James Émile Prendergast (1858-1945) et Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (1820-1890), premier ministre du Québec de 1867 à 1873. (Sources : Prendergast : Fonds d'archives du Séminaire de Québec ; Chauveau : Bibliothèque et archives nationales du Québec) |
Extraits de Soir d'automne, de J.-Émile Prendergast :
Et quoi ! faut-il chanter ? quand la chaleur humaine
Monte dans un air corrompu ?
Chanter quand la voix se déchaîne
Ainsi qu'un coursier dans la plaine
Dont le frein s'est rompu ?
Quand elle crie anathème,
Qu'elle ment aux aïeux,
Quand elle hait dire que j'aime
À sa rage mêler mon thème :
Leur dire de lever les yeux ?
[…] Aujourd'hui de tous lieux, de la nature immense
S'élève un cri de haine, une sombre rumeur ;
Et ceux qui croient pourtant, faibles, sans espérance,
Cachés sous le manteau de leur triste prudence,
Craignent de dévoiler les pensées de leur cœur.
L'avare comprend bien que deux et deux font quatre,
L'autre dans son orgueil sait comme il faut abattre
Et broyer le coeur d'un enfant ;
Celui-là sait combien se vend la conscience,
Comme il faut s'effacer quand parle une puissance
Pour être demain triomphant !
Mais aucun d'eux ne sait, aucun d'eux ne devine
Que dans son coeur, sous la ruine,
L'infini peut s'agiter ;
Qu'ils n'auraient, s'ils voulaient, qu'à frapper leur poitrine
Pour en faire jaillir une source divine
Que rien ne pourrait arrêter.
Oui, je sens sur mon front une céleste empreinte ;
Je voudrais que mon coeur respirât sans contrainte
Dans l'amour et la liberté.
La mer, ni le torrent, rien ne me désaltère ;
Quelque chose m'appelle au-delà de la terre,
Je crois à l'immortalité !
[…] La voix du monde est horrible et blasphème ?
Poète, alors, plus haut ! fais résonner plus fort
Ta lyre qui s'endort !
Couvre de tes accents le cri de l'anathème,
Étouffe leurs clameurs dans un sublime accord,
Et que l'hymne de vie alterne au chant de mort !
James Émile Prendergast (1881)
Tiré de : Nouvelles soirées canadiennes, Québec, avril 1885, p. 182-184;190. Le poème a préalablement été publié en 1881 à Québec, sous forme de brochure et sous le titre de Soir d'automne.
À M. J. E. P. Prendergast, après avoir lu « Soir d'automne » :
Lorsque m'est parvenu votre charmant envoi,
J'étais encor malade et retenu chez moi.
On m'avait interdit écriture et lecture ;
Mais vous le devinez ―car c'est dans ma nature,―
À cet arrêt cruel, vous n'avez rien perdu
Et votre œuvre eut l'attrait de tout fruit défendu.
Vous êtes au printemps et vous chantez l'automne,
Et moi, qui vois venir les sombres hivers,
Du caprice dictant le sujet de vos vers
Si tristes et doux, à bon droit je m'étonne.
Mais l'homme est ainsi fait ; il aspire toujours
À de nouveaux bonheurs et les veut à rebours
Du lieu, de la saison, de l'âge ou de l'année ;
La joie à peine éclose est bientôt dédaignée ;
Heureux à faire envie, on cherche un autre sort ;
L'avenir a raison, le présent seul a tort.
Voilà comment se font d'étranges contrastes ;
Pourquoi l'on se surprend aux jours les plus joyeux
L'âme toute assombrie et des pleurs dans les yeux ;
Pourquoi souvent on rit aux jours les plus néfastes ;
Pourquoi l'on voit partout pauvres en belle humeur,
Riches livrés en proie à l'amère douleur,
Jeunes gens tout rêveurs, pleins de mélancolie,
Vieillards qu'agite encor la joyeuse folie.
Vous n'êtes point, je sais, de ces pleureurs à froid,
Qui se font un métier d'une peine factice,
Qui tremblent sans avoir au coeur le moindre effroi,
Taxant à tout propos le destin d'injustice ;
Vous avez du malheur ressenti l'aiguillon ;
Sur votre front si jeune où brille le génie
Déjà les noirs chagrins ont tracé leur sillon,
Et la douleur en vous fit naître l'harmonie.
Mais qu'on aime à souffrir lorsqu'on souffre à son gré !
L'on formule soi-même un programme à sa peine ;
La nature riante est pour nous trop sereine,
Trop riche est à nos yeux le nuage empourpré.
Dédaignant fièrement amour, printemps, jeunesse,
On cultive avec soin le doute et la tristesse,
Et l'on va se drapant dans de sombres manteaux,
Et l'on suit tout pensif le sentier des tombeaux.
Puis quand de vrais malheurs ont ravagé notre âme,
Quand le funèbre glas ne cesse de sonner,
Quand nos derniers amis vont nous abandonner,
Quand notre esprit n'est plus qu'une tremblante flamme,
On se reprend à vivre et malgré les soucis
Au temps impitoyable on demande un sursis,
Encore une saison, encore une récolte !
On voudrait rattraper printemps, jeunesse, amours.
Contre la vieille loi l'homme en vain se révolte,
Jeunesse, amours, printemps, sont passés pour toujours !
Pour toujours ? Il est une autre vie
Où l'automne sévère au printemps se marie.
Là le bonheur est fait de nos chagrins passés ;
L'amour est infini, la jeunesse éternelle ;
Les doutes sont vaincus, les remords effacés ;
Sans nous enorgueillir notre gloire étincelle ;
Près du nôtre s'élève un trône plus brillant
Sans nous humilier ; l'opprimé triomphant
Pardonne à l'oppresseur ; celui dont nos largesses
Soulageaient la misère est au sein des richesses ;
Et les riches cruels, qui n'eurent ici-bas
Tendresse ni pitié, sont ceux qu'on n'y voit pas.
Que sont auprès du Ciel les spectacles terrestres,
Les vallons de la Grèce ou les scènes alpestres ?
Dans les bosquets divins aux rameaux enlacés,
S'avancent lentement les chastes fiancés ;
Si la mort crut tromper leurs nobles espérances,
Ils en sont plus heureux, heureux de leurs souffrances ;
Tous les pleurs qu'ont versés ces fidèles amants,
Ils les retrouvent là perles ou diamants ;
Nous y verrons aussi, meilleures et plus belles,
Épouses, filles, sœurs, et mille sœurs nouvelles ;
Parmi les chérubins tous nos joyeux enfants
Et nos bons vieux aïeux n'ayant plus que vingt ans.
Et nos pères diront, admirant leur ouvrage :
Dieu l'avait fait aimable, et moi je l'ai fait sage ;
Nos mères, qui pour nous ont cessé de souffrir,
De souffrir dans ce monde et d'expier dans l'autre ;
Qui, victimes toujours promptes à s'offrir,
Sur leur propre fardeau chargeant souvent le nôtre,
Le portèrent encore au-delà du tombeau ;
L'épreuve étant finie, en leur sainte allégresse,
Nos mères trouveront le ciel encore plus beau
En nous voyant enfin rendus à leur tendresse.
Poète, dans vos vers vous rêviez ce bonheur ;
Et ce rêve charmant qui trompait la douleur
Éclose bien trop tôt dans votre âme candide,
Ce rêve est un rayon qui du ciel même vient.
On l'a dit avant nous : dans ce monde sordide
L'homme est un dieu tombé ; toujours il s'en souvient.
Pierre J. O. Chauveau (Québec, mai 1881)
Tiré de : Nouvelles soirées canadiennes, Québec, juillet 1885, p. 1-3.
Pour en savoir plus sur James Émile Prendergast, voyez la notice biographique et les documents sous son poème Tempête (cliquer sur le titre»).
De James Émile Prendergast, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Ce que renferme la fleur qui tombe (cliquer sur le titre).
De Pierre-J.-O. Chauveau, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Joies naïves ; À une étoile tombante ; Adieux à Sir John Colborne ; La messe de minuit à l'Islet ; Taquineries poétiques au comité de la pipe (cliquer sur les titres).
Pour en savoir plus sur Pierre-J.-O. Chauveau,
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Pour consulter ou télécharger la version complète du
poème Soir d'automne, de James Émile Prendergast
dont des extraits sont présentés ci-haut, cliquer
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En 1875, James Émile Prendergast joua dans la pièce Les chercheurs d'or, présentée au Petit séminaire de Québec où il faisait ses études classiques. On le voit ici costumé aux fins du rôle qu'il assuma dans cette représentation théâtrale. (Source : Fonds d'archives du Séminaire de Québec) |
Pierre-J.-O. Chauveau a livré plusieurs discours politiques
parmi les plus importants de l'histoire du Québec. Pour
consulter celui qu'il donna en mémoire de l'historien
François-Xavier Garneau, cliquer sur cette illustration :
Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques,
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu,
souffert et pleuré ».
Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues.
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque
tome est l'objet d'une édition unique et au tirage limité.
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