Alfred DesRochers (1901-1978) (Source : Un poète et son double) |
Je suis un fils déchu de race surhumaine,
Race de violents, de forts, de hasardeux,
Et j'ai le mal du pays neuf, que je tiens d'eux,
Quand viennent les jours gris que septembre ramène.
Tout le passé brutal de ces coureurs de bois :
Chasseurs, trappeurs, scieurs de long, flotteurs de cages,
Marchands aventuriers ou travailleurs à gages,
M'ordonne d'émigrer par en haut pour cinq mois.
Et je rêve d'aller comme allaient les ancêtres ;
J'entends pleurer en moi les grands espaces blancs,
Qu'ils parcouraient, nimbés de souffles d'ouragans,
Et j'abhorre comme eux la contrainte des maîtres.
Quand s'abattait sur eux l'orage des fléaux,
Ils maudissaient le val, ils maudissaient la plaine,
Ils maudissaient les loups qui les privaient de laine.
Leurs malédictions engourdissaient leurs maux.
Mais quand le souvenir de l'épouse lointaine
Secouait brusquement les sites devant eux,
Du revers de leur manche, ils s'essuyaient les yeux
Et leur bouche entonnait : « À la claire fontaine »...
Ils l'ont si bien redite aux échos des forêts,
Cette chanson naïve où le rossignol chante,
Sur la plus haute branche, une chanson touchante,
Qu'elle se mêle à mes pensers les plus secrets :
Si je courbe le dos sous d'invisibles charges,
Dans l'âcre brouhaha de départs oppressants,
Et si, devant l'obstacle ou le lien, je sens
Le frisson batailleur qui crispait leurs poings larges ;
Si d'eux, qui n'ont jamais connu le désespoir,
Qui sont morts en rêvant d'asservir la nature,
Je tiens ce maladif instinct de l'aventure,
Dont je suis quelquefois tout envoûté, le soir ;
Par nos ans sans vigueur, je suis comme le hêtre
Dont la sève a tari sans qu'il soit dépouillé,
Et c'est de désirs morts que je suis enfeuillé,
Quand je rêve d'aller comme allait mon ancêtre ;
Mais les mots indistincts que profère ma voix
Sont encore : un rosier, une source, un branchage,
Un chêne, un rossignol parmi le clair feuillage,
Et comme au temps de mon aïeul, coureur des bois,
Ma joie ou ma douleur chante le paysage.
Alfred DesRochers (1930)
Tiré de : Alfred DesRochers, À l'ombre de l'Orford, Montréal, éditions Fides, 1975, p. 35-37. Le recueil a été publié pour la première fois en 1930, aux éditions Albert Lévesque.
Pour en savoir plus sur Alfred DesRochers, cliquer ICI.
On peut aisément se procurer dans toute bonne librairie, et pour moins de 10 $, cette récente édition du recueil À l'ombre de l'Orford, d'Alfred DesRochers, qui contient notamment le poème Je suis un fils déchu. (Pour informations, cliquer ICI) |
Dédicace manuscrite d'Alfred DesRochers dans son recueil Le retour de Titus, paru en 1963. DesRochers a daté de 1936 sa dédicace, probablement pour marquer, dans une manière de facétie, le fait que les vers inclus dans ce volume ont été composés en 1936 (36 étant l'inversion de 63). Ce recueil est devenu très rare, mais deux exemplaires sont disponibles ICI. (Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
La correspondance entre Louis Dantin et Alfred DesRochers est une riche source d'informations qui fait découvrir le foisonnement de la vie littéraire québécoise de la première moité du XXe siècle. Pour informations, voyez ICI. |
Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques,
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