lundi 19 avril 2021

Regrets précoces

Guy d'Arvor 
nom de plume de
Léo Cadieux (1908-2005)

(Source : Les biographies françaises d'Amérique,
Sherbrooke, Les journalistes associés, 1950)




   Ils ont fui ces instants où mon âme ravie,
   Dans son sublime vol, rêvait l'immensité,
   S'enlevait en l'espace, naïve et hardie,
   Ignorant les revers et la fatalité.

   Aux jours où la candeur éclairait mon front pâle,
   Où je courais joyeux le léger papillon ; 
   Sans morbides désirs, mon âme virginale
   Vivant en liberté, chantait la création. 

   Aiguillon incessant, mon heureuse ignorance
   Me lançait tout grisé dans un monde inconnu
   Où j'espérais trouver une divine essence
   Que priserait mon cœur en son culte ingénu.

   Dès l'aurore apeurée, en ma vive jeunesse,
   J'ai connu, éprouvé le calme de l'étang ; 
   Mais sur ma lèvre en feu, déjà prise d'ivresse, 
   Des poisons capiteux ont fait bouillir mon sang.

   Ah ! dans ces temps heureux, exempts de toute peine,
   Au cristal du ruisseau j'ai miré mes amours !
   Serais-je le jouet d'un souffle qui m'entraîne,
   Tourbillonnant sans cesse et m'emportant toujours ?
 
   J'ai mis à flot ma nef au sein de la tendresse,
   Rapide, elle a vogué sur de grands océans : 
   La tempête se lève et la jette en détresse
   Et mon espoir faiblit à chaque pas du temps. 

   L'éternelle douleur a marqué dans ma course,
   En funèbres jalons, des automnes amers ; 
   Le torrent de ma vie est troublé dès sa source,
   Je compte les printemps, et bien plus les hivers.

   Après avoir ouvert les bras à l'existence,
   Savourant à longs traits le nectar de l'amour,
   Je les ai refermés, le cœur plein d'espérance,
   Et je me suis trouvé sur la fin d'un beau jour.

   J'ai vu seize printemps fleurir dans mon parterre,
   Et maintenant, hélas ! rêveur, désabusé,
   Contemplant les débris qui gisent sur la terre,
   Je vois qu'avec fureur un orage a passé.

   Malgré ce grave faix, malgré ces amertumes,
   Mes ailes vers l'éther s'ouvrent pour s'élever,
   Pour conquérir le ciel où les astres s'allument,
   Et, la palme ravie, avec Dieu s'envoler.

   Car plus haut qu'ici-bas, plus haut dans les espaces,
   S'écoule un flot divin qui ne tarit jamais.
   Plus haut que cet exil, que ces douleurs qui passent,
   Malgré mes pieds meurtris, je verrai les sommets.

   Sur le mont le plus haut, je verrai la lumière,
   Je sècherai mon front d'une amère sueur ; 
   Ma plainte finira, mais non pas ma prière,
   Mon cœur sera guéri dans le sein du bonheur.

                                     Guy d'Arvor*(1925)



Tiré de : Guy d'Arvor (pseudonyme de Léo Cadieux), Au jardin du cœur, Saint-Jérôme, Imprimerie J.-H.-A. Labelle, 1927, p. 52-54. 

*  Léo Cadieux (dont le nom de plume est Guy d'Arvor) est né à Saint-Jérôme le 28 mai 1908, de Joseph-Édouard Cadieux et de Rosa Paquette. Après son cours primaire dans sa ville natale, il fit ses études classiques au Séminaire de Sainte-Thérèse.
   Journaliste de profession, il fut d'abord assistant-chef des nouvelles à La Presse, puis, durant la deuxième guerre mondiale, il exerça les fonctions de co-directeur des relations publiques au Ministère de la Défense nationale. En 1944, il se rendit en Europe en tant que journaliste et couvrit la Libération de la France pour La Presse
   En 1945, il devint co-propriétaire et directeur de La Revue moderne, où il s'investit durant plusieurs années. En 1953, il devint directeur administratif de l'hebdomadaire L'Avenir du Nord, de Saint-Jérôme. 
   En 1949, il fut élu premier maire de Saint-Antoine-des-Laurentides (fusionné en 2002 avec Saint-Jérôme), en plus d'avoir été président de la commission scolaire de cette localité.
  En 1960, il occupa la fonction de greffier de la paix, de la Couronne et de la Cour du magistrat pour le district de Terrebonne. 
   En 1962, il fut élu député fédéral de la circonscription de Terrebonne, fonction à laquelle il fut réélu en 1963, 1965 et 1968. En février 1965, il fut nommé ministre-adjoint de la Défense nationale, puis ministre en titre de ce même ministère de 1967 à 1970, année où il quitta la vie politique pour devenir ambassadeur à Paris. 
   Il est l'auteur de deux volumes : Au jardin du cœur (poésie, 1927) et L'ABC du Canada français (1943).
   Léo Cadieux est mort à Ottawa le 11 mai 2005. Il avait épousé en première noces Georgette Olivier le 14 mai 1938, puis en secondes noces Monique Plante le 1er août 1961.
(Sources : L'Avenir du Nord, 17 février 1965 ; Les biographies françaises d'Amérique, Sherbrooke, Les journalistes associés éditeurs, 1950, p. 887 ; Wikipedia). 


Au jardin du cœur, recueil de Guy d'Arvor
(nom de plume de Léo Cadieux) d'où est
tiré le poème Regrets précoces, ci-haut.

(Cliquer sur l'image pour l'élargir)

Recension du recueil Au jardin du cœur, de Guy d'Arvor
(Léo Cadieux) dans L'Avenir du Nord du 27 novembre 1927.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'élargir)

En 1949, Léo Cadieux fit partie du jury de fondation du Prix du
Cercle du livre de France. On le voit ici avec les autres membres 
du jury (assis) : Luc Lacourcière, Léo Cadieux, Jean Béraud (nom
de plume de Jacques Laroche), Geneviève de la Tour Fondue-Smith,
Dostaler O'Leary ; (debout) : René Garneau, Jean-Pierre Houle,
Roger Duhamel, Jean Chauvin.

(Source : Panorama des lettres canadiennes-françaises,
Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1964, p. 51)

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