Adolphe Poisson (1849-1922) (Source : Société d'histoire de Princeville-Arthabaska) |
I
Au détour du sentier, quand plane la nuit sombre,
À l'abri des halliers s'est blotti le bandit.
Moins que son oeil ardent son poignard luit dans l'ombre,
Sanguinaire instrument de son métier maudit.
Là, l'oreille tendue, il épie en silence
Les derniers bruits du jour qui lentement s'éteint.
Sur la branche voisine un oiseau se balance
Et polit de son bec son aile de satin.
Tout est calme et serein. Seul dans ce coeur l'orage
Des viles passions gronde confusément.
Cet homme à la nature est un sanglant outrage,
Pourtant elle le berce et le venge en l'aimant.
Pour le brigand farouche elle a même caresse
Que pour le tendre oiseau qui chante ses amours ;
Aux bons comme aux méchants elle répand l'ivresse,
Se fait clémente à tous, leur dispense les jours.
Sur le chemin désert enfin un pas résonne
Dans le calme du soir. Un passant près de lui
Chemine pesamment sans redouter personne ;
Nul bras ne s'est levé, le poignard n'a pas lui !
Ignorant les périls de la route déserte,
Tu peux passer sans crainte, ô toi, simple artisan,
Car le vil détrousseur n'a pas juré ta perte,
Et reconnaît de loin ton pas grave et pesant.
Ne crains rien pour le fruit de ton humble journée.
Le bandit ne s'est point blotti là pour si peu :
Il préfère aux gros sous la luisante guinée ;
Aussi tu peux rejoindre et ta femme et ton feu.
Mais on entend le bruit d'un coursier qui, rapide,
Ramène à sa villa le riche financier.
Le bandit se redresse et son regard cupide
A l'éclat de l'éclair et le froid de l'acier.
Il s'élance, il bondit, il frappe sa victime,
Le fouille et lui ravit son gousset rempli d'or,
Puis sous terre cachant l'instrument de son crime,
Il gagne son taudis et sans regret s'endort.
II
Ainsi sur le chemin pénible de la vie,
Au détour du sentier qui mène au mont sacré,
Alerte voyageur ! Là se cache l'envie
Pour frapper le passant de son dard acéré.
Pour le simple ouvrier ses tiges hérissées
Ne se dressent jamais. Malheur à l'oeil qui luit,
Au poète marchant plein de douces pensées,
Le front dans la lumière et les pas dans la nuit !
Malheur au noble esprit qui vers le Beau s'élève,
Au coeur qui vers le Bien se sent poussé ! Malheur
À l'épi plein de suc, au rameau plein de sève !
L'envie est là fauchant le talent dans sa fleur.
Adolphe Poisson (1917)
Tiré de : Adolphe Poisson, Chants du soir, Arthabaska, 1917, p. 135-138.
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Chants du soir est le dernier recueil de poésies publié par Adolphe Poisson. |
Plaque commémorative à la mémoire d'Adolphe Poisson sur le site de sa résidence, à Arthabaska. (Source : Répertoire du patrimoine culturel du Québec) |
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