jeudi 17 février 2022

Le Doux Parler

À gauche, Gustave Zidler (1862-1936) durant une fête champêtre au Petit Cap,
à Saint-Joachim, sur la Côte-de-Beaupré, le 27 juin 1912, à l'occasion du 
Premier congrès de la langue française au Canada, dont il était l'un des
invités spéciaux venus de France. À droite, Gustave Zidler disant son poème
François de Montmorency-Laval (cliquer sur le titre), devant une foule
de participants à cette même fête.

(Source : Archives du Séminaire de Québec ; cliquer sur l'image pour l'élargir)




                                                                       À tous les vaillants qui luttent 
                                                                       pour les Droits du français
                                                                       dans la Confédération bilingue
                                                                       du Canada.



   Un livre, un entre tous, nous est cher : le voici.
   C'est un simple recueil de mots, ― en raccourci,
   L'image, l'écho clair du passé qu'il retrace, 
   Archives de l'Idée et trésor de la Race : 
   C'est un simple recueil de mots. Qui n'est entré
   Dans la forêt tranquille au mystère sacré ?
   Qui n'a vu de l'étang la grande eau calme et lisse ?
   Tout semble dormir : mais qu'un souffle vienne et glisse
   Sur le miroir des eaux, sur les bois qu'il surprend,
   Et chaque feuille, émue, et chaque flot, vibrant, 
   Parle, et toutes ces voix, qu'enfle un même génie,
   Font en se propageant une vaste harmonie. 
   ― Ainsi, dans ce lexique, œuvre des siècles morts,
   Où tous vocables, vieux ou récents, doux ou forts, 
   Nobles et roturiers, ensemble fraternisent,
   Où l'esprit des aïeux et leur cœur s'éternisent,
   La même âme, agitant l'arbre aux mille rameaux,
   Fait vivre et tressaillir la nation des mots.

   Ces mots vivent, puissants, en libre république,
   Les uns, croisant l'épée, ardents à la réplique,
   D'autres, pimpants, parés de dentelle et courtois,
   D'autres, en sabots, fils des rustiques patois,
   Tous frais et souriants dans leur verte vieillesse,
   Tous prompts, tous au bon sens joignant la gentillesse,
   Tous français. Nets et purs, tintant comme un cristal, 
   Ils ont bien tous l'accent de leur pays natal.
   Qu'ils viennent s'animer aux lèvres des poètes,
   Des mères, ― et soudain leurs syllabes muettes
   Nous disent la pitié, l'amour, l'espoir divin ;
   Ils pénètrent l'esprit de leur subtil levain,
   Donnent l'aile joyeuse à l'âme prisonnière,
   L'exaltent dans le rêve au sein de la lumière,
   Et nous font pressentir, avec leurs frêles sons,
   De l'infini des cieux les sublimes frissons !


                             * * *

   Parle, unis-nous toujours, sans peur ni défiance ;
   Parle nous, grave et droit comme une conscience,
   Verbe limpide et franc, verbe de vérité ! 

   Unis-nous, cher langage, avec tes grâces vives ; 
   Aux fêtes de l'esprit, charme tous tes convives,
   Verbe de joie exquise et de fine gaîté ! 

   Pour nous unir encor, dis-nous ton fier cantique,
   Tes vers mélodieux, drapés de pourpre antique,
   Ô glorieux langage, ô verbe de beauté ! 

   Dis-nous Roland, dis-nous, après le vieux trouvère,
   D'héroïsme et d'honneur l'hymne mâle et sévère, 
   Verbe cornélien, verbe de loyauté ! 

   Chante, chante surtout comme un baiser ! Émousse
   La haine ! Apaise, unis nos cœurs de ta voix douce,
   Ô verbe d'amour juste et de fraternité !


                             * * *

   En ces mots, mots sacrés, qui vont de bouche en bouche,
   Que le vers a sertis dans son noble contour, 
   Ce mot clair qui sourit, ce mot qui pleure et touche,
   Avec dévotion je les dis à mon tour ! 

   Près de nos chers petits dont la parole hésite, 
   Près des berceaux naïfs aux ramages jolis,
   J'écoute, et parmi nous crois revoir en visite
   Nos ancêtres du fond des âges abolis ! 

   Aimons notre idiome, ô fils de cette terre ! 
   Les rêves sont si beaux qu'il sut toujours bercer !
   C'est lui le gardien sûr de l'âme héréditaire : 
   Qui français parle bien, en Français doit penser ! 

   C'est notre doux parler qui nous conserve frères ! (1) 
   Nous pouvons succomber, par le nombre envahis : 
   Tant que sur nos tombeaux, dans ces jours funéraires,
   Deux enfants rediront les mots du cher pays, 

   Aussi longtemps vivront l'esprit vengeur qui crie
   Justice, l'espérance aux vaillantes douceurs,
   L'immortelle cité, l'idéale patrie
   Où des chaînes d'amour vont des lèvres aux cœurs ! 

                                         Gustave Zidler(1912)



Tiré de : Gustave Zidler, Le cantique du Doux Parler, Paris, Société française d'imprimerie et de librairie, 1914, p. 239-242.

(1) : Ce vers figure en exergue sur la médaille du Premier congrès de la langue française au Canada, œuvre du sculpteur et graveur parisien Alexandre Morlon.

 * Gustave Zidler est né à Paris le 28 août 1862. Son père était Adrien Zidler, chef de bureau au ministère français de l'Instruction publique. Son oncle, Charles Zidler, est le fondateur du célèbre cabaret du Moulin-Rouge, à Paris.
   Agrégé en lettres en 1885, il enseigna aux lycées de Périgueux et de Poitiers, puis au lycée Carnot (Paris), avant de rejoindre, en 1921, le lycée Hoche de Versailles, où il enseigna jusqu'à sa retraite, en 1933. 
  Écrivain, il publia d'abord des pièces dramatiques et des romans pour la jeunesse, pour ensuite se consacrer à la poésie d'esprit patriotique. Membre du groupe de la Revue des poètes, il publia de nombreux volumes, y compris des recueils de poésies. Il fut cinq fois lauréat de l'Académie française, en plus d'avoir été décoré de la Légion d'honneur en 1933. 
   En juin 1912, il représenta la France à Québec, à l'occasion du Premier congrès de la langue française au Canada, dont la devise, « C'est notre doux parler qui nous conserve frères », provient du poème ci-haut présenté. Inspiré par cet événement, au cours duquel il se vit attribuer un doctorat honorifique par l'Université Laval, il publia, en 1914, le recueil Le cantique du Doux Parler, qui fut longtemps offert en prix aux meilleurs élèves dans les écoles canadiennes-françaises. 
   Le lac Zidler, près de Val-d'Or, commémore son souvenir. Il a, lors de l'attribution de son nom à ce lac, composé un poème intitulé Pour mon lac, en Canada (cliquer sur le titre).
   Gustave Zidler est mort à Versailles (France) le 3 décembre 1936. Il était l'époux de Thérèse Girot, dont il eut cinq enfants.
(Sources : Wikipédia ; Le Devoir, 22 décembre 1936 ; Le Soleil, 22 décembre 1936).


Voyez également le poème À la langue française (cliquer sur le titre) composé par Lionel Dessurault à l'occasion du Premier congrès de la langue française.


Le cantique du Doux Parler, recueil 
de Gustave Zidler d'où est tiré son
poème Le Doux Parler, ci-haut. 

On peut ICI en télécharger 
gratuitement un exemplaire.

(Cliquer sur l'image pour l'élargir)

Gustave Zidler, au centre, en compagnie de Mgr Paul-Eugène Roy, évêque 
auxiliaire de Québec, et de Mgr Adélard Langevin, archevêque de Saint-
Boniface, au Manitoba, durant la fête champêtre ayant eu lieu au Petit-Cap
de Saint-Joachim, le 27 juin 1912, à l'occasion du Premier congrès de la 
langue française au Canada
, dont il était un invité d'honneur.

(Source : Archives du Séminaire de Québec)

Carte postale officielle du Premier congrès de la langue française au Canada
qui eut lieu à Québec en 1912, et dont Gustave Zidler fut un invité d'honneur.

(Source : Wikipedia ; cliquer sur l'image pour l'élargir)

Annonce, tirée du Programme du congressiste, de la fête champêtre à laquelle
Gustave Zidler prit part le 27 juin 1912 au Petit-Cap de Saint-Joachim, et où 
furent prises les photos ornant le poème ci-dessus.

(Cliquer sur l'image pour l'élargir)

Le Devoir, 27 juin 1912.

Le Soleil, 22 décembre 1936.

(Cliquer sur l'article pour l'élargir)

Le Devoir, 22 décembre 1936.

Le journaliste nationaliste Omer Héroux a rendu cet hommage à la
mémoire de Gustave Zidler dans Le Devoir du 26 décembre 1936.

Vue via satellite du lac Zidler, près de Val-d'Or, en Abitibi.

(Source : Google Maps)


Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a 
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien 
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques, 
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu, 
souffert et pleuré ». 

Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues. 
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux 
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque  
tome est l'objet d'une édition unique et au tirage limité. 
Pour connaître les modalités de commande de cet 
ouvrage qui constitue une véritable pièce de collection
cliquez sur cette image : 

1 commentaire:

  1. Qui français parle bien, en Français doit penser ! Nous ne sommes pas Français, mais il faut constater qu'une petite flamme française brûle en nous et pour nous depuis belle lurette. Je me souviens, ça fait longtemps que je t'aime, jamais je ne t'oublierai. Merci à tous ses hommes et femmes qui ont alimenté cette longue amitié.

    -Napoléon Aubin

    RépondreSupprimer