Le village de Saint-Hilaire et le mont Saint-Hilaire vus depuis Beloeil, vers 1900-1910. (Source : BANQ) |
Le disque du soleil montant à l'horizon
Commençait à lancer sur l'humide gazon
Quelques faibles reflets de sa douce lumière :
Le berger s'empressait de laisser sa chaumière,
Pour conduire au pacage un docile troupeau,
Emportant avec lui son bâton et son pipeau.
Les habitants, de l'air cachés dans le feuillage,
Déjà charmaient nos pas par leur gai babillage.
Enfin l'humble héritier du champ de ses aïeux,
Faisant retentir l'air de ses accents joyeux,
Allait recommencer son ouvrage rustique.
D'allégresse remplis, par un temps magnifique,
Nous dirigions nos pas vers un mont canadien,
Qui de tout temps sourit au jeune collégien,
Fatigué des travaux d'une pénible année,
En offrant à sa tête hier encor couronnée
Un endroit de repos, de charme, de bonheur,
Dont l'invincible attrait sollicite son cœur.
On eût désespéré pendant tout le trajet
De jamais en pouvoir en atteindre le sommet,
Qui dresse fièrement sa fastueuse tête,
Toujours prête à braver l'effort de la tempête,
Si, de nos habitants le bras industrieux
N'eût taillé dans le roc un sentier sinueux,
D'où notre œil découvrant tantôt une colline
Dont les humides flancs couronnés d'aubépine
Brillaient de diamants façonnés par les eaux ;
Tantôt un bois profond de chênes, de bouleaux,
D'ormes, de marronniers, de sapins et d'érables
De nos vieilles forêts ces restes vénérables.
Qu'ils étaient beaux à voir, mêlés aux merisiers,
Ces fruits éblouissants de nos riches pommiers ;
Qu'elle était belle à voir la riche et vaste plaine
Étalant les trésors d'une moisson prochaine !
Et ce lointain immense offert à nos regards,
D'où la vie à longs flots jaillit de toutes parts ;
Nous nous plaisions à voir le simple toit de chaume
Qu'habite le bonheur, que la verdure embaume,
S'élever humblement à l'ombre des sapins.
Heureux le moissonneur ! l'habitant des jardins !
Qui soignant, de ses mains, le coteau de ses pères,
Coule sous l'humble toit les jours les plus prospères ;
Il ignora toujours ces cruels désarrois
Qui fondent si souvent sur les palais des rois.
Mais pendant qu'étalés dans la vaste étendue
Mille objets variés passent sous notre vue,
Pendant que, rehaussé par la beauté du lieu,
L'horizon se reflète aux eaux du Richelieu,
Voilà que tout-à-coup nous sommes en présence
D'un lac délicieux où voguent en cadence
Les rapides esquifs d'habiles amateurs.
L'ombre et le frais régnant sur ses bords enchanteurs
Invitent à percer la riche et sombre voûte
Sous laquelle, lassés par une longue route,
On respire un moment bercés par le zéphir,
Au pied du dernier pic qu'il faut encore gravir.
Nous laissâmes bientôt cette oasis chérie ;
Nous laissâmes ses eaux et sa rive fleurie,
Pour prendre le chemin escarpé, tortueux,
Qui conduit au sommet du mont majestueux.
De perfides degrés, dont le pied se fatigue,
De granit rocailleux, il est partout prodigue ;
Mais quelle joie enfin couronne vos efforts
Quand l'aspect du plateau redouble vos transports !
Sur la terre d'exil telle est la vie humaine :
Le sentier le plus rude, aux cieux plus droit nous mène,
Et jamais le laurier ne nous fit plus d'honneur
Que quand nous le cueillons arrosé de sueur.
Alphonse Bellemare* (1866)
Tiré de : Alphonse Bellemare, dont il n'existe malheureusement pas de photo ou portrait connu, avait quinze ans lorsqu'il composa le poème ci-haut, qui parut pour la première fois dans le numéro de mai 1867 de L'Écho du Cabinet de lecture paroissial (Montréal). Le poème est également présenté dans : Yolande Grisé et Jeanne d'Arc Lortie, s.c.o., Les textes poétiques du Canada français, volume 12, Montréal, Fides, 2000, p. 400-401.
* Georges Alphonse Raphaël Bellemare est né à Montréal le 20 août 1850, de Raphaël Bellemare, avocat et écrivain, et d'Anastasie Geoffrion de Saint-Jean. Après son cours primaire, il fréquenta, dès l'âge de onze ans, le Séminaire de Nicolet durant l'année scolaire 1861-1862, puis il entra l'année suivante au Collège Sainte-Marie de Montréal, où il compléta son cours classique et fut l'un des étudiants les plus remarqués pour son application et ses multiples talents. Il fut d'ailleurs président de l'Académie littéraire du collège. Le logis familial était situé au 234 rue Sanguinet (adresse de l'époque à Montréal, aux environs de la rue Ontario).
À sa sortie du collège, il entreprit des études de droit, que toutefois sa mort prématurée ne lui permettra pas de compléter.
Dès l'âge de quinze ans, il fut remarquablement actif dans la vie littéraire et sociale de son temps. Journaux et revues n'hésitèrent pas à publier des poèmes et articles de sa plume, dont souvent certains se retrouvaient en première page. Il pratiqua également la musique vocale, en plus d'avoir donné des performances célébrées dans certaines pièces de théâtre. Il n'avait pas encore vingt ans lorsqu'il fut nommé secrétaire de l'Union catholique, alors une importante société littéraire et culturelle.
Alphonse Bellemare est mort à Montréal le 16 décembre 1872, des suites de la tuberculose. Il n'avait que vingt-deux ans. (Pour en savoir plus sur Alphonse Bellemare, voyez ci-dessous le dossier constitué d'articles et de documents d'époque).
Alphonse Bellemare est mort à Montréal le 16 décembre 1872, des suites de la tuberculose. Il n'avait que vingt-deux ans. (Pour en savoir plus sur Alphonse Bellemare, voyez ci-dessous le dossier constitué d'articles et de documents d'époque).
(Sources : Edmond Lareau, Histoire de la littérature canadienne, Montréal, Imprimeur John Lovell, 1874, p. 107-108 ; L'abbé J.-A.-Irénée Douville, Histoire du Collège-Séminaire de Nicolet, tome 2, Montréal, Beauchemin, 1903, p. 200 ; Journal de l'Instruction publique, octobre 1862 ; L'Union nationale, 29 avril 1867 ; La Minerve, 27 novembre 1868, 9 juillet 1869, 22 avril 1870 ; L'Ordre, 24 décembre 1869, 25 avril 1870, 26 juin 1871 ; Le Franc-Parleur, 19 janvier 1871 ; L'Écho du Cabinet de lecture paroissial, décembre 1872 ; L'Opinion publique, 26 décembre 1872 ; Ancestry.ca, avec la collaboration de René Girard).
Pour lire la belle pièce littéraire qu'est l'introduction
rédigée par Alphonse Bellemare à son poème présenté
ci-haut, cliquer sur cette image :
Le Collège Sainte-Marie, rue de Bleury à Montréal, tel qu'il paraissait à l'époque (1862-1869) où Alphonse Bellemare en fut l'élève, et dont il fut président de l'Académie littéraire. Ce fut le lieu de l'épanouissement de ses nombreux talents littéraires et artistiques. (Source : BANQ) |
Raphaël Bellemare (1821-1906), père du jeune Alphonse, auteur du poème présenté ci-haut. Pour en savoir plus sur ce personnage influent dans la vie montréalaise et canadienne-française au 19e siècle, cliquer ICI. |
Alors âgé de seulement seize ans, Alphonse Bellemare suivait de près la vie artistique canadienne-française, en étant notamment abonné à la revue Le Canada musical. (Source : Le Canada musical, février 1867) |
En avril 1867, Alphonse Bellemare a joué à la « Salle académique » du Collège Sainte-Marie (aujourd'hui connue sous le nom de « Salle du Gésu »), le rôle d'un hussard à cheval. Sa performance, selon l'article ci-haut, « a suscité l'admiration universelle ». (Source : L'Union nationale, 29 avril 1867) |
En novembre 1868, Alphonse Bellemare, alors étudiant de philosophie au Collège Sainte-Marie, se vit confier la tâche de présenter une adresse à l'évêque de Montréal, Mgr Ignace Bourget, après une cérémonie d'ordinations sacerdotales présidées par celui-ci dans l'église du Gésu, laquelle servait alors de chapelle au collège. (Source : La Minerve, 27 novembre 1868) |
Cet article paru en juillet 1869 nous apprend qu'Alphonse Bellemare était alors président de l'Académie littéraire du Collège Sainte-Marie. (Source : La Minerve, 9 juillet 1869 ; cliquer sur l'article pour l'élargir) |
À la veille de Noël 1869, Alphonse Bellemare a publié un poème intitulé « Nuit de Noël ». (Source : L'Ordre, 24 décembre 1869 ; cliquer sur l'article pour l'élargir) |
En avril 1870, Alphonse Bellemare, qui n'avait alors que 19 ans, vit une romance de sa composition, intitulée Le retour du zouave (cliquer sur le titre) être jouée sur scène, sur une musique de Jean-Baptiste Labelle. Cette œuvre a connu un vif succès populaire. (Source : La Minerve, 22 avril 1870) |
Compte-rendu de la représentation publique de la cantate écrite par Alphonse Bellemare, « Le retour du zouave ». (Source : L'Ordre, 25 avril 1870) |
Annonce publique de L'Union catholique, une société littéraire et culturelle dont Alphonse Bellemare était le secrétaire, en vue de la participation de cette société à la célébration de la Saint Jean-Baptiste, le 24 juin 1870. (Source : La Minerve, 22 juin 1870) |
Alphonse Bellemare donnait également des conférences sur divers sujets, comme en témoigne ce communiqué paru en janvier 1871. (Source : Le Franc-Parleur, 19 janvier 1871) |
Cet article mentionne la participation d'Alphonse Bellemare à la messe de la saint Jean-Baptiste, à l'église Notre-Dame-de-Montréal, le 24 juin 1871. (Source : L'Ordre, 26 juin 1871) |
L'Écho du Cabinet de lecture paroissial, décembre 1872. (Source : BANQ) |
Article signé Laurent-Olivier David dans L'Opinion publique du 26 décembre 1872. (Source : BANQ) |
En 1898, Firmin Picard, dans le journal Le Monde illustré, évoquait de belle et émouvante manière le souvenir d'Alphonse Bellemare, mort 26 ans plus tôt. (Source : Le Monde illustré, 29 octobre 1898) |
Le recensement de 1871 situe la famille d'Alphonse Bellemare au 234 de la rue Sanguinet, à Montréal. (Cliquer sur l'image pour l'élargir) (Source : Ancestry.ca) |
Acte de baptême du 21 août 1850 d'Alphonse Bellemare, né la veille, dans le registre de la paroisse Notre-Dame-de-Montréal. (Source : Ancestry.ca) |
Acte de sépulture du 19 décembre 1872 d'Alphonse Bellemare, mort le 16 courant, dans le registre de la paroisse Notre-Dame-de-Montréal. (Source : Ancestry.ca) |
Le lac Hertel, situé sur le mont Saint-Hilaire, est évoqué dans le poème d'Alphonse Bellemare présenté ci-haut. |
Parlant de nos poètes d'antan et oubliés, l'écrivaine Reine Malouin
(1898-1976), qui a longtemps animé la vie poétique au Québec, a
affirmé que sans eux, « peut-être n'aurions-nous jamais très bien
compris la valeur morale, l'angoisse, les aspirations patriotiques,
la forte humanité de nos ancêtres, avec tout ce qu'ils ont vécu,
souffert et pleuré ».
Les voix de nos poètes oubliés nous sont désormais rendues.
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque
tome est l'objet d'une édition unique et au tirage limité.
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