Lionel Léveillé alias « Englebert Gallèze » (1875-1955) (Source : P. de Grandpré, Histoire de la littérature française du Québec, tome 2) |
Dans mes souvenances lointaines
Revivent parfois vaguement
Les imposants croquemitaines
Du temps que j'étais un enfant.
Et je demande à ma mémoire :
« Où sont-ils tous ces noms fameux,
Cayen-Sucré, le Quêteux-Noir,
Le Quêteux-Rouge et le Loucheux.
Péti-Turcot, Tornon-Vinguienne,
Gaillards dégourdis et malins,
Venant tous de Sainte-Julienne,
Du Grand-Cordon ou de Saint-Lin ? »
Quand s'estompait leur haute taille
Ondulant sur leurs lourds bâtons,
Les chiens jappaient, et la marmaille
Rentrait craintive à la maison.
Crânement, sans cérémonie,
Et sur un ton de bon aloi :
« Bonjour toute la compagnie ».
Puis ils étaient partout chez soi.
À manger la soupe en famille
Et sans manières, retenus,
Ils riaient de façon gentille
Et disaient : « C'est pas de refus ».
Pendant qu'on lave la vaisselle,
Fumant leur pipe dans un coin,
Ils vous dépliaient des nouvelles
De tous les villages voisins :
« La belle Luce au gros Bellone
Se marie au petit Durand.
Quand j'ai passé par Terrebonne
Colas à Pierre était mourant ».
Après un petit bavardage :
« Marci ! Ben du succès ! Adieu ! »
Puis ils reprenaient leur voyage
Sous le grand soleil du bon Dieu.
On était personne de marque.
On était fier de son métier.
Un quêteux, c'était un monarque
Ayant pour carrosse ses pieds,
Pour tout domaine la grand'route,
Pour fortune, un corps vigoureux
Et pour palais doré, la voûte
Sombre ou transparente des cieux.
Depuis, des réformes iniques
Et l'évolution des mœurs,
Ont au vagabond pacifique
Signifié : « Travaille ou meurs ».
Pour conserver quelque importance,
Pour être un peu considéré,
Fallut montrer des références,
Un bon billet de son curé,
Être rachitique et tout croche,
Bossu, n'avoir rien de niveau,
Avoir une jambe qui cloche,
N'avoir, de bras, que des morceaux.
Aussi ― répercussion juste ―
Le mendiant persécuté
N'est plus le beau grand gaillard robuste
Du bon temps de la liberté.
Avec leur mine pitoyable
Ce sont, tantôt, de faux boiteux,
Qui jettent béquilles au diable
Aussitôt que rentrés chez eux,
Des sourds-muets, de vilains drôles
Aux gestes lourds et rococo
Et qui recouvrent la parole
Dès qu'ils vous ont tourné le dos ;
Ou, si par quelque rue obscure
Vous venez le soir à... ramer,
C'est quelque quêteux d'aventure
Qui parle de vous assommer.
Majestueuse silhouette,
Roi hâlé des chemins poudreux,
Moi, franchement, je te regrette,
Ô race des anciens quêteux.
Lionel Léveillé alias
Englebert Gallèze (1913)
Tiré de : Englebert Gallèze (Lionel Léveillé), La Claire Fontaine, Montréal, Librairie Beauchemin Limitée Éditeurs, 1913, p. 31-36.
Pour en savoir plus sur Englebert Gallèze, voyez la notice biographique sous son poème Rêveur (cliquer sur le titre).
D'Englebert Gallèze, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Épluchettes ; Tristesse d'automne ; Bonne et heureuse.
Pour consulter ou télécharger gratuitement le recueil La claire fontaine, d'où est tiré le poème ci-haut, cliquer ICI. |
Le Quêteux, par Rodolphe Duguay, 1942. ( Source : Livranaute ) |
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