samedi 29 juin 2019

Campagnes laurentiennes : Été

Matinée d'été, Arthabaska, de Suzor-Coté, 1909

(Source : Suzor-Coté, lumière et matière, p. 190)





   Tout être, par instinct, engendre dans sa fleur,
   Mais cet acte béni, tout puissant, créateur,
   En dirigeant les coeurs loin des choses frivoles,
   Fait tomber les décors et fane les corolles.
   En faisant son cadeau, la fleur a dû pâlir, 
   Car le fruit de son sein la fait toujours mourir,
   Comme si le grand fait d'avoir donné la vie
   Indiquait clairement que son oeuvre est finie, 
   Je ne sais. Toutefois, c'en est fait du printemps
   Qui s'éloigne à regrets mais non pas pour longtemps.
   L'été prend l'orphelin, je dirais, dans les langes,
   Pour former un beau fruit de bonté sans mélange.
   Car il a mission d'aller prendre au berceau
   L'être dont il doit faire un excellent cadeau. 

   Dans tout pays, l'été, c'est la saison active,
   Le temps éducateur, l'époque productive, 
   Le grand effort du sol, la puissante action
   Qui fait croître les grains de la blonde moisson.
   C'est en cette saison qu'un travail très intense
   Donne à tout ce qui vit une forte croissance.
   Oui, c'est pendant l'été que le monde grandit, 
   Que la plante s'élève et la plaine mûrit. 
   Il n'est pas étonnant qu'avec tant de largesses
   L'été montre toujours de très grandes richesses ; 
   Que partout les habits dont il couvre son corps
   Et l'éclat des couleurs qui forment ses décors
   Aient un cachet de force et de magnificence
   Qu'il nous faut préférer aux grâces de l'enfance. 
   La vie et la santé qui règnent dans ses traits
   Mettent dans leur beauté les plus puissants attraits.

   Si dans tous les pays on peut voir ces parures
   Au milieu des prés verts et des champs en cultures,
   Nulle part sur la terre on a pu contempler
   Un spectacle aussi grand, ou vu se dérouler
   D'aussi riches décors, d'aspects plus grandioses
   Qu'en mon pays natal, après le temps des roses !

   Rien n'égale le teint des habits somptueux
   Qui rendent mon pays le plus majestueux.
   Car l'été de chez nous, dans nos plaines natales,
   Garde une majesté qui reste sans rivale.
   C'est comme un rendez-vous de toutes les splendeurs
   Où le Ciel a placé les plus nobles grandeurs. 

   Voyez-vous, notre sol, plein d'une sève neuve,
   Se charge de beaux plants que la rosée abreuve.
   Son repos fut si long dans les siècles passés,
   Sous les grands bois d'érable et les chênes pressés,
   Que la vie, en son sein, circule débordante,
   Pour se manifester de façon surprenante
   Dans les dons généreux de nos riches moissons
   Se déroulant sans fin vers les quatre horizons,
   Depuis le Saint-Laurent jusqu'aux douces montagnes
   Qui montrent leurs fronts bleus aux confins des campagnes.

   Mais pendant tout le temps de la fécondité, 
   Il sait comment unir la force et la beauté.
   Il change par degré le teint du paysage
   Et transforme l'aspect du merveilleux ouvrage.
   Quand les grains de froment que l'homme avait semés,
   Un peu lents à sortir, se sont enfin montrés,
   Leurs petits brins ténus sont comme une herbe tendre
   Qui ploie aux doux zéphirs que l'air daigne répandre. 
   Il réjouit déjà le bon regard humain,
   Qui voit dans ce duvet la moisson de demain.
   Maintenant sa couleur d'un léger ton vert pâle,
   Prendra dans quelques jours une teinte plus mâle,
   Qui finit par se fondre avec celle des foins
   Couvrant d'un seul décor nos prés et nos chemins.

   Sur le bord de ceux-ci, de gracieux visages
   Ont l'air de nous sourire à travers les feuillages : 
   Ce sont nos doux foyers, des arbres, des bouquets
   Les cachant à demi, sous de jolis bosquets.
   Les feuilles sur leurs fronts décrivent des guirlandes
   Et portent la fraîcheur aux fleurs des plates-bandes.
   Le modeste foyer, peint de vert et de blanc,
   Rayonne de bonheur à l'ombre du bois franc. 
   De robustes enfants dans les taillis fourmillent
   Non loin de leurs parents, qui de bonheur scintillent.

   C'est pendant les beaux jours faits pour se reposer,
   Tandis que croît le foin, qu'il faudra moissonner. 
   Jours d'un exquis bonheur, pleins de ferme espérance,
   Au sein même du champ qui promet l'abondance,
   À l'ombre d'un érable, on voit les deux époux
   Promener leurs regards sur deux objets bien doux : 
   Leurs enfants bien-aimés et la grande culture. 
   Car pour garder la vie, il faut la nourriture.
   Parents, dormez en paix et quittez ces soucis ; 
   Comptez vos beaux enfants sur la pelouse assis,
   Le froment qui grandit dans la campagne immense
   Apportera leur vie et votre récompense.
   Car le sol de chez nous, toujours si généreux,
   N'a pas encore porté des enfants malheureux. 

   Quand un sol se revêt avec tant d'opulence,
   C'est que son coeur vers nous, avec bonté, s'avance.
   Regardez sa splendeur au milieu de l'été : 
   Pourrait-on concevoir un être mieux paré ?
   Sur nos champs sans limite une verte fourrure
   Déroule avec orgueil une mer de verdure.
   Sur elle, par endroits, des chênes vigoureux
   Placent dans les hauteurs leurs arceaux gracieux, 
   Formant sous le ciel bleu de très riches coupoles
   Dont les airs de grandeur nous laissent sans paroles.

   Souvent dans la campagne un flot poursuit son cours,
   Entre le vert gazon faisant mille détours.
   La fraîcheur de la nuit en gouttes d'eau déferle,
   Laissant voir sur les plants de beaux filets de perles.
   Les touches du soleil essuient bientôt les pleurs
   Qui font une rosée au souffle des froideurs.
   Comme aux baisers d'amour d'une personne aimée,
   La verdure s'éveille et la brise embaumée
   Qui suit notre soleil en ses jours glorieux
   Pour mettre un peu de frais dans l'ardeur de ses feux,
   Courbe de notre sol la verte chevelure,
   Laissant voir un ton pourpre au front de la verdure. 
   À ce souffle léger, tendre comme un soupir, 
   La cime des grands foins commence à tressaillir.
   Puis leurs flots moelleux, comme la mer, ondulent
   Avec un chant discret que les zéphirs modulent. 

   À l'ombre des rameaux qui bornent les maisons,
   La famille folâtre ou dort sur les gazons,
   Pendant que les bébés babillent sous l'ombrage
   Et que nos oiseaux bleus chantent dans le feuillage.
   Moments délicieux et d'exquise douceur
   Où le bon habitant trouve le vrai bonheur, 
   Car dans ce long repos au sein de la campagne,
   Il vit loin du tracas et la paix l'accompagne. 
   Pendant ce temps, la brise a caressé les foins
   Et la chaleur du jour a prodigué ses biens. 

   Mais déjà le beau disque à l'occident s'incline,
   Et le jour, fatigué, vers le couchant décline.
   C'est le moment mystique où la terre et le ciel
   S'unissent vers le soir pour prier l'Éternel.  
   Ses flots dans la verdure ont arrêté leurs ondes,
   Pendant que le soleil descend vers d'autres mondes.
   Puis, tout ce beau velours, depuis l'aurore actif,
   Cesse tout mouvement et demeure attentif.
   Devant l'astre mourant qu'un nouveau midi accueille,
   Le ciel reste muet, la terre se recueille. 
   Les murmures lointains se taisent par degrés ; 
   Des beaux décors du soir les champs se sont parés.

   Dans ce calme imposant, au sein du grand silence,
   Parfois un chant d'oiseau vers le beau ciel s'élance.
   Dans les foyers ouverts, on cause doucement,
   Subjugués par l'aspect du sublime moment. 
   Il règne dans les airs une faible pénombre,
   Puis doucement, sans bruit, la lune au bord des cieux
   Élève avec lenteur son disque mielleux.
   Partout l'espace luit à la lumière douce
   Qu'elle projette au loin en poursuivant sa course.
   Le coucher du soleil appelle le retour
   De celle qui, la nuit, nous offre un demi-jour.
   C'est le sommeil, tout dort : la plaine qui repose
   Ignore la bonté qui sur son front se pose.
   Les chênes endormis ont un aspect rêveur
   Et semblent pénétrés de force et de douceur. 

   Souvent, j'ai contemplé, pendant les nuits paisibles,
   Le spectacle étonnant de ces beautés sensibles. 
   Le temps a fait son oeuvre et les nombreux efforts
   De deux mois de travail ont fait les plants plus forts. 
   La tige du froment, déjà beaucoup plus ferme, 
   Achève la croissance et nous montre son terme.
   L'extrémité des plants a de jolis boutons
   Où se cache l'épi que bientôt nous verrons.
   Chaque bouton, demain, nous fera son obole ;
   Le fermier, qui le sait, remarque le symbole.

   À différents endroits, on voit les champs pâlir ; 
   Le soleil, en chauffant, déjà les fait blanchir.
   Quand la robe des champs devient multicolore,
   C'est un signe certain que le grain vient d'éclore.
   On pourra les cueillir quand les épis plus longs
   Se seront revêtus de vêtements tout blonds.
   C'est la fin de l'été tout près de la verdure ; 
   L'homme voit onduler la moisson déjà mûre.
   Sous leurs charges de fruits, les arbres sont courbés
   Et par leurs dons exquis nos voeux sont comblés.

   Alors l'habitant sur cette plaine blonde
   Fixe son regard, car le froment abonde.
   L'été, de son travail, lui présente les fruits
   Auxquels il a donné et ses jours et ses nuits.
   Vers l'homme, roi du monde, avec amour il penche.
   Celui-là, heureux, ouvre une main peu blanche.
   Pendant trois mois, les plants, comme des gens pieux,
   Ont reçu leur vigueur de la terre et des cieux. 
   Les pieds fixés au sol, la tête vers les cimes,
   Ils ont vécu de glèbe et de souffles sublimes.
   Depuis les jours bénis, le temps générateur,
   À la fin de l'été, le grand éducateur,
   Ces deux sources de vie et de forte croissance,
   Les ont comblés de biens avec surabondance. 
   Mais avant la saison qui les fera mourir,
   Ils offrent leurs cadeaux à qui veut les cueillir.

                                   Modeste Champoux (1917)




Tiré de : revue Le Pays laurentien, novembre-décembre 1917.

Pour en savoir plus sur Modeste Champoux, cliquer ICI.  

De Modeste Champoux, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : Petite barcarolle.  


Modeste Champoux (1881-1918)

(Source : Les Eudistes)

Dédicace manuscrite de Modeste Champoux dans la brochure
de son recueil La vieille maison - Petite barcarolle (1916)

(Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Le poème Campagnes laurentiennes : ÉTÉ,
ci-haut, a été publié dans le journal L'Étoile
du Nord
, de Joliette, et dans le numéro de
novembre-décembre 1917 de la revue
Le Pays laurentien, que l'on peut consulter
ou télécharger gratuitement ICI.


(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)


Procurez-vous l'un des quelques exemplaires encore disponibles 
de Nos poésies oubliées, un volume préparé par le concepteur 
du carnet-web des Poésies québécoises oubliées, et qui présente
100 poètes oubliés du peuple héritier de Nouvelle-France, avec
pour chacun un poème, une notice biographique et une photo
ou portrait. Pour se procurer le volume par Paypal ou virement 
Interac, voyez les modalités sur le document auquel on accède
en cliquant sur l'image ci-dessous. Pour le commander par
VISA, cliquer ICI.

1 commentaire: