
repose au cimetière de Sainte-Mélanie, dans la région de Lanaudière.

(Cliquer sur l'image pour l'élargir. Photo : Daniel Laprès, octobre 2021)

Le poème Les fleurs de Berthier, ci-haut, 
de Charles Lévesque, est tiré du volume 5
des Textes poétiques du Canada français.

(Cliquer sur l'image pour l'élargir)



Reine Malouin (1898-1976), qui a longtemps animé la vie 
poétique au Québec, a affirmé que sans nos poètes d'antan, 
« peut-être n'aurions-nous jamais très bien compris la valeur 
morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques, la forte humanité 
de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu, souffert et pleuré ». 

Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues. 
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux 
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque  
tome est l'objet d'une édition unique et au tirage limité. 
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