dimanche 2 juin 2019

Au Peuple

Pierre-Gabriel Huot (1825-1913)

(Source : Le Répertoire national, vol. 2)




   Salut, ô jour qui luis ! qu'importe que les cieux
   Se brisent en lambeaux dans un vaste tonnerre,
   Ou que de purs rayons s'y glissent tout joyeux ;
   Ô jour, que tu sois sombre ou brillant à la terre,
   Salut ! car n'es-tu pas l'aube du souvenir, 
   La grande et noble page où rayonne une histoire,
   Où le peuple se lève et fixe l'avenir,
   Et déroule au soleil ses trois siècles de gloire ?

   Le peuple a pris ce jour dans sa raison profonde,
   Pour montrer qu'il est fort, pour qu'il soit respecté ;
   Que son drapeau frémisse au vent du Nouveau-Monde,
   Ce vent sonore et plein de chants de liberté !
   Pour saluer du coeur tous ceux qu'à notre plage
   Jette le flot des mers, ou mornes ou joyeux ;
   Pour bénir ce qui fut ; pour rendre un triple hommage
   Aux labeurs, au génie, à la foi des aïeux !... [...]

   Le temple s'est fermé sur toutes les prières,
   Et le peuple, debout comme un triomphateur,
   A formé sa colonne et levé ses bannières ;
   Place aux grands souvenirs qui planent sur le coeur,
   Et qui disent, beaucoup plus que toute parole,
   À celui-là surtout, drapeau de Carillon
   Que la poudre et le fer ont criblé, vieux tronçon
   Que l'on porte comme un symbole !...

   Oh ! sur ce sol ta place est belle et grande à voir,
   Car ton coeur et tes bras l'ont noblement marquée ;
   Peuple, tu vins pourtant, tout faible et sans espoir,
   Graver les premiers mots de ta forte épopée.
   Oui, gloire à tes douleurs, à tes travaux passés !
   Gloire !... car il n'est pas, pauvre peuple qu'on blâme,
   De cités, de hameaux qui se soient élevés
   Sans un peu de tes sueurs, de ton sang, de ton âme !

   Non ! tu n'as pas besoin, pour briller sous nos cieux,
   De tendre à ton berceau, ce foyer du génie, 
   À ses pages de gloire, à ses bronzes tout vieux,
   À la superbe France une main qui mendie ! 
   Ô peuple, ton passé qui compte un jour fatal,
   À ses sublimes noms qui rendent l'âme émue,
   Carillon, Châteauguay, Lacolle !... piédestal 
   Prêt à recevoir la statue ! 

   Et de ce monument, ô peuple, sois l'auteur ; 
   L'avenir, c'est le bloc encor brut et sans ordre
   Où ta statue existe, où ton ciseau doit mordre !
   Mets à son front le feu du penseur et du sage ;
   Pétris-la de vertus, d'amour, de charité ; 
   Oh ! fais-la grande enfin, taille-la, cette image,
   Au moule de la liberté ! 

                            Pierre-Gabriel Huot* (1851)



Tiré de : Louis-Michel Darveau, Nos hommes de lettres, Montréal, Imprimé par A. A. Stevenson, 1873, p. 113-114. Composé pour la célébration de la Saint-Jean-Baptiste du 24 juin 1851, le poème est paru le 4 juillet suivant dans le journal Le Canada.

*  Pierre-Gabriel Huot est né à Québec, dans la paroisse Notre-Dame, le 22 janvier 1825, de Pierre Huot, marchand, et de Marie-Victoire Richard.
   Admis au notariat en février 1850, il ne pratiqua jamais sa profession. Il se lança plutôt dans le journalisme à Québec, d'abord comme rédacteur en chef de La Voix du peuple (1851-1852). De 1855 à 1859, il fut l'un des propriétaires et rédacteurs du journal Le National
   Il fut confondateur, en 1850, de la Chambre de lecture de Saint-Roch, à Québec. En 1864 et 1865, il fut président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec. Il est l'auteur d'un ouvrage biographique, Éloge du révérend M. Z. Charest, curé de Saint-Roch de Québec. Il publia également des poésies dans divers journaux, dont certaines ont été reproduites dans Le Répertoire national. L'une de ses compositions, La Huronne, fut mise en musique par Célestin Lavigueur
   Élu député de Saguenay en 1854, son élection fut annulée et il fut réélu lors de l'élection partielle qui suivit en janvier 1855. En 1858, il se représenta dans la circonscription de Charlevoix, mais il fut alors battu. En 1860, il fut élu lors d'une élection partielle dans la circonscription de Québec-Est, où il fut réélu en 1861, 1863 et 1867. Il démissionna le 14 juin 1870, après avoir été nommé maître de poste à Québec. Il exerça cette fonction de juillet 1870 à janvier 1874, puis redevint journaliste et oeuvra pour le journal Le Canadien
   En 1886, il s'installa chez son fils, aux États-Unis. 
  Pierre-Gabriel Huot est mort à New York le 1er septembre 1913. Le 18 novembre 1856, il avait épousé Marie-Arthémise Hamel dans la chapelle de l'Hôpital général de Québec. 
(Sources : Louis-Marie Darveau, Nos hommes de lettresMontréal, Imprimé par A. A. Stevenson, 1873, p. 102-123 ; Assemblée nationale du Québec ; Wikipedia). 

Bien que pourvu d'un talent littéraire certain, Pierre-Gabriel Huot avait été un politicien un brin rocambolesque et ratoureux. Pour en avoir un aperçu, cliquer ICI


Le poème Au Peuple, ci-haut, est tiré de
Nos hommes de lettres, un ouvrage
de Louis-Michel Darveau qui, tout en
reconnaissant le talent littéraire de Huot,
n'est pas tendre pour la carrière politique
de celui-ci. Ce livre peut être téléchargé
gratuitement ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir) 

Article paru dans Le Devoir du 9 septembre 1913 à l'occasion de la mort de Pierre-Gabriel Huot.

(Source : BANQ)


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