Willie Proulx (1907-1958) (Source : Biographies canadiennes- françaises, édition de 1933) |
Au gîte ! au gîte hirondelle va vite !
Vole au chevet de tes chers hirondeaux ;
L'hirondeau dort, au nid le soir t'invite,
Plane sur l'onde, effleure les roseaux.
Voici venir la pâleur coutumière
Où, chaque soir, la Nuit baise le Jour,
Sur les monts tombe et saigne la lumière ;
Hymen sanglant : la mort naît de l'amour.
Tombez du ciel, ombres crépusculaires,
Tombez sur nous, sur la ville qui dort,
Glissez là-bas vos voiles funéraires
Sur ce tombeau de sang, de pourpre et d'or.
Divine nuit ! tu viens, j'entends ton aile,
Ton aile bat comme un cœur palpitant,
Ton vol est doux, n'es-tu pas éternelle ?
Reste du moins, reste, reste un instant.
Nuage blond, effleure ma fenêtre,
Je veux voler sur ton flanc coloré,
Sois mon coursier ; il faut que je pénètre
Jusqu'au delà du fluide éthéré.
Allons là-haut glisser sur cette neige
Qui flotte et tremble au contact de nos pas ;
Montons, rions, faisons joyeux cortège :
Neige et bonheur, ici, ne durent pas.
Mais l'air est froid ; taillons-nous une mante
Dans ce drap bleu parsemé de fleurons ;
Montons, montons, l'infini me tourmente,
Étoiles d'or, servez-moi d'éperons.
Plus vite encore, abandonnons la terre,
À nous l'azur, soyons audacieux ;
Le croissant de lune est un cimeterre
Pour conquérir l'immensité des cieux.
À nous le val que forment ces nuages,
À nous ces pics, ces forêts et ces monts,
À nous l'argent qui borde ces rivages,
À nous ces champs recouverts d'épis blonds !
À nous enfin ce marbre, ce porphyre,
À nous l'enclos de ce palais doré.
Adieu ! coursier, ce lit bleu va suffire
Au conquérant d'un pays adoré.
Je vais dormir au chant du vent qui passe
Et vient parfois jouer dans mes cheveux,
Ici viendront les brises de l'espace
Pour nous griser de parfums capiteux.
Divine nuit ! reste, j'aime ton aile,
Ton aile bat comme un cœur palpitant,
Ton vol est doux, n'es-tu pas éternelle ?
Reste du moins, reste, reste un instant !
Willie Proulx* (1927)
Tiré de : Willie Proulx, Mélodies poétiques, Montréal, Éditions Édouard Garand, 1927, p. 14-16.
* Né le 18 avril
1907 à Springfield, au Massachusetts, William (Willie) Proulx était le fils de Ulric Proulx et de Cécile
Saint-Jean. La famille vint s'installer à Lachine, sur l'île de Montréal, alors qu'il n'avait que deux ou trois ans. Il suivit les classes de l'école primaire de Lachine, puis fit ses humanités au Séminaire de Sainte-Thérèse et sa philosophie au Collège Sainte-Marie de Montréal. En 1927, l s'inscrivit à la faculté de droit de l’Université de Montréal.
La même année, il remporta le premier prix du concours de philosophie des collèges classiques du Québec. À sa sortie du collège, la même année et à l'âge de vingt ans, il publia un recueil de vers : Mélodies poétiques. En 1929, il remporta le championnat oratoire de l'Université de Montréal. Il s'intéressa aussi à la politique en tant que membre du parti conservateur, pour lequel il prononça de nombreux discours.
Admis au
Barreau en 1930, il débuta sa carrière juridique de criminaliste au cabinet de Lucien
Gendron (qui devint juge de la Cour des sessions de la paix), de Philippe Monette
et J. R. Gauthier. Il eut aussi son cabinet avec Louis-Philippe
Larivière et son beau-frère, Paul Robitaille (qui devint juge à la Cour
provinciale). Membre à vie de l’Association de
bienfaisance des avocats de Montréal, il a été nommé juge de la Cour des
sessions de la paix à Montréal, le 1er février 1950, devenant le plus jeune juriste à être assermenté à cette fonction.
Willie Proulx avait épousé, le 21 novembre 1931, Marguerite Lapointe. Il est décédé le 19 mai 1958 à Montréal, d'une thrombose cérébrale, à
l’âge de 51 ans.
(Sources : Biographies canadiennes-françaises, Montréal, 1933, p. 126 ; Les cours de justice et la
magistrature du Québec, Gouvernement du Québec, 1999.).
Dans son introduction à Mélodies poétiques, Willie Proulx a notamment écrit ce qui suit (et rappelons-nous que l'auteur n'avait que vingt ans alors qu'il publiait ces lignes qui, après plus de 90 ans, n'ont rien perdu de leur actualité) :
« Dans notre siècle de vie trépidante on ne lit plus les poètes, et leurs bouquins s'en vont rêver dans la poussière des tablettes et de l'oubli. Heureux sont ceux qui parviennent à se faire lire en se glissant dans les pages de magazines ou de revues, et encore sont-ils pourchassés dans ce dernier cantonnement par l'annonce moderne qui trône sur la saine littérature terrassée.
« Dans notre siècle de vie trépidante on ne lit plus les poètes, et leurs bouquins s'en vont rêver dans la poussière des tablettes et de l'oubli. Heureux sont ceux qui parviennent à se faire lire en se glissant dans les pages de magazines ou de revues, et encore sont-ils pourchassés dans ce dernier cantonnement par l'annonce moderne qui trône sur la saine littérature terrassée.
Sans doute, plusieurs causes expliquent qu'on ne lise plus ou qu'on lise moins ; sans doute la jeunesse de certains auteurs fait sourire les sceptiques comme si l'on déniait aux jeunes le droit et la capacité de sentir et d'extérioriser leurs sentiments ; sans doute, la valeur des poètes modernes est discutable, puisque les grands maîtres sont passés moissonnant les gerbes les plus fécondes, épuisant les plus beaux sujets d'inspiration, et gravissant des hauteurs presqu'inaccessibles à qui n'a leur génie ; sans doute, il ne reste qu'un champ restreint pour les pauvres glaneurs, et c'est peut-être bien ce qui fait que le lecteur, raffiné par le commerce des grands maîtres, se laisse difficilement émouvoir par les tulles légères et les gazes diaphanes de la poésie moderne.
Nous n'avons aucunement l'intention d'entreprendre un plaidoyer, et qu'on nous pardonne d'exprimer des vérités, mais le fait n'est-il pas avéré et constaté que la paresse intellectuelle grandit de jour en jour, qu'on se matérialise de plus en plus au point même de tout valoriser en argent jusqu'aux choses les plus sacrées ?
D'aucuns diront qu'il faut être de son temps, et qu'il ne sert à rien de poser en coq gaulois, j'en conviens, mais combien de jeunes talents sont submergés par le flot montant de cette indifférence, et combien de nos compatriotes, qui auraient pu honorer notre langue, notre âme nationale, nos institutions, se sont voués à l'inaction, démoralisés devant cette apathie déprimante ? [...] ».
(Willie Proulx, introduction à Mélodies poétiques, p. 9-10).
Mélodies poétiques, recueil de Willie Proulx d'où est tiré le poème Nocturme fantaisiste. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
La même année où il publiait son recueil Mélodies poétiques, Willie Proulx remportait le premier prix de philosophie du concours des collèges classiques du Québec. Ce fait fut souligné dans La Presse du 1er octobre 1927. |
Willie Proulx, vers la fin de sa vie. (Source : Les cours de justice et la magistrature du Québec, 1999) |
Mention du décès de Willie Proulx dans Le Devoir, 20 mai 1958 |
Hommage à Willie Proulx publié à l'occasion de son décès dans La Presse, 21 mai 1958. On peut lire dans La Presse du 22 mai 1958 (p. 26) un compte-rendu des funérailles, où Paul Sauvé, qui deviendra premier ministre du Québec un an et demi plus tard, servit de porteur d'honneur. |
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