Portrait de Jeanne Mance (1606-1673) par un artiste inconnu. Même si son authenticité est douteuse, il s'agit du portrait le plus populaire de la cofondatrice de Ville-Marie (Montréal). (Source : Archidiocèse de Montréal ; portrait colorisé par nous) |
(Fragments)
Jeanne Mance apparaît sans berceau. Son histoire
Garde, entre deux oublis, la splendeur transitoire
D'un astre qui luit et s'éteint.
Elle commence un jour avec Ville-Marie,
Brille sur la cité, préside à son destin ;
Sa clarté s'absorbe, amoindrie
Dans l'éclat grandissant du foyer génial
Qu'alluma son amour au pied du Mont-Royal.
Nos pères la nommaient l'Ange. Ville-Marie,
Qu'elle sauva deux fois, en sauvant la patrie,
Lui doit presque tout après Dieu :
Or, personne n'a vu les rayons de cet astre
En déclinant dans le ciel. Puis le feu
Outrant l'oubli par un désastre,
De Jeanne dévora le refuge et l'autel :
« Ainsi périt ta cendre, ô Cœur deux fois mortel ! » (1)
Mais qu'importent cinq pieds de terre
Où, dans l'horreur enseveli,
Des corruptions tributaires
Le corps inerte est avili !...
Qu'importe l'oubli même, ô Jeanne,
Si, de ta beauté diaphane,
Ostensoir où Dieu s'est montré,
Il nous dérobe l'attirance !
Peut-être au ciel ta récompense
En tire un éclat plus sacré...
Maisonneuve, Bourgeoys, ceux qui t'ont approchée,
Ceux que le ciel rendit témoins de ta vertu,
Ne nous ont-ils pas, tous, dit leur âme touchée
Du noble émoi qu'ils en ont eu ?...
Olier, encore sous l'empreinte
Des clartés dont Dieu l'inonda,
Te nomme l'âme la plus sainte
Qui soit passée en Canada.
Tu consoles, dans sa disgrâce,
Chomedey que le sort terrasse ;
Par deux fois (2) tu braves la mer ;
Et tu devrais être bénie
Si ta main à la colonie
N'eût donné que Jeanne Le Ber ! […]
Les malheureux soldats du triste Fort Sainte-Anne
Y mouraient, décimés par la peste et la faim :
Ton âge te retient : mais ton grand zèle, ô Jeanne,
Leur envoie un prêtre, et du pain. (3)
Tu gagnes l'amour du sauvage
Par ta tendresse et ta bonté ;
Par ton bienveillant patronage
Plus d'un au Christ est enfanté.
Les colons forment ta famille ;
Auprès de toi la jeune fille
Retrouve un maternel appui.
Mais Dieu peut lire en ta belle âme
Que, toute au soin qui la réclame,
Elle n'aime vraiment que Lui.
Dans ces travaux bénis tu passes trente années ;
Tu soutiens tout : combats, terreurs, famine et deuil ;
Rares sont les bonheurs, trêves momentanées,
Qui parfois visitent ton seuil.
Tu vois croître Ville-Marie,
Son terroir, baigné par le sang
D'une veine jamais tarie,
Aller toujours s'agrandissant.
C'est grâce à toi qu'au temps propice
Germe l'arbre de Saint-Sulpice ;
Par ton aide, que sœur Bourgeoys
Confie au sol l'humble semence
Aujourd'hui crue en arbre immense ;
Mais voici l'œuvre de ton choix.
Voici l'œuvre dont Dieu chargea ta destinée,
Car c'est à accomplir que tu fus ordonnée
Comme à la chaîne le chaînon :
Doter ta ville aimée, ô Vierge nourricière,
Des Filles de Joseph et de La Dauversière,
Et d'un mémorial digne de ton grand nom.
Valentin-Marie Breton, o.f.m.* (1909)
Tiré de : Valentin-Marie Breton o.f.m., Chants séculaires, Montréal, Hôtel-Dieu de Ville-Marie (éditeur), 1909, p. 62-65.
(1) : En 1909, année où le poème fut composé, on croyait encore que les restes de Jeanne Mance avaient été détruits lors de l'incendie qui, dans la nuit du 23 au 24 février 1695, avait ravagé l'Hôtel-Dieu de Montréal. Or, en 1934, dans son ouvrage consacré à Jeanne Mance (voir informations ici-bas), l'historienne Marie-Claire Daveluy a établi hors de tout doute que seul le cœur de la cofondatrice de Montréal a disparu lors de cet incendie. Les restes de Jeanne Mance reposent de nos jours dans la chapelle souterraine de l'Hôtel-Dieu actuel.
(2) : En fait, Jeanne Mance a fait quatre traversées de l'Atlantique, dont trois aller et retour entre la Nouvelle-France et la France. Elle partit de La Rochelle le 9 mai 1641 en vue de la fondation de Ville-Marie, puis elle fit trois voyages pour chercher des renforts et appuis, en 1649 (départ le 31 octobre et retour le 8 septembre 1650), 1658 (départ le 14 octobre et retour le 7 septembre 1659), 1662 (départ 20 septembre et retour le 29 juin 1664).
(3) Le poète évoque probablement les événements ayant débuté en juillet 1651, alors que, devant la menace iroquoise, Jeanne Mance et les colons durent se réfugier au fort de Ville-Marie, dans lequel elle avait installé dès 1642, année de fondation de Ville-Marie, un premier hôpital. Nous n'avons pu trouver de source indiquant que ledit fort, qui est plutôt désigné en tant que Fort Ville-Marie, aurait porté le nom de Sainte-Anne. Peut-être que le fort fut confié à la protection de sainte Anne, ou encore qu'il s'agit d'un épisode différent de celui de juillet 1651 et que nous n'avons encore pu retracer dans l'histoire de Jeanne Mance.
* Henri Breton est né à Besançon (France) le 18 novembre 1877, d'Henri-Désiré Breton, fonctionnaire scolaire, et de Marie-Eugénie Étienne. En 1887, la famille s'installa à Belfort, où Henri fera ses études secondaires au lycée local. Quelque temps plus tard, les Breton déménagèrent de nouveau, cette fois à Luxueil-les-Bains (Vosges).
En 1896, Henri, qui avait choisi la carrière de notaire, entrepris des études de droit à l'Institut catholique de Paris. Le 2 novembre 1899, ayant renoncé à ses ambitions de notariat, il entra au noviciat des Franciscains, à Amiens. Il reçut dès lors le prénom de Valentin-Marie. Mais le 8 avril 1903, à cause des persécutions anticatholiques du gouvernement français, il prit la mer pour s'établir à Québec au couvent de sa congrégation.
Le 27 juillet 1907, il fut ordonné prêtre par Louis-Nazaire Bégin, archevêque (plus tard cardinal) de Québec. Outre ses nombreuses tâches sacerdotales et religieuses, il participa activement à la vie littéraire canadienne-française, notamment comme collaborateur auprès de divers journaux et périodiques, dont Le Devoir ; la Revue canadienne ; La Nouvelle-France ; la Revue dominicaine, etc. En 1909, on lui confia la composition d'un recueil de poésies, intitulé Chants séculaires, pour souligner le 250e anniversaire de la fondation de l'Hôtel-Dieu de Montréal. En 1911, il devint membre du bureau directeur de l'École sociale populaire.
En 1920, il retourna en France, où il poursuivit ses œuvres sacerdotales et franciscaines, notamment par sa plume en publiant de nombreux livres et articles.
Valentin-Marie Breton est mort à Paris 6 juillet 1957. Les archives historiques de Lévis possèdent un fonds de lui.
(Source : Yvonne Bougé, Frère mineur, Père majeur : le Père Valentin-Marie Breton, Mulhouse, éditions Salvator, 1958).
Pour consulter ou télécharger gratuitement les Chants séculaires
composés par Valentin-Marie Breton o.f.m. pour célébrer le 250e
anniversaire de la fondation par Jeanne Mance de l'Hôtel-Dieu
de Montréal, et d'où sont tirés les fragments présentés ci-haut,
cliquer sur cette image :
(Photo de V.-M. Breton : Yvonne Bougé, Frère mineur, Père Majeur :
le Père Valentin-Marie-Breton, Mulhouse, éditions Salvator, 1958)
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Dédicace manuscrite de Valentin-Marie Breton o.f.m. au poète Louis-Joseph Doucet, dans un exemplaire des Chants séculaires. (Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'élargir) |
Pour découvrir la vie de Jeanne Mance, voyez le
magnifique film d'Annabel Loyola, La folle
entreprise : sur les pas de Jeanne-Mance.
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Pour consulter ou télécharger gratuitement cette
brochure parue en 1921 et contenant une biographie
de Jeanne Mance d'une douzaine de pages, cliquer
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Pour les enfants dès l'âge de 9 ans, cette biographie illustrée de Jeanne Mance. Informations ICI. |
Pour en savoir plus sur Jeanne Mance, voyez l'excellent livre de Marie-Claire Daveluy, paru en 1934 et devenu une rareté mais dont (Cliquer sur l'image pour l'élargir) |
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