lundi 9 septembre 2019

Le retour

Hector Demers (1878-1923)

(Source : Le monument Crémazie, Montréal
Librairie Beauchemin Limitée, 1906, p. 50)




   Ô nature éternelle, ô nature bénie,
   Ô jeunesse toujours de nouveau rayonnant,
   Je viens la demander à ta sève infinie,
   La jeunesse du cœur qui me fuit maintenant !

   Oui, je viens la puiser au bord des sources claires,
   Je viens la respirer au sein de ton air pur,
   La chercher dans la paix des forêts séculaires,
   Et la boire à pleins yeux en buvant ton azur. 

   Ah ! que tes souffles frais glissent sur mes paupières,
   Laisse-moi me plonger tout le front dans tes eaux,
   Refais ma volonté ferme comme tes pierres
   Lorsque mon âme plie ainsi que tes roseaux.

   À ton fils dont la force entière est en déroute,
   Accorde, sans tarder, le secours de ta main,
   Enseigne-lui comment l'on termine sa route,
   Toi qui toujours poursuis un inconnu chemin. 

   Rends-lui l'illusion sainte qui nous fait vivre,
   Et l'amour de l'amour, de la gloire, du beau,
   Tout ce mirage dont la jeunesse s'enivre,
   Sans lequel on est plus mort que dans son tombeau.

   Certes, tu peux parler, je saurai te comprendre : 
   Ton verbe mystique est intelligible encor
   À celui qui naguère apprit seul à l'entendre,
   Je n'ai pas oublié l'alphabet des blés d'or.

   Ô nature ! ô nature ! en vain sur moi je pleure,
   Vers toi, je crie en vain, sans cesse tu souris ;
   Hélas ! t'importe-t-il qu'un de tes enfants meure !
   Car, si je te comprends, tu ne m'as pas compris. 

   Non, tu n'as pas en toi la grandeur qu'on te prête,
   Ton murmure n'est rien qu'un bruit vide et charmant,
   Et, si chaque printemps revient comme une fête,
   Tu dois cette jeunesse à ton aveuglement. 

   Nos seules rides sont celles de nos souffrances,
   Et c'est par le malheur que l'on est vraiment vieux.
   Nous voyons les motifs de nos désespérances ;
   Toi, nul regard vivant n'habite dans tes yeux. 

   Voyageur prosterné, dès lors, je me relève !
   Je reprends mon bâton, je reprends ma fierté,
   Et je pars, aimant mieux, sans le bandeau du rêve,
   L'orgueil de ma douleur que toute ta gaieté. 

                                       Hector Demers* (1906)




Tiré de : Hector Demers, Les voix champêtres, Montréal, Librairie Beauchemin, 1912, p. 79-82. 

Hector Demers est né à Montréal, dans la paroisse Saint-Jacques, le 12 janvier 1878, de Frédéric-Joseph Demers, médecin, et de Sara-Lucie Fréchette. Après des études primaires et classiques dans divers collèges de Montréal, il étudia le droit la l'Université Laval de Montréal. 
   Durant ses études, il s'intéressa à la poésie et publia, dès ses 18 ans, ses premiers poèmes dans divers journaux et périodiques, dont Le Samedi et Le Monde illustré. Le 17 février 1899, il fut admis au sein de l'École littéraire de Montréal, dont il fut un membre assidu et actif, prenant part à diverses séances publiques de l'École qui se déroulèrent au Monument national ou au Château Ramezay et y récita plusieurs poèmes de sa composition. Selon G.-A. Dumont, un membre de l'École qui côtoya Demers, « non seulement il était assidu aux réunions, mais, de plus, il réunit ses collègues chez lui pendant tout un hiver. Il était d'une exquise politesse ». 
   Reçu au Barreau le 6 juillet 1901, il poursuivit néanmoins ses activités littéraires. En 1912, il publia son unique recueil de poésies, Les voix champêtres. La majeure partie de son oeuvre poétique demeure toujours à l'état de manuscrit dans les journaux et revues.
   Miné par un mauvais étant de santé mentale, il s'est plaint durant des années d'être incompris et vécut dans un état dépressif permanent. Louis Dantin a écrit que « c'était un jeune homme excellemment doué, d'une sensibilité exquise, d'un style poétique déjà formé, mais qui devait, victime d'une destinée tragique et après une lutte pitoyable, sombrer dans le même abîme qu'Émile Nelligan ». 
   Hector Demers est mort à Montréal le 27 février 1923. Il est inhumé au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, à Montréal. Il avait épousé Charlotte Demers à Boucherville, le 24 janvier 1906, puis, en secondes noces Éva Gauthier, à Montréal, le 27 août 1907.
(Sources : Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, 1981, p. 1171 ;  Dictionnaire Guérin des poètes d'ici de 1606 à nos jours, Montréal, éditions Guérin, 2005, p. 383 ; Laurent Mailhot et Pierre Nepveu, La poésie québécoise des origines à nos jours, Québec, Les Presses de l'Université du Québec, 1980, p. 150 ; Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord, Montréal, éditions Fides, 1989, p. 385).


Les voix champêtres, recueil d'Hector Demers
d'où est tiré le poème Le retour, ci-haut.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir) 

Recension critique du recueil Les voix champêtres dans l'édition du 3 mars 1912 du
journal hebdomadaire Le Nationaliste, dirigé par Olivar Asselin et Jules Fournier.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Première partie d'un compte-rendu du recueil Les voix champêtres dans Le Devoir 
du 14 mars 1912. Sous le pseudonyme d'Edmond Léo, l'auteur de la recension est
Armand Chossegros, s.j., dont les Poésies québécoises oubliées ont publié le poème
Sur la tombe d'Ernest Gagnon.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir) 


La deuxième partie de l'article est ci-dessous : 
Deuxième partie de la recension d'Edmond Léo.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Notice nécrologique parue dans
 La Presse le 28 février 1923.

(Source : BANQ ; cliquer
sur l'image pour l'agrandir)

Le 24 juin 1906, Hector Demers avait pris part à l'inauguration du Monument à Crémazie, situé
dans le Carré Saint-Louis, à Montréal. On peut prendre connaissance ICI du document publié
pour cette circonstance et dans lequel, aux pages 50-51, se trouve le poème que Demers avait
composé et prononcé dans le cadre de cet important événement patriotique et littéraire.

(Source : Jacques Lanciault ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Ce portrait d'Hector Demers, inspiré de la 
photo ci-haut, est paru en première page 
de l'édition du 2 avril 1911 du journal Le 
Nationaliste. L'artiste qui l'a réalisé est
Émile Vézina (1876-1942)

(Source : BANQ : cliquer
sur l'image pour l'agrandir)


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