vendredi 4 août 2023

L'esquif

Denis Henri Senécal (1837-1869)

(Source : Musée McCord, qui lui attribue
erronément la fonction de « politicien »)




   C'était l'heure où la nuit, en fantôme muet, 
   Laissant tomber sa robe et flotter ses longs voiles,
   Enveloppe dans l'ombre onde, plaine et forêt
   Et fait briller bien haut sa couronne d'étoiles.

   J'avais rêvé longtemps au pied des arbres verts.
   Le silence régnait sur la rive isolée,
   Les oiseaux endormis suspendaient leurs concerts,
   La brise seulement, la brise parfumée,
   Dans les bois d'alentour doucement murmurait.
   Et le rapide flot, qu'un léger souffle ride, 
   Caressait le rivage et puis disparaissait,
   Reflétant mille feux dans son onde limpide. 

   C'est alors que dans l'ombre et sur l'aile du vent, 
   Une voix s'éleva, voix d'ange ou voix de femme. 
   Je regardai la rive et l'azur transparent,
   Puis j'écoutai, pensif et le trouble dans l'âme, 
   Ces sons mélodieux, cette suave voix 
   Qui s'élevaient le soir, sur l'onde calme et pure,
   Pareils aux chants trompeurs qu'Ondine quelquefois
   Module dans les airs quand la nuit est obscure. 

          « L'étoile d'or scintille aux cieux
          « Ô mon esquif, fends les flots bleus.
          « Cours, vole en ta fuite rapide,
          « Léger esquif, car c'est la nuit.
          « Vite, vogue, vogue sans bruit.
          « Oh ! glisse sur la plaine humide. 

          « Glisse, car il m'attend là-bas.
          « Oh ! glisse et ne balance pas
          « Ta blanche voile qui me guide,
          « Léger esquif, car c'est la nuit.
          « Vite, vogue, vogue sans bruit. 
          « Oh ! glisse sur la plaine humide ». 

   Ainsi disait la voix... L'esquif mystérieux,
   Comme une aile de cygne, effleura le rivage. 
   Dans le lointain, hélas ! je le suivis des yeux, 
   Mais je n'entendis plus que le bruit du feuillage.

   C'était l'heure où la nuit, en fantôme muet, 
   Laissant tomber sa robe et flotter ses longs voiles,
   Enveloppe dans l'ombre onde, plaine et forêt
   Et fait briller bien haut sa couronne d'étoiles.

                                 Denis Henri Senécal* (1864) 



Tiré de : Revue canadienne, juillet 1864, p. 412. 


*  Denis Henri Senécal est né à Montréal le 10 avril 1837, de Denis Senécal, marchand, et de Julie Viger. Après ses études classiques au Collège Sainte-Marie de Montréal, il fit son droit et fut admis au Barreau en 1858. 
  Il fit dès lors partie d'un grand mouvement littéraire ayant surgi à cette époque parmi la jeunesse catholique canadienne-française. Il fut notamment l'un des premiers membres du Cercle littéraire et y lut lors de séances publiques les fruits de ses divers travaux et recherches, particulièrement dans le domaine du droit. 
   Associé au sein de l'étude légale d'Antoine-Aimé Dorion et de Côme-Séraphin Cherrier, deux personnages politiques de premier plan dont le second deviendra son beau-père, il a publié dans divers périodiques des articles sur le droit et plusieurs poèmes. La musique et la poésie occupaient ses loisirs. Violoniste doué, il se produisit lors de soirées musicales publiques. Il est l'un des fondateurs de la Revue canadienne, l'un des premiers périodiques littéraires au Canada français et dont l'influence sera durable. Il a été dit qu'il avait « imprimé un élan remarquable à la littérature de cette époque et il y a pris une part distinguée qui en avait fait l'un des chefs les plus estimés ». Et aussi : « Il possédait un sentiment très vif des choses de l'art, du goût, de la mesure, du tact. Il écrivait sobrement, il disait bien. Les petits discours qu'il prononçait parfois dans les réunions littéraires sortaient de l'ordinaire et étaient toujours remarqués ». 
   Denis Henri Senécal est mort à Montréal le 10 octobre 1869, à l'âge de 32 ans et six mois. Il avait épousé Marie-Louise Cherrier le 27 septembre 1859. Il était également le cousin d'Eusèbe Senécal, important imprimeur de livres, de périodiques et de journaux.

(Sources : Revue canadienne, décembre 1869 ; L'Ordre, 12 octobre 1869 ; L'Événement, 12 octobre 1869 ; La Gazette de Sorel, 14 octobre 1869 ; Nos origines (où la date de naissance est erronée) ; Ancestry.ca).


Denis Henri Senécal à l'âge de 25 ans.

(Photo Studio Notman ; Musée McCord)


Denis Henri Senécal était aussi un violoniste talentueux. 
Il participait parfois à des concerts et soirées musicales,
dont celle-ci ayant eu lieu à Montréal en décembre 1863.
Cliquer sur le document ci-dessous pour l'élargir : 
(Source : L'Ordre, 10 décembre 1863)
 


Denis Henri Senécal a publié de nombreux textes sur
divers sujets dont le droit qui était sa profession. En 
cliquant sur la couverture ci-dessous de la Revue 
canadienne d'octobre 1868, on peut lire un article 
au contenu original qu'il y fit paraître et dont le titre
est : « Poésie du droit primitif ».



Suite à la mort prématurée de Denis Henri Sénécal, 
la Revue canadienne, dont il fut l'un des fondateurs, 
a fait paraître ce vibrant hommage à sa mémoire. 
(Cliquer sur l'article pour l'élargir) : 


L'Ordre, Montréal, 12 octobre 1869.

La partie difficilement lisible se lit comme
suit : «... il ne faisait de la musique que
pour l'art : ses goûts l'entraînèrent plutôt
à la profession d'avocat qu'il pratiqua
pendant dix ans »

L'Événement, Québec, 12 octobre 1869.

(Cliquer sur l'article pour l'élargir)

La Gazette de Sorel, 13 octobre 1869.

(Cliquer sur l'article pour l'élargir)

La Minerve, Montréal, 14 octobre 1869.

(Cliquer sur l'article pour l'élargir)

Cette brève notice nécrologique parue le 14 octobre
1869 dans la Gazette de Joliette rappelle que Denis
Henri Senécal, qui est né le 10 avril 1837, est décédé
le 10 octobre 1869, ce qui lui faisait effectivement
trente-deux ans et six mois, jour pour jour.


Les rares publications qui mentionnent l'âge ou la date de
naissance de Denis Henri Senécal sont pour la plupart
erronées. Cet extrait du registre de la paroisse Notre-
Dame-de-Montréal prouve qu'il est né le 10 avril 1837.

(Source : Ancestry.ca ; cliquer sur le document pour l'élargir)

Marie-Louise Cherrier, veuve de Denis Henri 
Senécal, a survécu plus de 46 ans à la mort 
de son époux, tel qu'on le constate dans 
cette notice nécrologique parue dans 
Le Devoir du 15 janvier 1917.

(Cliquer sur l'article pour l'élargir)


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