Alphonse Beauregard (1881-1924) (Source : Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord) |
― Subsister décrépits, déchus mais n'être pas
Des ombres que le vent chasse, informes, là-bas !
N'avoir de chair et d'os que pour souffrir sans cesse
Plutôt que, purs esprits dégagés de faiblesses,
Vaguer insouciants dans le vide éternel !
Vivre toujours au lieu de t'espérer, ô ciel !
Même sans toi, que nous seraient des millénaires
À jouir de l'afflux de sang dans nos artères !
Comme nous aimerions à ne jamais risquer
Que notre droit d'agir soit soudain révoqué,
Ni que devant nos pas le sol s'ouvre et bascule !
Ne pas mourir !...
― Assez de songes ridicules,
Voyez, la mort descend sur les hommes, et rien
N'en reste dont voudrait, pour sa pâture, un chien.
Ainsi que des paquets d'éphémères, les vies
S'en vont nul ne sait où ; l'ouragan les charrie.
― Avoir aimé, vécu, puis rien, rien que du noir !
Ô voix, nous ne saurions ces mots les concevoir ;
Mais à notre regard, borné par la nature,
Si pauvrement se peint l'existence future
Que nous imaginons, plutôt, la foule en deuil
Accourant submerger de fleurs notre cercueil.
Et lorsque nous semons des actes sur la route,
À notre vanité nécessaire, s'ajoute
La foi que l'on suivra notre exemple à genoux
Et que longtemps, longtemps on parlera de nous.
― Rares sont les éclairs dans vos âmes avides.
Contre un moment d'envol vous passez mille jours
À satisfaire un idéal de basse-cour.
Brusquerez-vous le temps à coups d'espoirs splendides ?
― Comme des avions après leur ciel conquis
Reviennent sur la terre où leur force naquit,
Nous ne pouvons longtemps vivre d'apothéoses.
Voix du néant, qui nous atteins, les jour moroses,
Et trouble notre coeur épris d'éternité,
Ton rire est impuissant à nous faire douter
Que l'homme cache en lui la grandeur immanente.
Nous narguons le calcul de la raison mordante
Et notre âme jamais ne comprendra la nuit.
Suspendus aux cheveux de la terre qui fuit,
Nous évoquons encore nos heures solennelles,
Rêvant qu'il restera de nous une étincelle.
Alphonse Beauregard* (1921)
Tiré de : Alphonse Beauregard, Les Alternances, Montréal, Roger Maillet éditeur, 1921, p. 23-25.
*Alphonse Beauregard est né à La Patrie le 5 janvier 1881. À la mort de son père, en 1892, il dut abandonner sa scolarité après un cours commercial élémentaire à l'Académie Girouard, à Saint-Hyacinthe. Il travailla à la manufacture de chaussures Côté jusqu'en 1898, puis il s'établit à Montréal où il devint comptable pour la compagnie Singer. En 1907, il entra au service de la Commission du Havre. Son ami Francis Saint-Germain lui ouvrit alors sa riche bibliothèque familiale.
Dès 1906, Beauregard consacra ses loisirs à la poésie. Ses premiers poèmes parurent dans La Revue et dans Le Nationaliste, et ses écrits dans L'Avenir du Nord, la Revue Moderne, etc. Le 28 octobre 1908, il fut reçu à l'École littéraire de Montréal, dont il sera secrétaire de 1911 à 1922, et président à partir de 1922 jusqu'à sa mort prématurée en 1924.
En 1912, il publia un premier recueil de poésies, Les Forces, et un second, Les Alternances, parut en 1921. Sa poésie est une longue méditation sur l'être humain. « Sans être poète de premier plan, écrit Raymond Rivard, Alphonse Beauregard affiche une originalité certaine. [...] Après Nelligan, on aurait tort de croire que l'angoisse poétique s'est éteinte ».
Alphonse Beauregard est mort à Montréal le 15 janvier 1924, des suites d'une asphyxie accidentelle au gaz.
Alphonse Beauregard est mort à Montréal le 15 janvier 1924, des suites d'une asphyxie accidentelle au gaz.
(Sources : Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord, Montréal, éditions Fides, 1989 ; Wikipedia).
Sur la mort tragique d'Alphonse Beauregard, voyez ICI le récit de l'écrivain Albert Laberge.
Sur la mort tragique d'Alphonse Beauregard, voyez ICI le récit de l'écrivain Albert Laberge.
Les Alternances, recueil d'Alphonse Beauregard paru en 1921 et d'où est tiré le poème Survivre. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
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