Alfred DesRochers (1901-1978) (Source : Un poète et son double) |
(Fragments)
Je te salue, astre d'hiver au feu débile,
Âme des jours qui vont s'allongeant, ô Soleil
Qui roule, pour laver la nuit de son sommeil,
Des vagues de beauté rurale sur la ville !
Le paysage m'apparaît surnaturel
Et montre, quand tu sourds des branches frimassées
Comme surgit la grâce à travers nos pensées,
La nette piété d'un dessin de missel.
Ton reflet rouge ente la neige d'ombre bleue ;
Les objets familiers prennent, à ta lueur,
Les couleurs de la Vierge et de Notre Seigneur
Dans ma petite rue étroite de banlieue.
Par toi, je redeviens premier communiant ;
Je revois en esprit la campagne natale,
Le vieux curé du catéchisme, la rafale
Tourbillonnant dans les carreaux du vitrail blanc,
Les longues courses en traîneaux, les camarades
Dont la voix bégayante est soeur de ta clarté,
Les agenouillements pieux, la volonté
De bannir la paresse et les gestes maussades !
Un enfant qui fut moi sourit, extasié
D'amour, de confiance, et d'attente mystique :
Du fond de mon passé s'amplifie un cantique
Dont je croyais, depuis longtemps, l'air oublié.
Et j'aperçois soudain mes erreurs lamentables,
Pourquoi, dans les cités aux matins circonscrits,
J'ai, privé de l'espace où Dieu me fut appris,
Tant cherché la blancheur à des chairs périssables !
C'est que depuis des ans et des ans, ô Soleil
Qui vêts de pureté candide la nature,
J'ai borné mes regards à la muraille obscure
Où s'inscrit un décor triste et toujours pareil.
Mais voici que je te retrouve ! À ta venue,
L'air est comme un sortir de confessionnal ;
Le coupable autrefois s'unit à l'actinal
Essor de la fumée en marche vers la nue !
Soleil, tu me rapprends le suprême savoir ;
Tu me refais servant aux messes sur semaine,
Pour que l'esprit, illuminé de foi, comprenne
Les symboles du rit, le dogme de l'espoir !
Ta hantise a chassé jusques au dernier doute !
Si le sort, dont les coups m'ont si souvent heurté,
Répand autour de moi deuil, haine et lâcheté,
D'un pas quand même égal, je poursuivrai ma route.
Car au fond de mon coeur s'impriment tes leçons,
Soleil exténué de vivre mais qui gardes,
Parmi la trahison des aurores blafardes,
L'invincible besoin de mûrir des moissons !
Alfred DesRochers* (1939)
Tiré de : Revue Les Carnets viatoriens, Joliette, octobre 1949. Il s'agit de fragments publiés alors dans ce périodique et qui avaient été publiés dix ans auparavant dans Le Devoir du 21 mars 1939. Depuis, ces fragments ne semblent pas avoir été publiés nulle part.
* Alfred DesRochers est né le 5 août 1901 à Saint-Élie-d'Orford, d'Honoré DesRochers, cultivateur, et de Zéphirine Marcotte. Après un séjour de quatre ans à Manseau, sa famille retourna à Saint-Élie-d'Orford et y resta jusqu'à la mort du père survenue le 27 septembre 1913. Madame DesRochers émigra alors aux États-Unis, mais revint après dix mois s'établir à Sherbrooke. Alfred commença alors à travailler comme livreur d'épicerie, puis il apprit le métier de mouleur de fonte à la fonderie Jenkses, à Sherbrooke. En 1915, il débuta son cours classique au Collège Séraphique de Trois-Rivières, mais il mit fin à ses études en 1918.
Il exerça divers métiers, dont manoeuvre dans une scierie et commis-quincaillier, puis, le 20 mai 1925, il épousa Rose-Alma Breault. Le 13 juillet de la même année, il entra au journal La Tribune de Sherbrooke, où il fut chargé de diverses tâches avant de devenir journaliste. Il y resta jusqu'en 1942. Entretemps, il avait fondé, en 1927, l'hebdomadaire L'Étoile de l'Est, de Coaticook, et la Société des Écrivains de l'Est. En 1930, il reçut le Prix d'Action intellectuelle, puis, en 1932, le Prix David, pour son recueil de poésies À l'ombre de l'Orford.
Il servit dans l'armée canadienne de 1942 à 1944, puis obtint en 1945 un poste de traducteur au parlement fédéral. En 1946, il revint à La Tribune et y resta jusqu'en 1952. Après un séjour de deux ans à Claire-Vallée, dans la municipalité de Saint-Sylvère. À partir de 1953, il résida à Montréal, où il travailla pour la Presse canadienne et pour la télévision.
En 1964, année où il prit une semi-retraite, il reçut le Prix Ludger-Duvernay pour l'ensemble de son oeuvre. En 1976, l'Université de Sherbrooke lui décerna un doctorat honorifique.
Alfred DesRochers est mort à Montréal le 12 octobre 1978. Ses restes reposent au cimetière de son village natal de Saint-Élie-d'Orford. Il était le père de la comédienne, chanteuse et humoriste Clémence DesRochers.
(Source principale : Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1982, p. 793-794 ; Documentaire Alfred DesRochers, poète, production de l'Office national du film).
Pour en savoir plus sur Alfred DesrRochers, voyez le texte d'une passionnante conférence qu'il donna à Montréal le 20 avril 1954 et que les Glanures historiques québécoises ont fait remonter à la surface en 2018.
D'Alfred DesRochers, les Poésies québécoises oubliées ont également présenté : ― Je suis un fils déchu.
Voyez également ces deux documents audiovisuels en cliquant sur chacune des deux images suivantes :
Ode au soleil d'hiver, ci-haut, a été publié en octobre 1949 de la revue Les Carnets viatoriens, et 10 ans auparavant dans Le Devoir. |
Dédicace manuscrite d'Alfred DesRochers à son petit-fils dans la deuxième édition, parue en 1974, de son tout premier recueil publié à 75 exemplaires en 1929, L'Offrande aux Vierges folles. On peut en trouver ICI quelques rares exemplaires. (Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
On peut trouver dans toute bonne librairie le principal recueil d'Alfred DesRochers, À l'ombre de l'Orford, dont cette édition contient également son premier recueil, L'Offrande aux Vierges folles. Pour informations, cliquer ICI. |
Alfred DesRochers repose au cimetière de Saint-Élie-d'Orford. (Photo : Daniel Laprès, juillet 2018) |
La correspondance entre Louis Dantin et Alfred DesRochers est une riche source d'informations qui fait découvrir le foisonnement de la vie littéraire québécoise de la première moité du XXe siècle. Pour informations, voyez ICI. |
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