dimanche 11 octobre 2020

La nymphe du Saint-Laurent

Une nymphe et le fleuve Saint-Laurent dans la région du Bas-du-Fleuve.

(Sources : Fleuve Saint-Laurent : Fond d'écran-image.com ;
Nymphe, par Charles-Amable Lenoir, Wikipedia)




      Un jour d'été, près de la rive,
      Le front baissé, l'âme rêvant,
      Dans ma nacelle fugitive
      Je descendais le Saint-Laurent.
      La brise embaumait le rivage,
      Et sur les eaux, d'un soleil pur,
      Se jouaient, éclatant mirage,
      Le safran, la pourpre et l'azur.
      Tout-à-coup, sur l'onde écumante,
      Vibre un mélodieux accord ;
      Pour découvrir la voix qui chante,
      Ému, je rame vers le bord.

   Un bras blanc appuyé sur sa harpe sonore,
   Qu'elle était belle, ô Dieu ! la femme qui chantait !
   Plus limpide et plus beau que la plus belle aurore,
   D'un merveilleux éclat son teint resplendissait.
   Comme d'un flot de cristal, sur ses tempes neigeuses,
   L'ébène serpentait en boucles radieuses,
   Et d'un paisible cœur étincelant miroir, 
   Vers les sublimes champs flottait son grand œil noir.

   À peine sur le sable appuyant son pied rose,
   Comme la fleur des prés aux feux de l'aube éclore,
   D'un céleste parfum elle emplissait les airs
   Et le fleuve en silence écoutait ses concerts. 
   De peur de la troubler en son modeste asile,
   Penché sur mon esquif, j'admirais, immobile,
   j'admirais ; et son chant, vrai chant de séraphin,
   Faisait battre mon cœur comme un écho divin.

   Nymphe du Saint-Laurent, dont le front étincelle
      Comme un reflet des cieux,
      Déesse de ces lieux,
   Ange ou femme, dis-moi, qui t'a faite si belle ?

      Comme pour prendre ton essor,
      Tu sembles oublier la plage ;
      L'albâtre, le vermeil et l'or
      Resplendissent sur ton visage.
      De l'amour allumant le feu,
      Ton aspect éteint la souffrance,
      Ton regard fait penser à Dieu,
      Ta voix invite à l'espérance ;
      Sous le charme de tes accents,
      Mon âme s'ouvre à la prière
      Et mon cœur en nobles élans
      Célèbre Celui qu'il vénère.
      Brillant d'un éclat immortel,
      Comme toi dans l'Éden fut Ève,
      Comme toi, venant sur la grève,
      Serait un messager du ciel. 

   Ô toi qui, de ces bords, comme un astre étincelle,
   Dis-moi, Nymphe, dis-moi, qui t'a faite si belle ?

   Soudain, la voix se tut. Sur les rapides flots
   Comme une ombre glissa la vaporeuse image,
   Et du flanc azuré d'un transparent nuage,
   Partit un autre chant qui modula ces mots : 

      « Parce qu'en une âme chrétienne
         Elle garda sa piété,
         Dans les traits de la Canadienne
         Le ciel conserva la beauté.
         De sa foi pieuse en échange,
         À son front pur, comme à son cœur, 
         Du lys il donna la fraîcheur,
         Puis à sa voix l'accent de l'ange ». 

   Ce dernier son mourut dans le roseau plaintif,
   Et tant que je suivis la rive parfumée,
   Une ombre voltigea sur mon tremblant esquif,
      Comme une blanchâtre fumée. 

   Vierge du Canada, des cieux type éternel,
   Pardonne au faible accord d'un trouvère mortel : 
   Pour chanter dignement ta splendeur et ta grâce,
      Il faudrait la muse d'Horace,
      Et pour les peindre, un Raphaël

               Emmanuel Blain de Saint-Aubin* (1860)




Tiré de : Les textes poétiques du Canada français, tome 8, Montréal, Fides, 1995, p. 77-78. Signé sous le pseudonyme de « Valentin », le poème parut pour la première fois dans le journal L'Ordre, à Montréal, le 14 février 1860.

* Emmanuel Blain de Saint-Aubin est né à Rennes (France) le 29 juin 1833, de Charles Blain de Saint-Aubin et d'Emmanuelle-Sophie-Jeanne Delamarre. Ayant perdu son père le 20 décembre 1844, alors qu'il avait onze ans, il obtint à Rennes un baccalauréat ès lettres le 26 juillet 1851. Peu après, il se rendit à Paris, où il suivit des cours de sciences et d'arts. 
   Vers 1857, il étudia la langue anglaise en Angleterre, puis il s'en alla peu après à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il y donna des leçons de musique et de grammaire française. Après un séjour à l'Île-du-Prince-Édouard, il arriva à Québec en 1858 ou 1859, où il enseigna la grammaire française aux enfants, de même que l'anglais, le chant et le piano. Il commença peu après à publier des poèmes dans divers journaux et périodiques, ce qu'il fit jusqu'à la fin de sa vie. 
 Il publia également de nombreuses chansons de sa composition. Sa première chansonnette, intitulée À Pamphile Le May, est parue en 1865. Suivirent notamment L'éloge des huîtres (1867), Le carnaval de la Chambre des Communes (1869), Berceuse pour tous (1871), Le Jour de l'An (1874), Le chapeau (1882), etc.   Selon le Dictionnaire biographique des musiciens canadiens« Il exécutait la vocalise avec une sûreté et une prestesse merveilleuses. Racontait avec une facilité telle qu'on eût dit qu'il improvisait les paroles, les rimes et le rythme de la mélodie ; chantait de toute sa personne, tant il savait combiner la voix, les mots, l'air, l'attitude du corps. Blain était un homme d'esprit, ses chansonnettes le prouvent ». 
   Il aborda aussi la composition religieuse, avec, entre autres, des cantiques de Noël fort appréciés en son temps : Paroles de l'Enfant-Dieu, Près d'un berceau, Délices des anges, etc.  
  Il composa dès lors les paroles et la musique de nombreuses chansons qui le rendirent populaire dans la Vieille Capitale : on dit que tout lui allait : musique instrumentale, chant, théâtre, récitation de poèmes. Après avoir été professeur de français pour les enfants du gouverneur général Charles Monck, il entra en 1862 au bureau de traduction de l'assemblée législative. 
   Emmanuel Blain de Saint-Aubin est mort à Ottawa le 9 juillet 1883. Il avait épousé Euphémie Rhéaume à l'automne 1864. Il avait à maintes prises paru avec elle, également douée dans l'art de la chanson, dans divers concerts.  
(Sources : Benjamin Sulte, Blain de Saint-Aubin, dans la Canada-Revue, Montréal, avril 1891 ; Sœurs de Sainte-Anne, Dictionnaire biographique des musiciens canadiens, Lachine, 1935, p. 30-31).

D'Emmanuel Blain de Saint-Aubin, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Escarmouches poétiques sur la chaude saison


Emmanuel Blain de Saint-Aubin 
(1833-1883)

Source : La Musique, Québec, juin 1921.


Pour en savoir plus sur 
Emmanuel Blain de Saint-Aubin, 
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Reine Malouin (1898-1976), qui a longtemps animé la vie 
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