vendredi 22 octobre 2021

Ode à Québec

Québec vu de Lévis, vers 1890. 

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'élargir)




            (Fragments) 

   Ô Québec, pour moi, quand je souffre,
   Que tous nos efforts désormais
   Paraissent tomber dans un gouffre
   Dont rien ne sortira jamais ;
   Lorsque l'avenir se fait sombre,
   Que je vois, succombant dans l'ombre,
   Mon peuple écrasé par le nombre
   Sans que rien ne puisse l'empêcher ;
   Enfin, quand tout semble inutile,
   Je vais me placer, immobile, 
   Sur ton fleuve, devant la ville,
   Et je contemple ton rocher.

   Je contemple ce promontoire 
   Où commença d'un continent 
   La création et l'histoire,
   Où gît notre espoir maintenant ; 
   Et je repasse en ma mémoire, 
   Sans oublier une victoire, 
   Tout ce long chapelet de gloire
   Qui se déroule sur ton bord,
   Qu'un jour la France sur ta plage
   Laissa tomber, riche héritage ; 
   Et je sens alors mon courage
   Renaître bientôt et plus fort. 

   Car toi que tout un peuple honore,
   Qui douterait de tes destins ?
   Mais tu ne faisais que d'éclore
   Sur ces bords déserts et lointains ;
   À peine avait lui ta lumière,
   Et déjà tout un hémisphère, 
   Secouant ta torpeur première, 
   S'illuminait sous ton soleil,
   Subissait la douce influence
   De ton heureux jour qui commence,
   Et rendait hommage à la France,
   Auteur de ce divin réveil. 

   Ô ville ! À peine étais-tu née
   Qu'au loin éclatait ta splendeur ;
   Et pour nier ta destinée, 
   Et pour douter de ta grandeur, 
   Il faudrait bien ne plus connaître, 
   Dans l'oubli faire disparaître
   Toutes ces terres qu'ont fait naître
   Tes explorateurs triomphants ; 
   Il faudrait perdre la mémoire,
   Effacer ta sanglante histoire
   Et te ravir encor la gloire
   Qu'en tous lieux sèment tes enfants. 

   Puis il faudrait, tâche suprême,
   Il faudrait surtout t'arracher,
   Québec, jusqu'à ta base même,
   Ton imperturbable rocher ; 
   Car c'est par là que ton âme altière
   Se révèle à nous entière ; 
   Car c'est là que notre paupière
   Pénètre du coup l'avenir, 
   Et qu'on voit ta grandeur future
   S'affirmer dans cette nature
   Où tout du roc a la facture,
   Où rien ne saurait plus finir. 

                 Georges-A. Boucher* (1902)



Tiré de : Georges-A. Boucher, Chants du Nouveau Monde, deuxième édition, Brockton (Massachusetts), 1950, p. 102-104. 

* « Né le 12 septembre 1865 à Rivière-Bois-Clair (aujourd'hui Saint-Edouard-de-Lotbinière), Georges Alphonse Boucher est petit-fils du lieutenant-colonel André de Chavigny de la Chevrotière, Seigneur de Deschambault.
   De santé précaire, il fait ses études sous la direction de tuteurs particuliers : un oncle maternel l'initie aux classiques grecs et latins et son parrain, l'abbé Olivier Boucher, l'amène à Lawrence, Massachusetts, étudier l'anglais et la musique. Après un stage préliminaire au collège Bédard de Lotbinière, il s'inscrivit en 1878 au collège d'Ottawa, où il obtient le baccalauréat ès arts. Il reçoit son parchemin de docteur en médecine à l'Université Laval (Québec) en 1889, et termine son internat à la Polyclinic de New-York, avant de venir s'établir à Brockton, Massachusetts, en octobre 1890.
   C'est au Québec qu'il épouse Fabiola Voyer, au mois de janvier 1892.
   Au cours d'une vie professionnelle active qui dure soixante ans, il met au monde plus de dix mille enfants.
  En 1933, il publie son premier recueil, Je me souviens. Suivent ses Sonnets de Guerre, en 1943. Il les retouche et prépare une nouvelle édition des recueils précédents sous le titre de Chants du Nouveau Monde (1946 et 1950).
  Son épouse meurt à l'automne 1949 et lui-même à Concord, New Hampshire, le 8 janvier 1956 ; les deux ont passé la nuit en chapelle ardente chez les Ursulines de Québec, avant de reposer au cimetière Belmont.
   La France l'avait honoré des Palmes académiques et de la Médaille d'honneur des Affaires étrangères, alors que la Société historique franco-américaine de la Nouvelle-Angleterre lui avait remis la médaille Grand Prix ». 
(Source : Paul P. ChasséAnthologie de la poésie franco-américaine de la Nouvelle-AngleterreProvidence, The Rhode Island Bicentennial Commission, 1976, p. 161).

Dans le préambule de son recueil Je me souviens, Georges A. Boucher a écrit au sujet des strophes présentées ci-haut : 

« En juin 1902, j'écrivis pour le Premier congrès de l'Association des médecins de langue française de l'Amérique du Nord, tenu à Québec, quelques strophes (celles de l'Aigle) qu'on lira à la VIIe Ode et qui furent bien reçues des confrères. M. Edmond de Nevers, qui demeurait alors dans la Vieille Capitale, les entendit. Il en fut frappé et prit la peine de m'écrire à ce sujet une lettre très encourageante dans laquelle il disait : "On a applaudi cette pensée si originale et si superbe de l'Aigle (la France) qui, planant dans les hauteurs et cherchant un site grandiose pour y déposer son Aiglon, a choisi de son oeil perçant le rocher de Québec. Faites deux autres poèmes comme celui-là au cours de votre vie, et vous serez plus sûr de vivre que d'autres qui ont accouché de lourds et nombreux volumes"[...] ».

De Georges-A. Boucher, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté L'aigle et le rocher de Québec et Mélancolie (cliquer sur les titres). 


Pour en savoir plus sur Georges A. Boucher, 
cliquer sur cette image pour consulter un 
article biographique par le poète franco-
américain Rosaire Dion-Lévesque : 


Georges A. Boucher (1865-1956)

(Source : son recueil Je me souviens,
Montréal, éd. Arbour et Dupont, 1933) 

Chants du Nouveau Monde, recueil de
Georges-A. Boucher d'où est tirée 
l'Ode à Québec, ci-haut.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Signature de Georges A. Boucher dans un exemplaire de la
deuxième édition de son recueil Chants du nouveau monde,
paru en 1950. Un seul exemplaire est disponible sur le
marché ; pour se le procurer, cliquer ICI.

(Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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