Henri-Myriel Gendreau (1903-1980) (Source : Mon Magazine, avril 1928) |
Quel est ce bruit ? D'où vient cet éclair rouge ?
L'horizon noir se colore de feu.
Dans le village, aucune âme ne bouge ;
Et le désastre est déjà fait, mon Dieu !
Amis, trop tard ! Le brasier fume et brille ;
Pour nous sauver, vos bras sont superflus.
Seul le père d'une belle famille
A pu s'enfuir. Et le reste n'est plus.
Non, pas encore car on entend des plaintes,
Des cris d'appel au milieu du tourment ;
Parmi la flamme aux mortelles étreintes,
Les petits appellent leur maman :
« Adieu, maman qui fus pour nous si tendre ;
Nous qui rêvions tes genoux pour tombeau,
Nous périssons sans te voir, sans t'entendre ;
Maman, adieu ! Nous t'attendons là-haut ».
Sainte folie, ô courage sublime,
Amour de mère aux élans immortels !
Pour les sauver, s'élançant dans l'abîme,
La mère en pleurs volait à leurs appels :
« Mes chers petits, cria-t-elle, affolée,
En bondissant vers les cris étouffants,
Que je vous sauve ou meure consolée ;
Vivre ou mourir, mais avec mes enfants ».
Dès lors, plus rien, plus un cri de détresse ;
Avec l'espoir le feu s'est refermé,
Tout fut rasé par sa vague traîtresse,
Tout sur la ferme était bien consumé,
Tout est mêlé dans l'amas des décombres,
Huit chers petits, une mère, un aïeul ;
Le souvenir croit voir flotter leurs ombres ;
Des ossements, des cendres pour linceul.
Seul comme un arbre au milieu de la plaine,
Disant au Ciel son amère douleur,
Le pauvre père est seul avec sa peine,
Sans un murmure au sein de son malheur :
« Aïeul, épouse et petits que je pleure !
« Aïeul, épouse et petits que je pleure !
Dieu Tout Puissant, si tu les fis périr
Sous les débris de ma pauvre demeure,
Pour les revoir, oh ! je voudrais mourir ».
Henri-Myriel Gendreau* (1928)
Le chant poétique ci-haut, qui a également pour titre La complainte de l'hécatombe et qui nous a été transmis par Robert Léger et Andrée Roy de Patrimoine Beauceville, a été publié dans certains journaux de l'époque, mais nous n'avons encore pu établir lesquels.
* Henri-Myriel Gendreau est né à Saint-François-de-Beauce le 9 avril 1903, d'Alfred Gendreau, menuisier-charpentier et voiturier pour le Quebec Central Railway, et de Célina Doyon. Après avoir fréquenté l'école primaire du village, il étudia au Juvénat des Frères Maristes de Beauceville, puis il passa au Collège du Sacré-Coeur de Beauceville et au Séminaire de Terrebonne. Après un an à l'Institut agricole d'Oka, il obtint un certificat en aviculture. Il fut également dresseur de chiens danois.
Après avoir collaboré occasionnellement à L'Éclaireur de Beauceville, il entra au service de ce journal à partir de 1925. Il y publia notamment des contes et des poèmes. Il adhéra dès lors à la Société des poètes canadiens-français. De 1927 à 1937, il travailla pour le quotidien La Tribune, de Sherbrooke. Entretemps, il avait fondé un hebdomadaire politique, Le Combat. En 1938, il passa au service du quotidien La Voix de l'Est, de Granby, où il séjournera durant sept ans, avant de revenir à La Tribune jusqu'en 1955.
En 1928, il avait publié La complainte de l’hécatombe, autrement titré L'hécatombe de Sainte-Marie, un chant poétique qui relate le terrible incendie qui, le 5 mars 1928, a détruit la maison de Thomas Cliche et de Laura Jacques et qui fit dix victimes, seul le père ayant survécu, dans un rang situé entre Vallée-Jonction et Sainte-Marie-de-Beauce.
Aux éditions de La Tribune, entre 1952 et 1955, il publia quatre récits fantastiques : Yannouk ; Perd-gagne ; Giganta et Sortilèges en forêt.
Selon Joseph Bonenfant, auteur de l'essai littéraire À l'ombre de DesRochers (éditions La Tribune, 1985, p. 87), les contes et poèmes de Henri-Myriel Gendreau « expriment un univers tourmenté et dénotent une pensée terrifiée par la fulgurance de la vie qui s’échappe sans qu’il soit possible de la retenir ».
Henri-Myriel Gendreau est mort à Lachute le 28 août 1980.
(Sources : Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1981, p. 138., mais qui contient plusieurs inexactitudes ; Patrimoine Beauceville. Un merci spécial à Andrée Roy de Patrimoine Beauceville pour son aide empressée et efficace).
Pour en savoir plus sur Henri-Myriel Gendreau, voyez les informations et documents sous son poème La barque des vingt ans, que les Poésies québécoises oubliées ont également publié.
Voyez une vidéo de Beauce TV sur la tragédie de la famille Cliche, en cliquant sur cette photo des victimes (seul le père ayant survécu ) :
Pour en savoir plus sur Henri-Myriel Gendreau, voyez les informations et documents sous son poème La barque des vingt ans, que les Poésies québécoises oubliées ont également publié.
Cette chapelle, construite en 1885 par le grand-père Cliche, se trouve maintenant sur le site même de la maison où eut lieu la tragédie du 5 mars 1928. Avant cette date, elle se trouvait de l'autre côté du chemin. Sur la photo ci-haut, on aperçoit la chapelle derrière la famille Cliche. La chapelle tient lieu de mémorial aux 10 victimes et on peut la visiter au 2015 rang Saint-Étienne sud. (Source : Ville de Sainte-Marie ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Le 6 mars 1928, lendemain de la tragédie de Sainte-Marie-de-Beauce, Le Devoir publiait cet article en première page. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Le Soleil, 6 mars 1928. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Le Soleil, 7 mars 1928. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
La Presse, 7 mars 1928. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
La Presse, 7 mars 1928. |
Le Bien Public (Trois-Rivières), 8 mars 1928. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Le Soleil, 8 mars 1928. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Images des funérailles des dix victimes de l'hécatombe de
Sainte-Marie de Beauce, dans Le Soleil du 13 mars 1928 :
(cliquer sur les images pour les agrandir)
Église de Sainte-Marie-de-Beauce, où, le 10 mars 1928, eurent lieu les funérailles des 10 victimes de la tragédie évoquée par le poème d'Henri-Myriel Gendreau. (Source : Répetoire du patrimoine culturel du Québec) |
Reine Malouin (1898-1976), qui a longtemps animé la vie
poétique au Québec, a affirmé que sans nos poètes d'antan,
« peut-être n'aurions-nous jamais très bien compris la valeur
morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques, la forte humanité
de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu, souffert et pleuré ».
Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues.
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque
tome est l'objet d'une édition unique et au tirage limité.
Pour connaître les modalités de commande de cet
ouvrage qui constitue une véritable pièce de collection,
cliquez sur cette image :