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Gaëtane de Montreuil (1867-1951)
(Photographiée par le studio Laprès & Lavergne ; source BANQ) |
Entouré de grandes montagnes
Est un beau lac, miroir géant,
Où le chasseur de nos campagnes,
Sans pitié s'en va, mécréant,
Tuer le canard, l'alouette,
Le caribou, même l'élan,
Dont quelquefois la silhouette
Se mire encore au vaste étang.
La superbe nappe d'eau bleue,
Cachée au sein de la forêt,
Célèbre à plus d'une lieue,
Se révèle comme à regret.
Ses bords, tout fleuris de légendes,
Connurent des jours glorieux
Quand les Indiens, marchant par bandes,
Vivaient au pays giboyeux,
Promenant l'orgueil de leur race
Sur le sol où, de leurs aïeux,
Ils conservaient partout la trace
Avec un soin religieux.
Les anciens guerriers, pleins d'audace,
Y venaient se ressouvenir ;
Les jeunes, à la même place,
Voulaient apprendre l'avenir ;
Car le beau lac aux eaux profondes
Avait un pouvoir merveilleux :
Un génie habitait ses ondes...
C'était l'oracle de ces lieux.
Chacun comprenait son langage
Sans phrase et tout silencieux...
Si l'on voyait son image,
L'augure en était précieux,
Pourvu que sans ombre et sans ride
Le flot vous renvoyât vos traits.
L'ambition perdait la bride
Chez tous les chercheurs de secrets.
Et quand au ciel montait la lune,
― Le bon génie alors parlait ―
Quelque amoureuse à la peau brune,
Mystérieuse, s'en allait,
Se faufilant sous la feuillée,
Dans l'ombre qui la protégeait,
Inquiète, ou l'âme endeuillée,
Vers le lac qu'elle interrogeait...
Le génie avait le coeur tendre
Et plus souvent il consolait.
Sa bonté savait condescendre
Et se montrer quand il le fallait ;
Lorsque trop fort soufflait la brise,
Aux franges de la vague grise
Et son oracle était « changeant ».
Quand la lune sous un nuage
Dérobait son grand oeil moqueur,
Elle disait dans un mirage :
« Ô guerrier, tu seras vainqueur ».
Mais pour payer le bon office
De l'esprit sauvage et puissant,
Il fallait faire un sacrifice
Qu'il exigeait une fois l'an.
Il voulait une fiancée,
Qu'il venait lui-même quérir
Dans une pirogue élancée,
Qui seule au vent savait courir.
C'était un canot sans pilote,
Qu'un soir on voyait approcher
Aux bords d'une sombre grotte,
Où des fauves allaient nicher.
Et c'était toujours la plus belle
Que l'égoïste dieu voulait.
Mais à cette noce cruelle
La tendre victime accourait...
Sur les feuilles d'or et de l'automne
Si la lune renouvelait,
Une vaporeuse colonne
Au centre du lac s'élevait.
Ainsi marquait-il sa présence,
L'Esprit-du-Lac, Maniwokon.
Et tous ces peuples dans l'enfance
Ressentaient un trouble profond.
Car on racontait que plus d'une,
Répondant au voeu de l'amant
Qui, mystérieux, sur la dune,
Pour elle modulait son chant,
Avait déserté sa famille.
Elle s'en était allée, un soir
Qu'on avait vu la pauvre fille
Dans le canot fatal s'asseoir ;
Puis que, sans rameur et sans guide,
La pirogue avait disparu,
Que nul sillage sur l'eau fluide
Après elle n'avait couru...
Mais cette légende féérique,
Que croyait le peuple naïf,
Chez un brave amant véridique
Avait rendu l'amour pensif.
Et l'on redit la triste histoire
D'Ywosa, la fille d'un chef,
Qui fut, par sa beauté notoire
Et son malheur, mise en relief.
Près du beau lac, vivaient amies,
Aux temps lointains, deux nations
Que, jadis, avaient réunies
L'honneur et les traditions.
Ywosa, la belle des belles,
Comptait bien plus d'un soupirant,
Mais aux brûlantes ritournelles
Son coeur restait indifférent...
La jeune fille était coquette,
Mais elle n'avait que seize ans...
Qu'est, à cet âge, une amourette,
Que sont des voeux et des serments ?
Pourtant, un jour, la voilà prise
Au piège éternel de l'amour
Et le sentiment qui la grise
Éveille un généreux retour...
Hélas ! un guerrier qui l'adore
De son père a fixé le choix,
Il lui fait des présents, l'honore
À la mode antique des bois.
Mais le coeur se rit des usages,
Celui d'Ywosa s'est donné,
Sans aller consulter les sages
Qui parlent d'amour raisonné.
Il était de race étrangère,
L'élu de la jeune Ywosa ;
Homaba, choisi par son père.
En rival heureux s'imposa...
Légère comme une bichette,
À l'heure où dorment les oiseaux,
Ywosa voulut, en cachette,
Consulter l'oracle des eaux :
Elle descendit à la plage
En se cachant à tous les yeux
Et, vive, pencha son visage
Sur le lac où brillaient les cieux.
Mais elle croit ce qu'elle espère,
L'oracle parle dans son coeur,
L'édit n'en saurait être austère
Et son amour sera vainqueur !
Mais, qu'est-ce ?... un bras a pris sa taille,
L'enfant se dégage et s'enfuit ;
Elle supplie, elle bataille,
Homaba, jaloux, la poursuit...
Le lendemain, dans son village,
On la chercha sans la revoir,
Il se fit quelque babillage,
― Les langues savaient leur devoir ― :
Perdre une enfant, c'était bien grave,
Mais le cas devenait banal,
Quand d'un guerrier vaillant et brave
On redoutait le sort fatal.
L'amitié du sauvage est telle :
L'ami doit venger son ami,
Ou le défunt, loi cruelle,
Punit celui qui l'a trahi...
Et partout, on cherche, on appelle,
Homaba, le jeune guerrier.
On sait qu'hier il eut querelle,
Et l'on désigne un meurtrier...
C'est Zicahota que l'on nomme,
Qu'a marqué le peuple rageur,
Et c'est lui qui, le mieux, en somme,
Cherche jaloux, sombre et vengeur.
Il connaît les lois de sa race
Et sait que sa vie est en jeu.
Pour trouver d'Homaba la trace
Il a trois jours et c'est fort peu...
Mais, ayant deviné le rôle
Que l'infâme a si bien joué,
C'est au châtiment de ce drôle
Que Zicahota s'est voué,
― Car Zicahota, qu'on accuse,
C'est le guerrier qu'aime Ywosa ―.
On l'interroge, il se refuse
À divulguer ce qu'il osa.
Les pas ne laissent point d'empreinte
Dans les bois au tapis moussu,
Zicahota poursuit sans crainte
Le sombre plan qu'il a conçu.
Dans la forêt qui semble morte,
Par son silence de tombeau,
En son coeur le sauvage porte
Sa haine comme un clair flambeau.
Ses pieds écrasent des corolles
Humides des larmes du soir...
Leur parfum, plainte sans parole,
Avive, exalte son espoir.
Un penser de vengeance emporte
Le guerrier par monts et par vaux,
Mais la prudence aussi l'escorte,
Qu'il soit sur la terre ou les eaux ;
Pour se poser sans bruit dans l'ombre,
Son pied léger n'a pas d'égal...
De moyens, de ruse sans nombre
Il possède un riche arsenal :
Il peut imiter la cadence
De la chouette au cri sépulcral,
Du goéland qui se balance
En cueillant son repas frugal ;
Il sait la plainte langoureuse
Du héron couleur de roseau,
À l'allure morne et peureuse,
Pêchant discret au bord de l'eau ;
Du grand bois, de ceux qui l'habitent
Il a pris plus d'une leçon ;
Des lourdes branches, qui s'agitent,
Son oreille connaît le son,
Du ruisseau qui tout bas murmure
Il imite le clapotis...
Les bruits divers de la nature,
Ses lèvres les ont tous appris.
Bientôt ses yeux dans les ténèbres
Ont su trouver ce qu'il voulait
Et vers les siens, juges funèbres,
Zicahota s'en revenait.
Après la longue randonnée
Dont il a caché le trajet,
À toute la foule étonnée
Il divulgue un hardi projet.
La curiosité s'avive.
Et lorsqu'au ciel pâlit le jour,
Tout le village est sur la rive.
Zicahota vient à son tour.
Dédaignant la fureur des vagues,
Sans peur il pousse son canot.
Sous la lune deux formes vagues
Au loin se dessinent bientôt :
C'est Homaba, rameur habile,
Qui, là-bas, apparaît ainsi,
Et, près de lui, sombre et tranquille,
Ywosa semble à sa merci...
Mais les canots enfin s'abordent,
Zicahota, fier, s'est dressé !
Les deux rivaux, luttent, se tordent,
Homaba tombe terrassé.
Vers Ywosa, sa tendre amante,
Zicahota s'est élancé,
Mais un spectacle d'épouvante
Fait hésiter le fiancé :
Là, du sein des eaux en furie,
Un nuage semble monter,
Comme une longue draperie
Que la brise vient tourmenter.
Puis de cette vapeur flottante,
Légère écharpe, blanc linceul,
Sort une immense main sanglante,
Et, Zicahota reste seul.
Horreur, vision affolante,
Ywosa lutte dans les flots
Et de l'enfant la voix mourante
Crie un adieu dans ses sanglots...
C'est l'Esprit-du-Lac qui l'entraîne
Au royaume mystérieux...
La plus belle sera la reine
De ce roi fantôme odieux.
Dans son canot, dit la légende,
On voit encore, parfois le soir,
Quand Maniwokon le demande,
La plus belle venir s'asseoir.
Gaëtane de Montreuil* (1926)
* Née à Québec le 22 janvier 1867, Gaëtane de Montreuil (nom de plume de Georgina Bélanger-Gill), fut chroniqueuse et journaliste. Après avoir étudié à l'École normale (1885), elle se lança dans le journalisme et, durant plus de quarante ans, on pourra lire ses chroniques dans Le Monde illustré, La Presse, Le Journal de Françoise, Le Bien Public, Le Pays laurentien, Passe-Partout, Le Pays, Mon Magazine, Le Jour et Pour vous Mesdames.
Elle passa deux années en Californie (1914-1916), puis de retour à Montréal, elle fit paraître des recueils de contes, des romans, des causeries et chroniques, ainsi qu'un recueil de poésies, Les Rêves morts, dont les poèmes avaient déjà paru dans Mon Magazine, dont Gaëtane de Montreuil fut la directrice (1926-1932).
En 1912, son roman Fleur des ondes connut un succès populaire et elle l'adapta pour la scène l'année suivante. Elle fut l'une des premières femmes au Québec à s'intéresser au journalisme et à y faire sa marque.
Gaëtane de Montreuil est morte à Montréal le 24 juin 1951. Elle avait épousé, en 1902, le poète et artiste-peintre Charles Gill.
(Sources : Dictionnaire Guérin des poètes d'ici de 1606 à nos jours, deuxième édition, Montréal, Guérin, 2005, p. 1000 ; Marie-Paule Desjardins, Dictionnaire biographique des femmes célèbres et remarquables de notre histoire, Montréal, éditions Guérin, 2007, p. 28-29).
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Les Rêves morts, recueil de poésies de Gaëtane de Montreuil, d'où est tiré le conte poétique Maniwokon : la légende du Lac au Fantôme. Un seul exemplaire semble encore disponible
sur le marché : voyez ICI. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
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Dédicace signée de la main de Gaëtane de Montreuil dans son recueil de poésies Les Rêves morts.
(Collection Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
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En 1976, le spécialiste de la littérature québécoise, Réginald Hamel, publiait cette biographie de Gaëtane de Montreuil. Des exemplaires sont encore disponibles ICI.
(Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Le concepteur de ce carnet-web a publié l'ouvrage en deux
tomes intitulé Nos poésies oubliées, qui présente 200 de
de nos poètes oubliés, avec pour chacun un poème, une
notice biographique et une photo ou portrait. Chaque
tome est l'objet d'une édition unique et au tirage limité.
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ouvrage qui constitue une véritable pièce de collection,
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