Honoré Thibault (1885-1944) alias Jean des Grèves (Source : La Presse, 18 septembre 1924) |
(Fragments)
Je t'aime, ô mon pays, quand les froids tourbillons
Des neiges de décembre ont comblé tes sillons ;
Je t'aime, ô mon pays, à cette heure indécise
Du soir hâtif, lorsque le vent, la bourrasque ou la bise
Étreignent sous leurs poids l'érable qui se tord
Et qui semble lutter comme un géant qu'on mord.
Dans tes lacs sinueux, dans tes glaces sans bornes,
Qui, sous le blond soleil prennent toutes les formes,
Dans tes bois noirs et beaux qui cachent l'azur bleu
Ainsi qu'un dôme immense entre la terre et Dieu,
Dans tes Niagaras, dans tes fleuves tonnerres,
Dans tes monts escarpés, dans tes noires rivières,
Dans tes nuages flous, dans tes limpides cieux
Que nous contemplons tous sans rassasier nos yeux,
Ciels bleus, ciels gris, ciels roux, fraîches teintes d'aurore,
Ou lueur du couchant sous le soleil qui dore,
Je t'aime, ô mon pays, et je veux te chanter ;
Te chanter dans ces mots de simple majesté
Que des colons d'Artois, de Poitou, de Touraine,
De Champagne, d'Anjou, de Beauce et de Lorraine,
Bretons, Picards, Normands, trappeurs des fiers sommets,
Redirent aux échos recueillis des bosquets.
Ces mots vibrent encore aux flancs des Laurentides,
Ni le fer ni le feu des vainqueurs avides,
Ni d'autres tout gonflés de combats triomphants,
N'ont pu les arracher aux lèvres des enfants.
Nos pères les disaient à la vague sonore,
Et nos fils, après nous, les rediront encore.
Entendez-vous au loin les notes des chansons ?
Ce sont des mots de France emportés sur nos monts
Que le grand vent du Nord disperse sur la rive
Et porte jusqu'à nous en musique plaintive.
Pour moi, simple rêveur, en ce siècle d'émoi,
Je t'aime, ô mon pays, jusque dans tes colères,
Mon cœur ne peut vibrer pour d'autres que toi.
Dans tes soleils tardifs, dans tes saisons sévères,
Je t'aime, ô mon pays, et je veux te chanter,
Chanter de tes hivers la morne royauté,
Chanter de tes printemps les murmures de l'onde,
Chanter de tes étés la glèbe âpre et féconde,
Et chanter en automne un peu de la rancœur
Qui nous saisit soudain quand tombent feuille et fleur.
Pendant qu'au sein des bois le vent du soir soupire,
Le rossignol timide accorde au loin sa lyre,
Mais le vent qui redouble en crescendo puissant
Couvre bientôt la voix du chantre du couchant.
La vague alors répond et sa vaste cadence
Est un hymne infini telle une plainte immense,
C'est un duo sans fin de la brise et des flots
Où dominent toujours des éternels sanglots. […]
Jean des Grèves* (1920)
Tiré de : Jean des Grèves, Dollard, poème dans le genre ancien en trois chants, Montréal, Librairie Beauchemin, 1920, p. 17-18.
* Honoré Thibault, dont le nom de plume est Jean des Grèves, est né à Saint-Bernard-de-Lacolle le 14 novembre 1885, d'Élias Thibault, instituteur, et de Caroline Dutrisac. Son prénom de baptême est Honorius. On ignore où il fit ses études primaires et classiques. Il obtint son diplôme de médecine dentaire de l'Université Laval de Montréal.
Durant ses études en médecine dentaire, il enseigna les langues tout en s'adonnant à la littérature. Il a ainsi composé le livret d'un opéra comique, intitulé « Gisèle », dont la musique est l'œuvre d'Alphonse Lavallée-Smith, alors considéré comme l'un des plus importants musiciens au pays et dont la mère était cousine du compositeur Calixa Lavallée.
Il a publié des articles et poèmes dans divers journaux et périodiques, dont La Presse ; Le Nationaliste ; Le Passe-Temps ; Le Bulletin des agriculteurs ; La vie au grand air ; L'Action catholique ; L'Étoile du Nord (Joliette) ; La Tribune (Sherbrooke) ; Le Droit.
Dédié à sa profession, il fut l'un des premiers membres du Collège des chirurgiens dentistes de la province de Québec, dont il a été l'un des gouverneurs, en plus d'avoir fondé la Revue dentaire canadienne dont il fut durant seize ans le rédacteur en chef ; cette publication jouissait alors d'un certain rayonnement international. Durant la première guerre mondiale, il fut capitaine des laboratoires dentaires militaires du Québec. Néanmoins, il resta toute sa vie actif dans la vie littéraire et le mouvement patriotique, en plus d'être resté féru d'histoire nationale.
Honoré Thibault est mort subitement à Montréal, à sa résidence du 4128 avenue du Parc-Lafontaine, le 27 février 1944. Il avait épousé Jeanne Beauchemin le 9 juin 1921, à la paroisse Saint-Louis-de-France, à Montréal.
(Sources : La Patrie, 24 mai 1912 et 28 février 1944 ; La Presse, 18 septembre 1924 ; La Gazette du Nord, 30 septembre 1938 ; Ancestry.ca).
Le poème Invocation, dont des extraits sont présentés ci-haut,
est tiré de Dollard, poème dans le genre ancien en trois chants,
de Jean des Grèves, nom de plume d'Honoré Thibault.
Pour consulter ou télécharger cet ouvrage, cliquer
sur sa couverture :
La préface signée par Jean des Grèves dans son ouvrage
Dollard, tout en évoquant les droits linguistiques et scolaires
des canadiens-français qui étaient alors bafoués sans vergogne
par les gouvernements de diverses provinces canadiennes dont
l'Ontario et le Manitoba, constitue un vibrant plaidoyer patriotique
qui n'a rien perdu de sa vigueur ni de sa pertinence. Pour en
prendre connaissance, cliquer sur cette image :
En 1912, le gouvernement de l'Ontario adoptait l'infâme
Règlement 17, qui piétinait les droits linguistiques et
scolaires des Canadiens-français de cette province.
Honoré Thibault ne resta pas indifférent à cet affront
et publia ce vigoureux texte le 27 octobre 1912 dans
Le Nationaliste, hebdomadaire fondé par Olivar Asselin
et Jules Fournier. Cliquer sur l'article pour l'élargir :
En 1919, Honoré Thibault, sous son nom de plume de
Jean des Grèves, composa les paroles d'une pièce
pour piano et chant, intitulée Inconstance, dont la
musique est de Stella Ricard. Cliquer sur l'image
pour consulter ou télécharger cette œuvre :
Comme en fait foi cette annonce parue dans Le Devoir du 7 juin 1916, le cabinet professionnel d'Honoré Thibault était alors situé sur la rue Rachel près de la rue Saint-Denis, à Montréal. |
Cet entrefilet paru dans La Patrie le 29 septembre 1929 fait état d'un voyage de recherches en Europe effectué par Honoré Thibault. |
Il arrivait à Honoré Thibault de séjourner quelque temps en région québécoise afin de remplacer un collègue dentiste, comme en fait état cette mention parue dans la Gazette du Nord le 30 septembre 1938. |
La Patrie, 28 février 1944. (Cliquer sur l'article pour l'élargir) |
La résidence d'Honoré Thibault (où il est mort subitement le 27 février 1944), telle qu'elle paraît de nos jours, au 4128 avenue du Parc-Lafontaine, à Montréal. (Source : Google Maps) |
Pierre tombale de la famille d'Honoré Thibault. À noter que l'année de sa naissance indiquée sur le monument est erronée, car il est né en 1885 et non en 1887. Voir ci-dessous les documents qui attestent de ce fait. (Source : Find-A-Grave) |
Extrait du registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, à Montréal, faisant état du mariage d'Honoré Thibault avec Jeanne Beauchemin, le 9 juin 1921. À noter le prénom tel qu'inscrit, Honorius, ce qui confirme qu'il s'agit bel et bien du même HonoriusThibault qui est né à Lacolle en 1885. À souligner également que l'épouse de Thibault est la fille de Louis-Joseph-Odilon Beauchemin (1852-1922) propriétaire de l'importante Librairie Beauchemin, à Montréal, qui était également le premier grand éditeur de livres au Québec. |
Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques,
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu,
souffert et pleuré ».
Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues.
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque
tome est l'objet d'une édition unique et au tirage limité.
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ouvrage qui constitue une véritable pièce de collection,
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