jeudi 27 septembre 2018

Forêts de mon pays

Paul Godin (1907-1960)

(Source : son recueil posthume Poèmes)




   Forêts de mon pays, je viens en votre temple
   Goûter la paix du jour et la douceur du soir ; 
   Pour vos nombreux attraits, mon âme vous contemple :
   Vous êtes la Beauté que je voudrais revoir. 

   Verdoyantes toisons des flancs purs des collines,
   Superbes frondaisons des printemps revenus,
   Murmure des ruisseaux dans les lits des ravines,
   Susurrements d'amour dans les nids retenus ; 
   Balsamiques parfums des pins et des mélèzes,
   Bruissement des roseaux près des lacs de saphir ;
   Rochers rasant le ciel ainsi que des falaises ;
   Vol du martin-pêcheur aux berges du désir. 

   Forêts de mon pays, splendeur des jours d'automne,
   Sur les monts empourprés, les érables sanglants
   S'effeuillent lentement sous le ciel qui rayonne
   Parmi les sapins verts et les cèdres tremblants.
   Dans les clairières d'or, la grise perdrix glousse,
   L'appel aigu du cor retentit dans les bois ; 
   Du chevreuil altéré, brille la robe rousse ; 
   L'âme de la forêt fait entendre sa voix.
   C'est comme un chant d'amour qui monte de la terre,
   Et la feuille qui meurt au sentier solitaire
   Est comme un lambeau d'arbre arraché par le vent,
   Comme un dernier soupir de son coeur frémissant. 

   Forêts de mon pays, cathédrale du rêve,
   Vaste recueillement de la nuit qui s'achève,
   Tiédeur de clairs matins près des lacs endormis ;
   Longs baisers de la brise aux rameaux attendris.
   Échos lointains du soir montant de la vallée,
   Adieu de la nature à la branche endeuillée ;
   Divin frémissement de l'arbre au sol fixé,
   En dépit de l'orage et par le vent blessé. 

   Forêts de mon pays, vous, richesses premières,
   Retenant dans leur lit, captives les rivières ;
   Vous, la gloire d'octobre et l'espoir de l'avril,
   Vous, l'ombre et la clarté, vous, le parfum subtil :
   Érables, blancs bouleaux, hêtres, robustes frênes,
   Sapins tordus par l'âge, et vous, les puissants chênes,
   Tant que vos frais rameaux se couvriront de nids,
   Et tant que pousseront des feuilles sur vos branches,
   Sous les étoiles d'or et sous les lunes blanches,
   Vous serez, de la paix, les refuges bénis. 

                                   Paul Godin (sans date)



Tiré de : Paul Godin, Poèmes, Trois-Rivières, Le Bien Public, 1982, p. 49-51. 

Paul Godin était le demi-frère de Louis-Georges Godin, lui aussi médecin et homme de lettres. 


Paul Godin présenté 
par son plus jeune fils : 

   « Issu d'une famille établie à Trois-Rivières dans la première moitié du XIXe siècle, mon père était un trifluvien authentique. Il effectua ses classes primaires au Jardin de l'Enfance et ses études classiques au Séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières. Il obtint par la suite son doctorat en médecine à l'Université Laval et compléta sa spécialisation en oto-rhino-laryntologie à l'Hôtel-Dieu de Montréal ainsi qu'aux hôpitaux Boucicaut et des Quinze-Vingts de Paris. Il devint membre du Collège royal de médecine en 1948. 
   Au cours de son internat à l'Hôpital Laval de Québec, il rencontre la femme de sa vie, Louisa Marceau, de Sainte-Anne-de-la-Pérade, alors infirmière au Sanatorium Notre-Dame du même hôpital. Il se trouve conquis par cette belle femme menue, à l'esprit vif, un être tout de coeur, d'une droiture exemplaire et singulièrement racée. Amoureux l'un de l'autre avant le départ de mon père pour Paris, cette longue séparation ne les désunit point. Tous deux nourrissent leur imaginaire et entretiennent leur rêve commun en échangeant deux lettres par semaine pendant un an. Quelque temps après son retour, ils se marient, le 6 septembre 1936. Ce fut pour la vie. 
   Il était un homme de la Mauricie, profondément lié à la nature. Menant une vie tranquille et discrète, il partageait son intimité avec sa famille, quelques amis solides ainsi qu'avec l'onde des lacs, celle de la rivière Saint-Maurice et du fleuve Saint-Laurent. Il pouvait passer des heures, patientant la brunante, assis dans une chaloupe, à observer le couchant et à soutenir sa rêverie. La canne à pêche en mains jusqu'à la tombée du jour, il tentait de sortir quelque dernière truite des lacs du Batchelder ou du Capitanal ou encore quelque prise ultime de l'Anse-aux-Dorés de Saint-Roch-de-Mékinac où il m'emmenait comme rameur même les jours de classe. J'avais alors droit à un billet d'absence pour cause de maladie...
   D'innombrables fois, je l'ai vu aussi arpenter la galerie de notre maison d'été à Champlain, la pipe bien bourrée, tel un capitaine de goélette, à surveiller le moindre mouvement d'eau du grand fleuve. À Trois-Rivières, au printemps, les quais étaient l'un de ses endroits de prédilection pour assister à l'irrésistible mouvement des glaces. L'hiver, il ne manquait pas la pêche aux petits poissons des chenaux, à Sainte-Anne-de-la-Pérade. 
  Il aimait aussi les chevaux. Fréquentant les hippodromes Richelieu, Blue Bonnets et Laviolette, il emmenait souvent ses fils aux écuries où, je me rappelle, étant enfant, le dimanche matin, il allait de stalle en stalle, me soulevant dans ses bras pour m'apprendre à flatter le museau des bêtes.
   Il écrivait pour son plaisir. Assis au salon, il remplissait de vers et à l'occasion, d'épigrammes sur ses confrères, des tablettes d'ordonnances, remaniant les mots, cherchant la rime, en quête de la formule la plus belle, appelant souvent Louisa pour lui demander de réagir à l'écoute d'un verset. Ce goût de l'écriture, cet appétit du mot essentiel, il l'a transmis à ses enfants, Mireille, traductrice à Ottawa, femme de lecture et de parole, Gérald, député-ministre au gouvernement du Québec, journaliste et écrivain, à Ivan, avocat à Trois-Rivières et raconteur hors-pair ainsi qu'à moi, professionnel d'écriture à l'Université du Québec à Trois-Rivières et auteur d'un récit poétique. 
   Le temps était maintenant venu de rendre hommage à cet homme ; aussi, lorsque mon frère Ivan m'a confirmé son intention de publier un recueil de poèmes de notre père, je me suis senti heureux, profondément, pour nous, pour notre mère. Je connais son bonheur d'avoir été aimée par un poète, par Paul. J'ai revécu également la veille du dernier jour de sa vie, quand ma mère me demanda d'aller le nourrir alors qu'il entrait lentement dans le coma. J'avais peur. Je ne voulais pas assister, témoin impuissant, à son départ définitif. Je craignais cette intimité avec la mort, comme si j'allais me faire emporter moi aussi. Mais parce que j'avais peur, j'ai saisi l'assiette et j'y suis allé. Ce fut un événement ; j'ai compris la puissance de l'amour que je portais en moi. La lente respiration de mon père m'était douce et je voulais le cajoler jusque dans l'au-delà... et aujourd'hui, par ce recueil, je le rejoins et pour lui, je participe à l'éternité d'une caresse ». 

   GUY GODIN
   dans Poèmes, de Paul Godin, p. 8-11


Poèmes, recueil posthume de Paul Godin
paru en 1982 et réédité en 1996.

Article paru dans Le Nouvelliste du 28 mai
1960, à l'occasion de la mort de Paul Godin.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Notice nécrologique
dans La Presse du
30 mai 1960, p. 15.

(Source : BANQ ;
Cliquer sur l'image
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